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21/11/2016 | FRANCE | N°389692

France | France, Conseil d'État, 5ème - 4ème chambres réunies, 21 novembre 2016, 389692


Vu la procédure suivante :

Par une requête et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 22 avril 2015, 22 juillet 2015, 3 février 2016 et 6 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé sur sa demande adressée à la directrice des ressources et des compétences de la police nationale le 21 janvier 2015 et tendant à l'abrogation du décret n° 2013-1270 du 27 décembre 2013 portant création d'une indemnité compensatoire pouvant être alloué

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Vu la procédure suivante :

Par une requête et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 22 avril 2015, 22 juillet 2015, 3 février 2016 et 6 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé sur sa demande adressée à la directrice des ressources et des compétences de la police nationale le 21 janvier 2015 et tendant à l'abrogation du décret n° 2013-1270 du 27 décembre 2013 portant création d'une indemnité compensatoire pouvant être allouée à certains fonctionnaires admis en qualité d'élève en formation initiale à l'Ecole nationale supérieure de la police ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger ce décret et d'adopter un décret conforme au principe d'égalité de traitement des fonctionnaires avec effet rétroactif au 1er janvier 2014 ;

3°) subsidiairement, d'enjoindre au Premier ministre d'adopter un décret conforme au principe d'égalité de traitement des fonctionnaires applicable pour l'avenir et de lui verser la somme de 1 344 euros multipliée par le nombre de mois durant lesquels il n'aura pas perçu l'indemnité compensatoire, à compter du 1er septembre 2014 et jusqu'à l'adoption du nouveau décret, assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 octobre 2014 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 2001-722 du 31 juillet 2001 ;

- le décret n° 2013-617 du 11 juillet 2013 ;

- le décret n° 2013-1144 du 11 décembre 2013 ;

- le décret n° 2013-1269 du 27 décembre 2013 ;

- le décret n° 2013-1270 du 27 décembre 2013 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume Leforestier, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M.B....

1. Considérant que les fonctionnaires des services actifs de la police nationale bénéficient en vertu du décret du 11 juillet 2013 visé ci-dessus d'une indemnité pour sujétion spéciale de police dont le montant est déterminé par application aux émoluments soumis à retenue pour pension d'un taux qui varie en fonction des corps et des emplois ; que ce décret a été modifié par le décret n° 2013-1269 du 27 décembre 2013 qui a fixé des taux compris entre 10 % et 26 %, en instituant notamment un taux de 10 % applicable aux élèves en formation initiale à l'Ecole nationale supérieure de la police (ENSP) ; que le décret n° 2013-1270 du même jour a créé une indemnité compensatoire pouvant être allouée à certains fonctionnaires admis en qualité d'élèves en formation initiale à l'ENSP ; que son article 1er réserve cette indemnité aux élèves commissaires et aux élèves officiers recrutés par les voies ouvertes aux seuls fonctionnaires ; que son article 2 dispose que le montant de l'indemnité compensatoire est égal à la différence entre le montant de l'indemnité de sujétions spéciales de police dont les intéressés bénéficiaient avant leur entrée à l'ENSP et le montant de cette même indemnité qu'ils perçoivent en tant qu'élèves, augmenté du montant de l'allocation de maîtrise dont ils bénéficiaient en qualité de membres du corps de maîtrise et d'application de la police nationale ou de la part responsabilité de l'indemnité de responsabilité et de performance dont ils bénéficiaient en qualité de membres du corps de commandement de la police nationale ;

2. Considérant que M.B..., inspecteur des finances publiques reçu au concours interne de commissaire de police et détaché dans le corps des commissaires en qualité d'élève de l'ENSP à compter du 1er septembre 2014, estime que le décret n° 2013-1270 méconnaît le principe d'égalité en ouvrant aux seuls fonctionnaires des services actifs de la police nationale admis dans cette école par les voies ouvertes aux fonctionnaires de bénéficier, pendant leur scolarité, d'une indemnité compensant celles qu'ils percevaient dans leur corps d'origine ; qu'il a, le 21 janvier 2015, saisi le ministre de l'intérieur d'une demande tendant à l'abrogation de ce décret ; qu'il demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle cette demande a été rejetée ;

Sur la recevabilité de la requête :

3. Considérant qu'en sa qualité d'élève commissaire, M. B...justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation du refus d'abroger le décret litigieux en tant qu'il concerne les élèves commissaires mais non en tant qu'il concerne les élèves officiers ; que les dispositions du décret relatives aux élèves officiers sont divisibles de celles relatives aux élèves commissaires ; qu'il suit de là, comme le soutient le ministre de l'intérieur, que la requête est irrecevable en tant qu'elle tend à l'annulation du refus d'abroger le décret en tant qu'il concerne les élèves officiers ;

Sur la légalité de la décision attaquée :

