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21/11/2016 | FRANCE | N°390497

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 21 novembre 2016, 390497


Vu la procédure suivante :

La société de droit belge Fibelpar a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution des retenues à la source prélevées sur les dividendes qui lui ont été versés par des sociétés françaises au cours des années 2008 et 2009. Par un jugement n° 1011708 du 24 février 2012, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à cette demande.

Par un arrêt n° 12VE02228 du 29 janvier 2015, la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur le recours du ministre de l'économie et des finances, a annulé ce

jugement et remis les retenues à la source litigieuses à la charge de la société...

Vu la procédure suivante :

La société de droit belge Fibelpar a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution des retenues à la source prélevées sur les dividendes qui lui ont été versés par des sociétés françaises au cours des années 2008 et 2009. Par un jugement n° 1011708 du 24 février 2012, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à cette demande.

Par un arrêt n° 12VE02228 du 29 janvier 2015, la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur le recours du ministre de l'économie et des finances, a annulé ce jugement et remis les retenues à la source litigieuses à la charge de la société.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 mai et 27 août 2015 et les 18 avril et 21 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Fibelpar demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter le recours du ministre de l'économie et des finances ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur l'Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 90/345/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 ;

- la convention conclue entre la France et la Belgique en vue d'éviter les doubles impositions du 10 mars 1964 ;

- le code général des impôts ;

- les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 14 décembre 2006, Sté Denkavit Internationaal BV (C-170/05), du 14 novembre 2006, Kerckhaert et Morres (C-513/04), du 8 novembre 2007, Amurta SGPS (C-379/05), du 22 décembre 2008, Belgique c/Truck Centrer SA (C-282/07) et les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne du 20 octobre 2011, Commission c/ Allemagne (C-284/09) et du 10 mai 2012, Santander Asset management SGIIC et autres (C-338/11 à C-347/11) ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Lignereux, auditeur,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Ortscheidt, avocat de la société Fibelpar ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187-1 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. (...) ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Fibelpar, dont le siège social est situé en Belgique, a perçu au cours des années 2008 et 2009 des dividendes distribués par des sociétés françaises. Par une réclamation qui a été rejetée par l'administration fiscale, elle a demandé la restitution de la retenue à la source de 15 % à laquelle ces distributions ont été soumises en application des dispositions précitées du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, combinées avec les stipulations de la convention fiscale du 10 mars 1964 conclue entre la France et la Belgique. La société Fibelpar se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 29 janvier 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel du ministre de l'économie et des finances, annulé le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 24 février 2012 qui prononçait la restitution à la société requérante de ces retenues à la source.

Sur les moyens tirés d'une discrimination par rapport aux sociétés déficitaires résidentes de France :

3. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne applicable au litige, devenu l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites ". Aux termes de l'article 58 du même traité, devenu l'article 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. L'article 56 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres : a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ; (...) 3. Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l'article 56 ".

4. Il résulte de ces stipulations, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que les désavantages pouvant découler de l'exercice parallèle des compétences fiscales des différents Etats membres, pour autant qu'un tel exercice ne soit pas discriminatoire, ne constituent pas des restrictions interdites par le traité instituant la Communauté européenne. Toutefois, lorsqu'un Etat membre exerce sa compétence fiscale à l'égard de contribuables résidents et non résidents, pour que la réglementation fiscale nationale qu'il applique à ces contribuables puisse être regardée comme compatible avec les stipulations du traité relatives à la liberté de circulation des capitaux, la différence de traitement entre les contribuables selon leur Etat de résidence doit concerner des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou être justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général. En matière d'impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont, en règle générale, pas comparables. A l'égard des mesures prévues par un Etat membre afin de prévenir ou d'atténuer l'imposition en chaîne ou la double imposition économique de bénéfices distribués par une société résidente, les actionnaires bénéficiaires résidents ne se trouvent pas nécessairement dans une situation comparable à celle d'actionnaires bénéficiaires résidents d'un autre Etat membre. Cependant, lorsqu'un Etat membre, de manière unilatérale ou par voie conventionnelle, assujettit à l'impôt non seulement les actionnaires résidents mais également les actionnaires non résidents pour les dividendes qu'ils perçoivent d'une société résidente, la situation des actionnaires non résidents se rapproche de celle des actionnaires résidents. En pareil cas, pour que les sociétés bénéficiaires non résidentes ne soient pas confrontées à une restriction à la liberté de circulation des capitaux prohibée, en principe, par ces stipulations, l'Etat de résidence de la société distributrice doit veiller à ce que, par rapport au mécanisme prévu par son droit interne afin de prévenir ou d'atténuer l'imposition en chaîne ou la double imposition économique, les sociétés actionnaires non résidentes soient soumises à un traitement équivalent à celui dont bénéficient les sociétés actionnaires résidentes. Pour les participations ne relevant pas de la directive 90/345/CEE du Conseil du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents, il appartient ainsi aux Etats membres de déterminer si, et dans quelle mesure, la double imposition économique des bénéfices distribués doit être évitée et d'introduire à cet effet, de façon unilatérale ou par voie de conventions conclues avec d'autres Etats membres, des mécanismes visant à prévenir ou à atténuer cette double imposition dans le respect de la liberté de circulation des capitaux.

