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28/11/2016 | FRANCE | N°394114

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 28 novembre 2016, 394114


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un autre mémoire, enregistrés le 16 octobre 2015 et les 18 janvier et 22 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la CIMADE, le Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI) et la Ligue des droits de l'homme demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet du Premier ministre sur leur demande tendant à l'abrogation de l'article R. 513-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asil

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2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger l'article R. 513-1-1 du...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un autre mémoire, enregistrés le 16 octobre 2015 et les 18 janvier et 22 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la CIMADE, le Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI) et la Ligue des droits de l'homme demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet du Premier ministre sur leur demande tendant à l'abrogation de l'article R. 513-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger l'article R. 513-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur l'Union européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le décret n° 2015-26 du 14 janvier 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Cimade, du Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI) et de la Ligue des droits de l'homme ;

Considérant ce qui suit :

1. Les associations requérantes demandent l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur leur demande tendant à l'abrogation des dispositions de l'article R. 513-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aux termes desquelles : " L'autorité administrative compétente pour prononcer la décision fixant le pays de renvoi dans le cas prévu au deuxième alinéa de l'article L. 214-4 est le ministre de l'intérieur ".

2. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'avis du 13 janvier 2015 dont le texte a été communiqué par le Premier ministre, que le décret dont sont issues les dispositions litigieuses a été pris le Conseil d'Etat (section de l'intérieur) entendu et que son texte ne diffère pas de celui adopté par le Conseil d'Etat. Dès lors, le moyen tiré de ce que son texte ne serait pas conforme à la version transmise par le Gouvernement au Conseil d'Etat ou à celle adoptée par ce dernier doit être écarté.

3. A l'appui de leurs conclusions, les requérants soulèvent des moyens, par la voie de l'exception, à l'encontre de l'ensemble des dispositions des articles L. 214-1 à L. 214-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui constituent le chapitre IV du titre Ier du livre II de ce code.

4. La contrariété d'une disposition législative aux stipulations d'un traité international ne peut être utilement invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre un acte réglementaire que si ce dernier a été pris pour son application ou si en elle constitue la base légale. Les dispositions réglementaires attaquées se bornent à désigner l'autorité administrative chargée de fixer le pays de renvoi, dans le cas d'une reconduite à la frontière d'un étranger faisant l'objet d'une interdiction administrative du territoire. Il suit de là que les requérants ne peuvent, à l'appui de leurs conclusions, utilement contester, par la voie de l'exception que le second alinéa de l'article L. 214-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour l'application duquel les dispositions précitées de l'article R. 513-1-1 de ce même code ont été prises, et les articles L. 214-1 et L. 214-2 de ce même code, qui définissent le régime d'interdiction administrative du territoire.

5. D'une part, il appartient au ministre de l'intérieur, lorsqu'il prend une mesure d'interdiction administrative du territoire, de s'assurer, sous le contrôle du juge administratif, que cette décision ne porte pas, par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé. Au demeurant, les dispositions des articles L. 214-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoient que l'étranger peut introduire une demande de levée de la mesure après un délai d'un an à compter de son prononcé, ce qui permet à l'intéressé, le cas échéant, de faire état d'éléments nouveaux qui auraient rendu l'interdiction disproportionnée au regard de son droit au respect de la vie privée et familiale. En outre, les motifs justifiant cette mesure sont, aux termes de l'article L. 214-6 du même code, réexaminés d'office, par l'autorité administrative, tous les cinq ans à compter de la date de la décision. Enfin, l'article L. 214-7 du même code exclut que l'étranger mineur puisse être reconduit d'office à la frontière lorsqu'il fait l'objet d'une interdiction administrative du territoire alors qu'il est présent sur le territoire français.

6. D'autre part, les interdictions administratives du territoire, qui sont des mesures de police administrative, peuvent être contestées devant le juge administratif, y compris par la voie des référés ouverts aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative. Dans ce cas, il appartient au juge d'apprécier, au regard des éléments débattus contradictoirement devant lui et, au besoin, en ordonnant des mesures d'instruction supplémentaires, si cette mesure d'interdiction poursuit effectivement un but légitime de prévention des menaces visées aux articles L. 214-1 et L. 214-2. Par ailleurs, lorsque cette interdiction vise un étranger majeur déjà présent sur le territoire et qu'elle donne lieu à une mesure de reconduite à la frontière, cette dernière peut également être contestée par l'exercice des voies de recours ouvertes à l'encontre des mesures d'éloignement forcé.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le moyen soulevé par voie d'exception, tiré de ce que les dispositions législatives rappelées au point 4. porteraient atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale et au droit au recours effectif garantis par les stipulations des articles 8 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit être écarté. Pour les mêmes motifs, et en tout état de cause, doit également être écarté le moyen tiré de ce que ces mêmes dispositions méconnaîtraient l'article 7 et le premier alinéa de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

8. Enfin, par sa décision du 13 avril 2016, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a décidé qu'il n'y avait pas de lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les associations requérantes à l'occasion de cette instance. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions réglementaires attaquées auraient été prises en application de dispositions législatives inconstitutionnelles doit être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée par le ministre de l'intérieur en défense, que les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant à l'abrogation des dispositions de l'article R. 513-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la CIMADE et autres est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la CIMADE, première requérante dénommée, au ministre de l'intérieur et au Premier ministre. Les autres requérantes seront informées de la présente décision par la SCP Spinosi, Sureau, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 394114
Date de la décision : 28/11/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 nov. 2016, n° 394114
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Vincent Villette
Rapporteur public ?: M. Edouard Crépey
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 27/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:394114.20161128
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