4. Considérant que le principe d'égalité de traitement des fonctionnaires s'apprécie entre fonctionnaires d'un même corps placés dans une situation identique ; qu'aux termes de l'article 14 de la loi du 13 juillet 1983 : " Nonobstant toute disposition contraire prévue dans les statuts particuliers, les agents détachés sont soumis aux mêmes obligations et bénéficient des mêmes droits, notamment à l'avancement et à la promotion, que les membres du corps ou cadre d'emplois dans lequel ils sont détachés " ; que les élèves commissaires issus de la fonction publique sont, quel que soit leur corps d'origine, placés en position de détachement dans le corps de conception et de direction de la police nationale, au grade de commissaire de police et à l'échelon d'élève puis de stagiaire ; que le ministre de l'intérieur n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que le principe d'égalité entre fonctionnaires du même corps ne s'appliquerait pas entre ces élèves ;

5. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 2 du décret du 27 décembre 2013 : " Le montant de l'indemnité compensatoire est égal à la différence entre le montant de l'indemnité de sujétions spéciales de police, régie par le décret du 11 juillet 2013 susvisé, dont les fonctionnaires mentionnés à l'article 1er bénéficiaient avant leur entrée à l'Ecole nationale supérieure de police et le montant de cette même indemnité qu'ils perçoivent en tant qu'élève. / A ce montant s'ajoute le montant de l'allocation de maîtrise, régie par le décret du 31 juillet 2001 susvisé, ou le montant de la part responsabilité de l'indemnité de responsabilité et de performance, régie par le décret n° 2013-1144 du 11 décembre 2013 susvisé, que percevaient les fonctionnaires mentionnés à l'article 1er avant leur entrée à l'Ecole nationale supérieure de police. / Le versement de l'indemnité compensatoire est mensuel " ; qu'il résulte de ces dispositions que le bénéfice de l'indemnité compensatoire est réservé aux élèves qui appartenaient, avant leur admission à l'ENSP, à un corps des services actifs de la police nationale et qui, à ce titre, bénéficiaient de l'indemnité de sujétions spéciales de police régie par le décret du 11 juillet 2013 et de l'allocation de maîtrise prévue par le décret du 31 juillet 2001 ou de l'indemnité de responsabilité et de performance prévue par le décret du 11 décembre 2013 ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, la circonstance que certains élèves commissaires aient été, avant leur admission à l'ENSP, fonctionnaires des corps des services actifs de la police nationale et aient à ce titre bénéficié d'indemnités et de primes spécifiques tenant compte de la nature particulière des fonctions et des missions qui leur étaient confiées, ne saurait les faire regarder comme jouissant, durant leur scolarité, d'un statut spécial ou d'une qualité que les élèves commissaires non issus de ces corps n'acquerraient qu'après leur titularisation ; que, durant leur scolarité, les élèves issus des corps des services actifs de la police nationale n'accomplissent pas leur service dans des conditions différentes des autres élèves ; qu'aucun motif d'intérêt général ne justifie l'institution à leur bénéfice d'une indemnité compensant la perte d'avantages financiers, à laquelle ne peuvent prétendre les élèves issus d'autres corps de la fonction publique ; que, par suite, M. B...est également fondé à soutenir que l'article 2 du décret litigieux porte une atteinte illégale au principe d'égalité ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B...est fondé à demander l'annulation de la décision implicite de refus d'abroger le décret du 27 décembre 2013 en tant qu'il concerne les élèves commissaires ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ;

9. Considérant qu'en conséquence de l'annulation du refus d'abroger le décret du 27 décembre 2013, il incombe au Premier ministre d'abroger ce décret, en tant qu'il concerne les élèves commissaires, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision ; qu'en revanche, cette annulation, eu égard à ses motifs, n'implique pas nécessairement que le Premier ministre édicte de nouvelles dispositions afin d'instituer une indemnité compensatoire bénéficiant à l'ensemble des élèves commissaires issus de la fonction publique ;

Sur les conclusions indemnitaires :

10. Considérant que M. B...demande l'indemnisation du préjudice qu'il a subi du fait de la différence illégale de traitement résultant du décret du 27 décembre 2013 ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice résultant de l'atteinte au principe d'égalité en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros ;

Sur les conclusions de M. B...présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à M.B..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : La décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté la demande tendant à l'abrogation du décret n° 2013-1270 du 27 décembre 2013, en tant qu'il concerne les élèves commissaires, est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre d'abroger le décret n° 2013-1270 du 27 décembre 2013 en tant qu'il concerne les élèves commissaires.

Article 3 : L'Etat versera à M. B...une indemnité d'un montant de 3 000 euros.

Article 4 : L'Etat versera à M. B...une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B...est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. A...B..., au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 5ème - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 389692
Date de la décision : 21/11/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 nov. 2016, n° 389692
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Guillaume Leforestier
Rapporteur public ?: Mme Laurence Marion
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:389692.20161121
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