5. En premier lieu, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, par une motivation suffisante, qu'une société non résidente en situation déficitaire et qui ne relève pas du régime fiscal des sociétés mères et une société établie en France placée dans la même situation ne peuvent être regardées comme étant dans une situation objectivement comparable dès lors que la détermination du résultat imposable de ces deux sociétés procède des règles fiscales propres à la législation de chacun de ces Etats membres.

6. En second lieu, aucune disposition du droit interne français ne prévoit une exonération des dividendes reçus par une société résidente qui ne relève pas du régime fiscal des sociétés mères lorsque ses résultats sont déficitaires. En effet, ces dividendes sont effectivement compris dans le résultat de cette société et viennent en diminution du déficit reportable. Lorsque le résultat de cette société redevient bénéficiaire, la diminution de ce déficit reportable implique que ces dividendes seront effectivement imposés à l'impôt sur les sociétés au titre d'une année ultérieure au taux de droit commun alors applicable. S'il en résulte un décalage dans le temps entre la perception de la retenue à la source afférente aux dividendes payés à la société non résidente et l'impôt établi à l'encontre de la société établie en France au titre de l'exercice où ses résultats redeviennent bénéficiaires, ce décalage procède d'une technique différente d'imposition des dividendes perçus par la société selon qu'elle est non résidente ou résidente. Le seul désavantage de trésorerie que comporte la retenue à la source pour la société non résidente ne peut ainsi être regardé comme constituant une différence de traitement caractérisant une restriction à la liberté de circulation des capitaux. La cour n'a pas commis d'erreur de droit en se fondant sur ces motifs pour en déduire que les dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts ne sont pas incompatibles avec la liberté de circulation des capitaux telle qu'elle a été interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne.

Sur les moyens tirés d'une discrimination par rapport aux sociétés d'investissement à capital variable françaises :

7. Devant la cour, la requérante soutenait également qu'en tant que société de portefeuille de droit belge, elle aurait un objet social similaire à celui des sociétés d'investissement à capital variable de droit français, qui bénéficient d'une exonération d'impôt sur les sociétés, et qu'il y aurait lieu, dès lors, de faire application des principes retenus par la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt du 10 mai 2012, Santander Asset management SGIIC et autres (C-338/11 à C-347/11). La cour n'a pas commis d'erreur de droit en écartant ce moyen au motif que la société requérante n'établissait ni même n'alléguait satisfaire aux critères qui lui auraient ouvert droit, en France, à cette exonération, et notamment qu'elle ne contestait pas ne pas avoir l'obligation de procéder, à la demande des investisseurs, au rachat de leurs actions.

Sur les autres moyens du pourvoi :

8. En premier lieu, la circonstance que la cour ait dénaturé les écritures en écartant un moyen tiré de l'invocation des articles 2, 3 et 10 du traité sur l'Union européenne que la société requérante n'avait pas développé est sans incidence sur le bien-fondé de son arrêt.

9. En second lieu, devant la cour, la société faisait valoir que, comme l'indiquait une attestation de l'administration fiscale belge qu'elle produisait, les sociétés de portefeuille belges bénéficient, " pour la plupart ", du régime mère-fille. En écartant ce moyen au motif qu'il ne résultait pas de l'instruction que les participations en litige relèvent de la directive mère-fille, sans informer les parties au préalable de son intention de se fonder sur ce motif, la cour n'a pas méconnu le caractère contradictoire de la procédure.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Fibelpar n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de la société Fibelpar est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Fibelpar et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 390497
Date de la décision : 21/11/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 21 nov. 2016, n° 390497
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bastien Lignereux
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP ORTSCHEIDT

Origine de la décision
Date de l'import : 17/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:390497.20161121
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