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21/11/2016 | FRANCE | N°386249

France | France, Conseil d'État, 5ème - 4ème chambres réunies, 21 novembre 2016, 386249


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

Le directeur régional des affaires sanitaires et sociales des Pays-de-Loire a formé devant la chambre de discipline du conseil régional de l'ordre des pharmaciens des Pays-de-Loire, le 16 décembre 2009, une plainte dirigée contre la personne morale titulaire de l'officine Saint-Joseph, située au Mans, et contre M. B...C...et, le 10 février 2010, une plainte dirigée contre M.C.... Par une décision n° CD 2009-21-GB du 20 mai 2011, la chambre de discipline a prononcé contre la personne morale titulaire de l'officine la

sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant six mois dont t...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

Le directeur régional des affaires sanitaires et sociales des Pays-de-Loire a formé devant la chambre de discipline du conseil régional de l'ordre des pharmaciens des Pays-de-Loire, le 16 décembre 2009, une plainte dirigée contre la personne morale titulaire de l'officine Saint-Joseph, située au Mans, et contre M. B...C...et, le 10 février 2010, une plainte dirigée contre M.C.... Par une décision n° CD 2009-21-GB du 20 mai 2011, la chambre de discipline a prononcé contre la personne morale titulaire de l'officine la sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant six mois dont trois mois avec sursis. Par une décision n° CD 2009-20-GB, CD 2010-03-GB du même jour, la chambre de discipline de première instance a prononcé contre M. C...la sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant une durée de neuf mois dont deux mois avec sursis.

Par une décision n° AD 3321, AD 3324 du 26 juin 2012, la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, statuant sur les appels de M. C...et de la directrice générale de l'Agence régionale de santé (ARS) des Pays-de-Loire, a annulé la décision prononçant une sanction contre la personne morale titulaire de l'officine, rejeté la plainte dirigée à son encontre, rejeté le surplus des requêtes et décidé que la partie non assortie du sursis de la sanction prononcée contre M. C...serait exécutée du 1er octobre au 31 avril 2013.

Par une décision n° 362695 du 2 octobre 2013, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé la décision de la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens et renvoyé à cette chambre les appels de M. C...et de la directrice générale de l'ARS des Pays-de-Loire.

Par une décision n° AD 3502 du 6 octobre 2014, la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, statuant sur l'appel de M. C...et sur l'appel de la directrice générale de l'ARS des Pays-de-Loire, a, d'une part, annulé la décision du 20 mai 2011 prononçant une sanction contre la personne morale titulaire de l'officine et rejeté la plainte dirigée à son encontre, d'autre part, annulé pour irrégularité la décision prononçant une sanction contre M.C..., évoqué les plaintes le concernant et prononcé à son encontre la sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant neuf mois dont deux mois avec sursis.

Procédure devant le Conseil d'Etat :

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 5 décembre 2014, 4 mars 2015, 15 mars et 5 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision en tant qu'elle prononce une sanction à son encontre ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les plaintes du directeur régional des affaires sociales et sanitaires des Pays-de-Loire des 16 décembre 2009 et 11 février 2010 en tant qu'elles le concernent ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne ;

- la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 ;

- la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2007-248 du 26 février 2007 ;

- la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Marlange de la Burgade, avocat de M. C...et à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat du Conseil national de l'ordre des pharmaciens.

