La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/11/2016 | FRANCE | N°394161

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 21 novembre 2016, 394161


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 21 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le GIE qualité Cocorette et l'association de défense des produits fermiers demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2015-1030 du 19 août 2015 relatif aux conditions d'utilisation des mentions valorisantes " fermier ", " produit de la ferme " ou " produit à la ferme " pour les oeufs de poules pondeuses de l'espèce Gallus gallus ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du

code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 21 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le GIE qualité Cocorette et l'association de défense des produits fermiers demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2015-1030 du 19 août 2015 relatif aux conditions d'utilisation des mentions valorisantes " fermier ", " produit de la ferme " ou " produit à la ferme " pour les oeufs de poules pondeuses de l'espèce Gallus gallus ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive n° 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et des règlementations techniques ;

- le règlement (CE) n° 589/2008 de la Commission du 23 juin 2008 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne les normes de commercialisation applicables aux oeufs ;

- le règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'information du consommateur sur les denrées alimentaires ;

- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de la consommation ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Déborah Coricon, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

Sur la légalité externe :

1. Considérant qu'aux termes de l'article 9-2 de la directive n° 98/34 du 22 juin 1998, " les États membres reportent: (...) de six mois l'adoption de tout autre projet de règle technique, à compter de la date de la réception par la Commission de la communication prévue à l'article 8, paragraphe 1, si la Commission ou un autre État membre émet, dans les trois mois qui suivent cette date, un avis circonstancié selon lequel la mesure envisagée présente des aspects pouvant éventuellement créer des obstacles à la libre circulation des marchandises dans le cadre du marché intérieur. / L'État membre concerné fait rapport à la Commission sur la suite qu'il a l'intention de donner à de tels avis circonstanciés. La Commission commente cette réaction ".

2. Considérant que les associations requérantes soutiennent que le décret attaqué a été pris en méconnaissance de ces dispositions faute de prise en compte de l'avis circonstancié émis par la Hongrie à l'occasion de la notification du projet de décret ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que cet avis a été reçu par la Commission européenne après l'expiration du délai de trois mois courant à compter du 3 octobre 2014, date de la notification à la Commission du projet de décret par les autorités françaises ; que, dans ces conditions, le Gouvernement pouvait, sans méconnaître les dispositions mentionnées ci-dessus de la directive du 22 juin 1998, adopter le décret attaqué.

Sur la légalité interne :

3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 7 du règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 : " Pratiques loyales en matière d'information - 1. Les informations sur les denrées alimentaires n'induisent pas en erreur, notamment : a) sur les caractéristiques de la denrée alimentaire et, notamment, sur la nature, l'identité, les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, le pays d'origine ou le lieu de provenance, le mode de fabrication ou d'obtention de cette denrée (...) " ; qu'aux termes de l'article 12 du règlement (CE) n° 589/2008 de la Commission du 23 juin 2008 : " 2. les emballages contenant des oeufs de catégorie A portent sur la face extérieure de manière facilement visible et parfaitement lisible une indication du mode d'élevage. / Pour l'identification du mode d'élevage, seules sont utilisés les mentions: a) pour l'élevage traditionnel et uniquement si les conditions correspondantes fixées à l'annexe II sont remplies, les mentions établies à l'annexe I, partie A ; b) pour le mode de production biologique, les mentions établies à l'article 2 du règlement (CEE) no 2092/91 du Conseil (...) / 3. Le paragraphe 2 s'applique sans préjudice de mesures techniques nationales qui iraient au-delà des exigences minimales établies à l'annexe II et ne s'appliqueraient qu'aux producteurs de l'État membre concerné, pour autant qu'elles soient compatibles avec le droit communautaire. " ; qu'en vertu de l'annexe I, partie A du même règlement, les mentions visées par ces dispositions sont : " oeufs de poules élevées en plein air ", " oeufs de poules élevées au sol " et " oeufs de poules élevées en cage " ; qu'aux termes de l'article 15 du même règlement : " Lorsqu'une indication du mode d'alimentation des poules pondeuses est utilisée, les exigences minimales suivantes s'appliquent: a) la mention de céréales comme composant des aliments n'est autorisée que si les céréales constituent au moins 60 % en poids de la formule d'alimentation utilisée, dont au maximum 15 % de sous-produits de céréales " ; que le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles autorise par ailleurs, à son article 85, l'utilisation de mentions réservées facultatives énumérées à l'annexe IX, notamment, en ce qui concerne les oeufs, " frais ", " extra ou extra frais ", " indication du mode d'alimentation des poules pondeuses ".

4. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 640-2 du code rural : " Les produits agricoles, forestiers ou alimentaires et les produits de la mer peuvent, dans les conditions prévues par le présent titre et lorsqu'il n'y a pas de contradiction avec la réglementation communautaire, bénéficier d'un ou plusieurs modes de valorisation appartenant aux catégories suivantes : / 1° Les signes d'identification de la qualité et de l'origine : / - le label rouge, attestant la qualité supérieure ; / - l'appellation d'origine, l'indication géographique protégée et la spécialité traditionnelle garantie, attestant la qualité liée à l'origine ou à la tradition ; / - la mention " agriculture biologique ", attestant la qualité environnementale ; / 2° Les mentions valorisantes : / - la dénomination " montagne " ; / - le qualificatif " fermier " ou la mention " produit de la ferme " ou " produit à la ferme " ; / - les termes " produits pays " dans les départements d'outre-mer ; / - la dénomination " vin de pays ", suivie d'une zone de production ou d'un département ; / 3° La démarche de certification des produits. " ; qu'aux termes de l'article L. 641-19 du code rural : " Sans préjudice des réglementations communautaires ou nationales en vigueur à la date de promulgation de la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999 d'orientation agricole et des conditions approuvées à la même date pour bénéficier d'un label agricole, l'utilisation du qualificatif " fermier ", des mentions " produit de la ferme ", " produit à la ferme " (...) est subordonnée au respect de conditions fixées par décret ".

5. Considérant que le décret attaqué insère, notamment, dans le code rural et de la pêche maritime un article D. 641-57-6 aux termes duquel : " Les conditions d'utilisation du qualificatif " fermier ", les mentions " produit de la ferme " ou " produit à la ferme " dans la publicité, l'étiquetage ou la présentation des oeufs de poules pondeuses de l'espèce Gallus gallus sont définies à la présente sous-section " ; qu'en vertu de l'article D. 641-57-7 du même code, " 1° Les poules pondeuses sont élevées selon le mode de production biologique ou selon les dispositions du 1 de l'annexe II du règlement (CE) n° 589/2008 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne les normes de commercialisation applicables aux oeufs permettant l'utilisation de la mention " oeufs de poules élevées en plein air " ; / 2° L'exploitation où sont élevées les poules pondeuses répond aux caractéristiques suivantes : - l'exploitant est propriétaire des poules pondeuses assurant la production des oeufs et est responsable de la conduite de l'élevage ; - l'exploitant produit des céréales utilisées pour l'alimentation des poules pondeuses ou s'approvisionne auprès d'exploitations agricoles situées dans le département ou les départements limitrophes ; - la production d'oeufs ne constitue pas la seule source de revenu de l'exploitant ; - le nombre de poules pondeuses présentes sur l'exploitation n'excède pas 6 000 ; - les oeufs sont ramassés et triés manuellement et quotidiennement soit directement dans les pondoirs, soit après leur évacuation directe des pondoirs jusqu'à une table de tri. " ; qu'il insère également un article D. 641-57-8 selon lequel : " L'étiquetage des emballages d'oeufs porte l'indication du mode d'alimentation des poules pondeuses mentionné au a de l'article 15 du règlement (CE) n° 589/2008 de la Commission du 23 juin 2008 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne les normes de commercialisation applicables aux oeufs. / Dans le cas de la vente en vrac, cette indication est mentionnée sur un panneau situé à proximité du lieu de vente des oeufs ".

6. Considérant que les associations requérantes font valoir, en premier lieu, que le décret attaqué, en précisant les conditions d'utilisation du qualificatif " fermier " seulement en ce qui concerne les oeufs, alors que les autres mentions valorisantes prévues à l'article L. 640-2 du code rural et de la pêche maritime ont fait l'objet de conditions générales définies pour l'ensemble des catégories de produits, méconnaît les dispositions de l'article L. 641-19 du code rural et de la pêche maritime ; que, toutefois, ce moyen doit être écarté dès lors que le pouvoir réglementaire pouvait légalement mettre en oeuvre l'habilitation figurant à l'article L. 640-2 du code rural et de la pêche maritime en adoptant des dispositions précises, adaptées au mode de production des oeufs de poule.

