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23/11/2016 | FRANCE | N°400385

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 23 novembre 2016, 400385


Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision implicite par laquelle le président du conseil de Paris a rejeté son recours préalable formé contre la décision du 21 décembre 2015 par laquelle il a suspendu en totalité le paiement de l'allocation de revenu de solidarité active de son foyer et, d'autre part, d'enjoindre, sous astreinte, au président du conseil de Paris de reprendre le versemen

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Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision implicite par laquelle le président du conseil de Paris a rejeté son recours préalable formé contre la décision du 21 décembre 2015 par laquelle il a suspendu en totalité le paiement de l'allocation de revenu de solidarité active de son foyer et, d'autre part, d'enjoindre, sous astreinte, au président du conseil de Paris de reprendre le versement du revenu de solidarité active à son profit et de régulariser sa situation au regard de son droit à cette prestation.

Par une ordonnance n° 1606889 du 19 mai 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l'exécution de la décision implicite par laquelle le recours préalable formé par M. B...contre la décision du 21 décembre 2015 a été rejeté et a enjoint au président du conseil de Paris de payer, à titre provisoire, à M. B...le revenu de solidarité active au titre des mois de janvier à mai 2016 dans le délai d'une semaine à compter de la notification de son ordonnance et de reprendre, à titre provisoire, à compter du mois de juin 2016, le versement du revenu de solidarité active, sous réserve du respect, par l'intéressé, des conditions de ressources prévues pour bénéficier de cette prestation.

Par un pourvoi, enregistré le 3 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département de Paris demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 19 mai 2016 ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de M.B....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sabine Monchambert, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat du département de Paris, et à Me Brouchot, avocat de M.B....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par une décision du 21 décembre 2015, le président du conseil de Paris a suspendu le versement de l'allocation de revenu de solidarité active dont bénéficiait M.B..., au motif qu'il n'avait pas conclu de contrat d'engagements réciproques. A la suite du rejet implicite de son recours administratif, reçu par les services du département le 17 février 2016, M. B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris de suspendre l'exécution de la décision du 21 décembre 2015, puis de la décision rejetant son recours préalable obligatoire, et d'enjoindre au département de Paris de reprendre le versement du revenu de solidarité active à son profit et de régulariser sa situation au regard de ses droits. Par une ordonnance du 19 mai 2016, contre laquelle le département de Paris se pourvoit en cassation, le juge des référés a prononcé la suspension de l'exécution de la décision implicite acquise le 17 avril 2016 et a enjoint au département de Paris de payer à titre provisoire à M. B...le revenu de solidarité active au titre des mois de janvier à mai 2016 et de reprendre, à titre provisoire, à compter du mois de juin 2016, le versement du revenu de solidarité active sous réserve que l'intéressé remplisse les conditions de ressources auxquelles le bénéfice de cette prestation est subordonné.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 522-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale ". Le second alinéa de l'article R. 522-1 du même code dispose que : " A peine d'irrecevabilité, les conclusions tendant à la suspension d'une décision administrative ou de certains de ses effets doivent être présentées par requête distincte de la requête à fin d'annulation ou de réformation et accompagnées d'une copie de cette dernière ". Il résulte de ces dispositions qu'une demande tendant à la suspension de l'exécution d'une décision administrative ou de certains de ses effets est irrecevable si elle n'est pas accompagnée d'une copie de la demande à fin d'annulation ou de réformation de cette décision. Si cette irrecevabilité est susceptible d'être couverte en cours d'instance, y compris lors de l'audience pendant laquelle se poursuit l'instruction de la demande de suspension, il appartient au juge des référés de communiquer au défendeur la pièce ainsi produite, afin que soit respecté le caractère contradictoire de la procédure. En outre, si, en l'absence de production par le demandeur d'une copie de la requête à fin d'annulation, le juge des référés peut ne pas opposer d'irrecevabilité à la demande de suspension dès lors qu'il constate lui-même que la requête au fond a été adressée au greffe du tribunal, il doit, dans ce cas, verser cette requête au dossier afin que soit respecté le caractère contradictoire de l'instruction.

3. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la copie de la requête à fin d'annulation n'était pas jointe à la demande de suspension introduite par M. B...devant ce juge. Il ne ressort ni des énonciations de l'ordonnance attaquée ni des pièces de la procédure devant le juge des référés que cette requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris le 3 mai 2016 et visée par le juge des référés dans son ordonnance, ait été communiquée au défendeur avant la clôture de l'instruction. Par suite, le département de Paris est fondé à soutenir que l'ordonnance attaquée a été rendue au terme d'une procédure irrégulière.

4. Il résulte de ce qui précède que l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris doit être annulée. Le moyen retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens du pourvoi.

5. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de statuer sur la demande de suspension présentée par M.B....

Sur les fins de non-recevoir opposées par le département de Paris :

6. En premier lieu, le Conseil d'Etat a demandé au greffe du tribunal administratif de Paris de lui adresser la requête de M. B...tendant à l'annulation de la décision dont la suspension est demandée. Cette requête a été versée au dossier et communiquée au département de Paris dans le cadre de la présente instance de référé. Par suite, le département n'est pas fondé à soutenir que la demande de suspension serait irrecevable, faute de satisfaire aux exigences de l'article R. 522-1 du code de justice administrative.