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de deux inspections réalisées les 9 octobre 2008 et 16 décembre 2009 par un pharmacien inspecteur de santé publique dans les locaux de la pharmacie Saint-Joseph, au Mans, le directeur régional des affaires sanitaires et sociales des Pays-de-Loire a formé auprès de la chambre de discipline du conseil régional de l'ordre des pharmaciens des Pays-de-Loire deux plaintes dirigées, la première, contre M. C...et contre la personne morale titulaire de l'officine, la seconde, contre le seul M. C...; que, par deux décisions du 20 mai 2011, la chambre de discipline du conseil régional a, d'une part, prononcé contre la personne morale titulaire de l'officine la sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pour une durée de six mois, dont trois mois avec sursis, d'autre part, joint les deux instances concernant M. C...et prononcé à son encontre la sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pour une durée de neuf mois, dont deux mois avec sursis ; que la chambre de discipline du conseil national de l'ordre des pharmaciens a statué sur les appels dirigés contre ces décisions par une décision du 26 juin 2013 qui a été annulée par le Conseil d'Etat statuant au contentieux ; que, statuant à nouveau par une décision du 6 octobre 2014, elle a, d'une part, constaté que les chambres disciplinaires n'étaient pas compétentes à l'égard de la personne morale titulaire de la pharmacie Saint-Joseph, qui possédait le statut d'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, et annulé la décision la concernant, d'autre part, annulé pour irrégularité la décision relative à M. C..., évoqué les plaintes le concernant et prononcé à son encontre la sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant neuf mois dont deux mois avec sursis ; que M. C... demande que sa décision soit annulée en tant qu'elle lui inflige cette sanction ;

2. Considérant que, dans un mémoire enregistré le 26 août 2014, M. C...a soutenu devant la chambre de discipline du conseil national de l'ordre des pharmaciens que les constatations auxquelles il avait été procédé lors des inspections réalisées les 9 octobre 2008 et 16 décembre 2009 avaient été faites dans des conditions irrégulières, contraires au droit au respect du domicile garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, faute pour les pharmaciens inspecteurs de santé publique de l'avoir informé de son droit de s'opposer à ces inspections ; que la décision attaquée, qui fonde la sanction sur les seules " constatations opérées sur place par un pharmacien-inspecteur assermenté " sans prendre parti sur l'argumentation ainsi soulevée devant la chambre de discipline, est entachée d'insuffisance de motivation ; qu'il y a lieu, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, d'annuler sa décision du 6 octobre 2014 en tant qu'elle évoque les plaintes dirigées contre M. C...et prononce une sanction à son encontre ;

3. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire " ; qu'il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond dans la limite de la cassation prononcée ;

Sur la procédure d'inspection :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; que si le droit au respect du domicile que ces stipulations protègent s'applique également, dans certaines circonstances, aux locaux où des professionnels exercent leurs activités, il doit être concilié avec les finalités légitimes du contrôle, par les autorités publiques, du respect des règles qui s'imposent à ces professionnels dans l'exercice de leurs activités ; que le caractère proportionné de l'ingérence que constitue la mise en oeuvre, par une autorité publique, de ses pouvoirs de visite et de contrôle des locaux professionnels résulte de l'existence de garanties effectives et appropriées, compte tenu, pour chaque procédure, de l'ampleur et de la finalité de ces pouvoirs ;

5. Considérant qu'il résulte tant des dispositions de l'article L. 1421-2 du code de la santé publique, dans sa version applicable à l'inspection réalisée le 9 novembre 2008, que des dispositions combinées des article L. 1421-1 et L. 1421-2-1, dans leur version applicable à la visite réalisée le 16 décembre 2009, que, lorsqu'un pharmacien, membre d'une profession réglementée, s'oppose aux contrôles exercés par des pharmaciens inspecteurs de santé publique, ceux-ci peuvent demander que la visite soit ordonnée par le juge judicaire, " sans préjudice des poursuites pénales qui peuvent être exercées en application de l'article L.1425-1 " ; qu'ainsi, M. C... n'est pas fondé à soutenir que le pharmacien disposerait d'un droit à s'opposer à la visite de son officine, dont il devrait être informé avant cette visite ; que si les articles L. 1421-1 et L. 1421-3 reconnaissent aux inspecteurs de santé publique un très large pouvoir de visite et de contrôle des locaux professionnels ainsi qu'un pouvoir d'accès aux documents et produits de toute nature qui s'y trouvent, l'ingérence que constitue la mise en oeuvre de ces pouvoirs doit s'apprécier au vu de leur finalité légitime, qui est notamment d'assurer la santé publique et la sécurité sanitaire des particuliers ; que cette finalité, ainsi que les garanties statutaires apportées par l'appartenance des agents de contrôle au corps des pharmaciens inspecteurs de santé publique assermentés, justifient que ces visites ne soient pas soumises à l'autorisation préalable du juge, au contrôle duquel elles peuvent toujours être ultérieurement déférées ; qu'ainsi, M.C... n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que les faits retenus contre lui auraient été recueillis à l'occasion d'une inspection conduite en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la régularité des poursuites engagées contre M. C...:

6. Considérant que M. C...soutient que les rapports d'inspection, la plainte et le rapport de première instance ayant été établis contre la seule personne morale titulaire de la pharmacie Saint-Joseph et non contre lui, les poursuites engagées contre lui manquent de fondement ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que la pharmacie Saint-Joseph est constituée sous forme d'une EURL dont M. C...est l'unique associé et le gérant ; que, dans ces conditions, les inspections menées à l'égard de l'EURL devaient être regardées comme ayant été régulièrement accomplies à l'égard de l'intéressé ; qu'au surplus, ainsi qu'il a été rappelé au point 1, les inspections dont cette officine a fait l'objet ont donné lieu à plusieurs plaintes auprès de l'ordre des pharmaciens dirigées tant contre la pharmacie que contre M. C...; que, par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les poursuites n'ont pas été régulièrement engagées à son égard ;

Sur les griefs soulevés par l'administration :

7. Considérant, en premier lieu, qu'au cours de l'inspection du 9 octobre 2008, il a été constaté qu'un membre du personnel de l'officine de M. C...ne portait pas l'insigne indiquant sa qualité, en méconnaissance de l'article L. 5125-29 du code de la santé publique ; que l'inspection a révélé une mauvaise tenue de cette officine, où des matières premières étaient stockées de manière inadéquate et un médicament contre l'asthme maintenu en vente un mois après sa date limite d'utilisation, en méconnaissance des articles R. 4235-55 et R. 4235-12 ; que l'inspection a également révélé que l'officine de M. C...ne disposait que d'une seule balance dotée d'un certificat d'inspection valide, laquelle présentait une précision insuffisante, en méconnaissance de ce dernier article ; que M. C...ne conteste pas utilement les faits ainsi constatés en se bornant à indiquer qu'ils ont été corrigés pour l'avenir ; que ces griefs doivent, dès lors, être regardés comme constitués ;