7. Considérant que si les associations requérantes soutiennent, en deuxième lieu, que le décret attaqué autoriserait un mode d'élevage des poules pondeuses selon des normes de qualité moins strictes que celles qui seraient exigées pour l'obtention d'un label rouge, il résulte des dispositions précitées que diffèrent par leur finalité et leur régime juridique, et doivent donc être distingués, les signes d'identification de la qualité et de l'origine qui attestent du niveau d'une qualité liée, pour certains d'entre eux, à une origine géographique, à une tradition ou à un mode de production " biologique ", et les mentions valorisantes " fermier ", " produit de la ferme " ou " produit à la ferme ", qui indiquent une origine fermière des produits évoquant, dans l'esprit de l'acheteur ou du consommateur, une élaboration de ces produits, à ses différents stades, sous la responsabilité directe de l'exploitant, selon des méthodes excluant les techniques de production à caractère industriel ; qu'ainsi, le moyen invoqué ne peut qu'être écarté.

8. Considérant, en troisième lieu, que, contrairement à ce que soutiennent les associations requérantes, le décret attaqué, en ce qu'il autorise que les oeufs soient ramassés et triés manuellement et quotidiennement soit directement dans les pondoirs, soit après leur évacuation directe des pondoirs jusqu'à une table de tri, n'autorise pas des modalités de ramassage caractérisant le recours à des techniques de production industrielles incompatibles avec l'utilisation du qualificatif " fermier " ; qu'il en va de même des dispositions attaquées prévoyant une taille maximale d'exploitation limitée à 6000 poules pondeuses.

9. Considérant, en quatrième lieu, que les associations requérantes soutiennent qu'en prévoyant que les céréales utilisées pour l'alimentation des poules pondeuses proviennent de l'exploitation agricole concernée ou d'exploitations agricoles situées dans le département de ladite exploitation ou dans les départements limitrophes, sans prévoir aucune part minimale des céréales dans l'alimentation des poules, le décret attaqué ne définirait pas les conditions dans lesquelles les poules doivent être alimentées avec une précision et une rigueur suffisantes pour garantir, aux yeux des consommateurs, la compatibilité de cette alimentation avec le caractère fermier des oeufs ; que, toutefois, le moyen tiré de ce que le décret attaqué ne comporterait pas de précision suffisante en ce qui concerne le mode d'alimentation des poules manque en fait dès lors que l'article D. 641-57-8 prévoit que l'étiquetage des emballages d'oeufs porte l'indication du mode d'alimentation des poules pondeuses mentionné au a de l'article 15 du règlement (CE) n° 589/2008 de la Commission du 23 juin 2008, lequel impose, lorsqu'une indication du mode d'alimentation des poules pondeuses comporte la mention de céréales comme composant des aliments, que les céréales constituent au moins 60 % en poids de la formule d'alimentation utilisée, dont au maximum 15 % de sous-produits de céréales.

10. Considérant, en cinquième lieu, que les associations requérantes soutiennent qu'en définissant, même de manière insuffisamment précise, une mention valorisante correspondant à un mode d'élevage non prévu par les dispositions du règlement n° 589/2008 de la Commission du 23 juin 2008, le décret attaqué a violé ces dispositions ; que, toutefois, la définition par les dispositions attaquées des conditions d'utilisation de la mention valorisante " fermier ", dont l'objet se borne à réglementer les conditions d'information du consommateur sur les caractéristiques d'un produit, n'a pas constitué, y compris par l'indication d'un mode d'alimentation des poules pondeuses au demeurant expressément autorisée pour les oeufs de catégorie A par l'annexe IX au règlement (UE) n° 1308/2013 citée au point 3 ci-dessus, la définition de méthodes d'élevages distinctes de celles prévues par le règlement n° 589/2008 de la Commission du 23 juin 2008 ; que ce moyen doit donc être écarté .

11. Considérant, enfin, qu'il résulte des motifs qui précèdent que le GIE et l'association requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions du décret attaqué, qui sont suffisamment précises pour ne pas induire le consommateur en erreur, seraient entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions GIE qualité Cocorette et l'association de défense des produits fermiers à fin d'annulation de ce décret ainsi que leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête du GIE qualité Cocorette et de l'association de défense des produits fermiers est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au GIE Qualité Cocorette, à l'Association de Défense des Produits Fermiers, au Premier ministre, au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 394161
Date de la décision : 21/11/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 nov. 2016, n° 394161
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Déborah Coricon
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher

Origine de la décision
Date de l'import : 17/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:394161.20161121
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award