7. En second lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Aux termes de l'article L. 262-47 du code de l'action sociale et des familles : " Toute réclamation dirigée contre une décision relative au revenu de solidarité active fait l'objet, préalablement à l'exercice d'un recours contentieux, d'un recours administratif auprès du président du conseil départemental (...) ". L'institution par ces dispositions d'un recours administratif, préalable obligatoire à la saisine du juge, a pour effet de laisser à l'autorité compétente pour en connaître le soin d'arrêter définitivement la position de l'administration. Il s'ensuit que la décision prise à la suite du recours se substitue, en principe, à la décision initiale.

8. Par suite, lorsqu'un requérant a présenté au juge des référés une demande tendant à la suspension de la décision d'une décision relative au revenu de solidarité active et qu'il a également formé, comme il en a l'obligation, un recours préalable auprès du président du conseil départemental, il lui appartient, lorsqu'intervient une décision implicite ou explicite de rejet de ce recours, de présenter de nouvelles conclusions tendant à la suspension de cette dernière décision et d'introduire une requête tendant à son annulation ou à sa réformation. A défaut, sa demande de suspension doit être rejetée comme irrecevable.

9. Il résulte de l'instruction que, à l'appui de sa demande de suspension de l'exécution de la décision du 21 décembre 2015, M. B...a produit la copie du recours préalable qu'il a formé auprès du président du conseil de Paris, reçu par celui-ci le 17 février 2016. Dès lors, en l'absence de décision explicite intervenue avant l'expiration du délai de deux mois imparti par le second alinéa de l'article R. 262-89 du code de l'action sociale et des familles, une décision implicite de rejet est née le 17 avril 2016, qui s'est substituée à celle du 15 décembre 2015. M. B...a, par ses mémoires enregistrés le 18 mai 2016 tant dans l'instance au fond que dans l'instance de référé, demandé respectivement l'annulation et la suspension de cette décision implicite de rejet. Par suite, le département de Paris n'est pas fondé à soutenir que sa demande de suspension, parce qu'elle serait dirigée contre la décision du 21 décembre 2015 à laquelle s'est substituée celle du 17 avril 2016, serait irrecevable.

Sur les conclusions à fin de suspension :

En ce qui concerne l'urgence :

10. Il résulte des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative citées au point 7 que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque l'exécution de la décision contestée porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

11. Il ressort du dernier état des écritures de M B...que la privation du revenu de solidarité active depuis le mois de janvier 2016 porte à sa situation, eu égard à ses difficultés financières, une atteinte grave et immédiate. Contrairement à ce que soutient le département de Paris, il n'est pas établi que cette atteinte soit imputable à son comportement. Ainsi, la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie.

En ce qui concerne l'existence de moyens propres à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse :

12. Il résulte des articles L. 262-36 et L. 262-37 du code de l'action sociale et des familles que le président du conseil départemental peut suspendre le versement du revenu de solidarité active, en tout ou partie, lorsque, du fait du bénéficiaire et sans motif légitime, le contrat énumérant les engagements réciproques du département et du bénéficiaire en matière d'insertion sociale ou professionnelle n'est pas établi dans les délais prévus ou n'est pas renouvelé.

13. En l'état de l'instruction, le moyen tiré de ce que le défaut d'établissement du contrat énumérant les engagements réciproques du département et du bénéficiaire dans les délais prévus ne serait pas le fait de M. B...est propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision en litige.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...est fondé à demander la suspension de l'exécution de la décision du 17 avril 2016.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

15. L'exécution de la présente décision implique nécessairement, sous réserve que M. B...remplisse les conditions de ressources auxquelles est soumis le bénéfice de cette prestation, la reprise du versement de l'allocation de revenu de solidarité active. Il y a lieu pour le Conseil d'Etat d'ordonner au président du conseil de Paris d'y procéder, sous cette réserve, à compter de la notification de la présente décision et jusqu'au jugement par lequel le tribunal administratif de Paris statuera sur la requête en annulation de la décision du 17 avril 2016, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte. En outre, eu égard aux motifs de la présente décision, l'éventuelle récupération des sommes versées à M. B...au titre des mois de juin à novembre 2016, en exécution de l'ordonnance du 19 mai 2016, sera réservée jusqu'à l'intervention du jugement du tribunal administratif de Paris.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de Paris la somme de 30 euros que M. B...demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 19 mai 2016 est annulée.

Article 2 : L'exécution de la décision implicite par laquelle le président du conseil de Paris a confirmé la décision du 21 décembre 2015 suspendant en totalité le versement à M. B...du revenu de solidarité active est suspendue.

Article 3 : Il est enjoint au président du conseil de Paris, dans les conditions énoncées au point 15, de reprendre le versement à M. B...du revenu de solidarité active.

Article 4 : La Ville de Paris versera à M. B...la somme de 30 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par M. B...au juge des référés du tribunal administratif de Paris est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée au département de Paris et à M. A...B....


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 400385
Date de la décision : 23/11/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 nov. 2016, n° 400385
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sabine Monchambert
Rapporteur public ?: M. Jean Lessi
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; BROUCHOT

Origine de la décision
Date de l'import : 17/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:400385.20161123
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