8. Considérant, en deuxième lieu, qu'il est reproché à M. C...d'avoir, de manière habituelle, préparé par lots et stocké sur une étagère au nom d'un médecin pédiatre exerçant à proximité de l'officine une pommade à la lidocaïne que ce médecin pédiatre prescrivait ordinairement après la vaccination des nourrissons, sans avoir jamais indiqué à ce médecin que cette pommade n'avait pas d'efficacité thérapeutique avérée ni qu'en prescrivant systématiquement l'usage de deux patchs anesthésiants EMLA pour la vaccination de nourrissons de deux à quatre mois, il dépassait la posologie alors en vigueur pour cette spécialité, avec un risque pour les patients ; qu'en agissant ainsi, il a manqué à l'obligation d'analyse pharmaceutique de l'ordonnance médicale prescrite par l'article R. 4235-48 du code de la santé publique ; que ce manquement doit être regardé comme constitué, alors même que d'autres médecins du secteur auraient couramment pratiqué le même surdosage de patchs EMLA ; que l'inspection de l'officine de M.C... a, par ailleurs, révélé qu'une partie des lots de pommade à la lidocaïne préparés pour ce même médecin portaient des mentions de date limite d'utilisation, de posologie et de dosage erronées, ainsi, au surplus, qu'une désignation inutilement obscure de leur principe actif ; que si M. C...soutient que ces erreurs seraient imputables à une même préparatrice qui n'exerce plus dans l'officine, cette argumentation est sans incidence sur sa propre carence dans l'exercice du contrôle effectif qu'il lui appartenait d'exercer sur les préparateurs, en vertu de l'article L. 4241-1 du code de la santé publique ; que l'inspection a également révélé que les lots en cause étaient préparés à partir de chlorhydrate de lidocaïne, alors que les ordonnances du médecin et les fiches de fabrication indiquaient une préparation à partir de lidocaïne base ; que si M. C...soutient que la modification de la composition de la pommade s'est faite avec l'accord du médecin, il n'en demeure pas moins que l'étiquetage du produit délivré n'était pas conforme à la préparation effectivement réalisée ; qu'il est constant qu'aucun échantillon de cette préparation n'était conservé aux fins de contrôle ; qu'ainsi, l'absence de contrôle du travail effectif des préparateurs et le non respect des bonnes pratiques de préparation pharmaceutiques doivent être regardés comme établis ; qu'en revanche, la double circonstance que M. C...a, de manière répétée, préparé par lots la pommade prescrite par ce médecin et que celui-ci a admis avoir adressé les parents des enfants qu'il avait vaccinés vers la pharmacie Saint-Joseph au motif que celle-ci aurait été la seule à disposer des isothérapiques homéopathiques des vaccins courants ne sont pas à eux seuls, dans les circonstances de l'espèce, et eu égard à la grande proximité géographique de l'officine avec le cabinet du médecin, de nature à faire regarder comme établie l'existence d'un compérage entre ces professionnels ;

9. Considérant, en troisième lieu, qu'il est reproché à M. C... d'avoir préparé à l'avance et par lots quatre préparations magistrales, dont la pommade prescrite par ce médecin pédiatre, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 5121-1 du code de la santé publique selon lesquelles un médicament préparé en pharmacie doit, pour constituer une préparation magistrale, l'être extemporanément, selon une prescription médicale destinée à un malade déterminé ; qu'il lui est également reproché d'avoir détenu, préparé et recommandé à sa clientèle un grand nombre de préparations officinales ne figurant ni à la pharmacopée ni au formulaire national, en méconnaissance des dispositions du même article ; qu'au surplus, il résulte du rapport du pharmacien inspecteur que plusieurs de ces préparations officinales, bien que répondant à la définition de la spécialité pharmaceutique édictée par l'article L. 5111-2, ne disposaient pas de l'autorisation de mise sur le marché exigée pour ces spécialités par l'article L. 5121-8 ; que, faute d'indication précisant leur composition qualitative ou quantitative, d'autres constituaient des remèdes secrets prohibés par l'article L. 5125-24 du code de la santé publique ; que la plupart portaient des durées limites d'utilisation très supérieures à la durée ordinaire d'un mois, sans que le pharmacien puisse justifier de ce dépassement ;

10. Considérant que M. C...ne conteste pas ces faits et se borne en défense à soutenir que les définitions de la préparation magistrale et de la préparation officinale posées par l'article L. 5121-1 ne lui sont pas opposables ; qu'il invoque le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ainsi que l'article 3 de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, entrée en vigueur le 18 décembre 2001, qui prévoit que : " La présente directive ne s'applique pas: / 1) aux médicaments préparés en pharmacie selon une prescription médicale destinée à un malade déterminé (dénommés communément formule magistrale) / 2) aux médicaments préparés en pharmacie selon les indications d'une pharmacopée et destinés à être délivrés directement aux patients approvisionnés par cette pharmacie (dénommés communément formule officinale) ", sans retenir le critère d'extemporanéité pour les préparations magistrales ni exiger une inscription à la pharmacopée ou au formulaire national pour les préparations officinales ; qu'il fait, en outre, valoir qu'en exigeant que les préparations magistrales satisfassent la condition de préparation extemporanée, le législateur a défini une norme technique au sens de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information, sans respecter la procédure d'information organisée par cette directive ;

11. Considérant, toutefois, que, d'une part, l'article 3 de la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 a pour objet d'exclure les préparations répondant aux définitions des " formules magistrales " et " officinales " du champ d'application de la directive, permettant ainsi aux Etats membres d'édicter à l'égard de ces dernières les règles qu'ils jugent pertinentes et nécessaires pour la protection de la santé publique ; que, par suite, en prévoyant qu'une préparation répondant à la définition de la " formule magistrale " donnée au 1 de l'article 3 de la directive doit être faite de manière extemporanée et qu'une préparation répondant à la définition de la " formule officinale " donnée au 2 du même article doit figurer à la pharmacopée ou au formulaire national, le législateur n'a pas méconnu les objectifs de la directive 2001/83/CE ; que le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaitraient le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne n'est pas assorti de précisions suffisantes pour permettre d'en apprécier le bien fondé ; que, d'autre part, eu égard à leur caractère individualisé et à leur mode de préparation " sur mesure ", les préparations magistrales et officinales telles que définies par la directive du 6 novembre 2001 et, par voie de conséquence, par l'article L. 5121-1 du code de la santé publique ne constituent pas des produits de fabrication industrielle et, par suite, n'entrent pas dans le champ de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998, dont l'article premier prévoit qu'elle ne s'applique qu'aux produits de fabrication industrielle et aux produits agricoles ; que le requérant n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que les définitions de ces préparations données par le droit national constitueraient des " normes techniques ", au sens de cette directive ; qu'ainsi, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles formulées par M.C..., il y a lieu de juger que les griefs retenus à l'égard de ce dernier sont constitués et caractérisent des manquements aux articles L. 5121-1, R. 4235-47, L. 5125-4, L. 5125-2 et R. 4235-12 du code de la santé publique ;

12. Considérant, en quatrième lieu, qu'il est reproché à M. C...d'avoir fabriqué des compléments alimentaires dans son officine, en méconnaissance des dispositions combinées des articles L. 5125-1, R. 5125-9 et R. 4235-67 ; que M.C..., qui ne conteste pas la matérialité des faits, se borne à indiquer qu'il disposait d'un préparatoire adéquat ; que ce grief doit, dès lors, être regardé comme constitué ; qu'en revanche, le grief tiré de ce qu'il aurait mis en vente des compléments alimentaires figurant à la pharmacopée, dotés de propriétés thérapeutiques et susceptibles, comme tels, de répondre à la définition du médicament par fonction ne peut être regardé comme établi, en l'absence au dossier de précisions suffisantes sur les produits en cause ;

13. Considérant, en cinquième lieu, qu'il est reproché à M. C...d'avoir mis en vente des préparations présentant certains dangers pour les patients, notamment des préparations au millepertuis susceptibles d'interagir avec d'autres médicaments, des préparations contenant des terpènes ou dérivés terpéniques nocifs pour les jeunes enfants et des gélules à base de poudre d'échinacée dont le rapport bénéfice / risque était médiocre, sans les assortir de mentions de mise en garde suffisantes ; que M. C...se borne à soutenir que le pharmacien inspecteur a commis une erreur dans l'identification d'une des substances contenant du terpène, sans contester utilement ses autres constats ; qu'ainsi, il doit être regardé comme établi qu'il a porté atteinte aux principes de protection et de préservation de la santé publique protégés par les articles R. 4235-8 et R. 4235-10 du code de la santé publique ;

14. Considérant, en sixième lieu, qu'il est reproché à M. C...de ne pas avoir procédé à un examen critique des certificats d'analyse des lots de matières premières qui lui étaient livrés par des établissements pharmaceutiques ; que ce grief ne peut toutefois être retenu contre lui, le pharmacien d'officine étant seulement tenu de s'assurer de la nature de la matière première livrée ;

15. Considérant, en septième lieu, qu'il est reproché à M. C...de s'être rendu coupable de charlatanisme en mettant en vente des préparations dites " Elixirs floraux du Dr A...", " Fleurs de A..." ou " Composés floraux " ; qu'il ressort des constats du pharmacien inspecteur que ces produits, dûment autorisés en qualité de compléments alimentaires, étaient accompagnés, dans l'officine de M.C..., de publications leur attribuant des indications et vertus fantaisistes, sans qu'aucun élément sérieux ni étude validée ne permette de rendre compte de leur mode d'action ; que le grief tiré de ce que M. C...aurait manqué à l'objectif d'information et d'éducation du public en matière sanitaire et sociale mentionné à l'article R. 4235-2 du code de la santé publique et à l'objectif de lutte contre le charlatanisme mentionné à l'article R. 4235-10 du même code doit ainsi être regardé comme fondé ;

16. Considérant, en huitième lieu, qu'il est reproché à M.C..., qui ne conteste pas la matérialité des faits, d'avoir préparé et délivré des doses homéopathiques portant le libellé " Influenzinum H1N1 2009-2010 " à partir d'une spécialité pharmaceutique " Pandemrix " destinée aux centres de vaccination qui lui aurait été fournie par un client, sans faire figurer sur ces doses aucun numéro d'enregistrement ni d'autorisation ; que ces doses ne répondant pas, contrairement à ce que soutient M.C..., aux définitions des préparations magistrales ou officinales posées par l'article L. 5121-1 du code de la santé publique, elles constituaient des médicaments homéopathiques, au sens du 11° de cet article, et devaient, par suite, en vertu des articles L. 5121-8 et L. 5121-13, faire l'objet d'une autorisation ou, subsidiairement, d'un enregistrement de la part de l'autorité administrative compétente ; qu'en l'absence d'une telle autorisation ou d'un tel enregistrement pour des doses portant le libellé " Influenzinum H1N1 2009-2010 ", leur délivrance présente un caractère fautif ; que le caractère non industriel de ces préparations est sans incidence sur cette analyse ; qu'en outre, l'utilisation comme matière première d'une spécialité extraite du circuit pharmaceutique, dont les conditions de conservation n'étaient pas connues, méconnaît également les dispositions de l'article R. 4235-12 du code de la santé publique, qui prévoit que: " Tout acte professionnel doit être accompli avec soin et attention, selon les règles de bonnes pratiques correspondant à l'activité considérée " ;

17. Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des manquements commis par M.C..., et notamment de ceux exposés aux points 9, 12, 13, 15 et 16 de la présente décision, en prononçant contre lui la sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant une durée de neuf mois, dont deux mois avec sursis ; qu'il résulte de l'instruction que cette sanction a déjà été exécutée à la suite de la décision de la chambre de discipline du conseil national de l'ordre des pharmaciens du 26 juin 2013, avant son annulation par le Conseil d'Etat ; qu'il n'y a, dès lors, pas lieu de fixer de nouvelles dates d'exécution ;

18. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; que le Conseil national de l'ordre des pharmaciens, qui n'a pas la qualité de partie à l'instance, n'est pas recevable à demander qu'une somme soit mise à la charge de M. C...sur le fondement de ces dispositions ;

D E C I D E :

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Article 1er : Les articles 4 et 5 de la décision du 6 octobre 2014 de la chambre disciplinaire du Conseil national de l'ordre des pharmaciens sont annulés.

Article 2 : Il est prononcé contre M. C...la sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant une durée de neuf mois dont deux mois avec sursis.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. C...et par le Conseil national de l'ordre des pharmaciens sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que le surplus des conclusions de l'appel de M. C...et de l'appel de l'Agence régionale de santé des Pays-de-Loire sont rejetés.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B...C..., au Conseil national de l'ordre des pharmaciens, au conseil régional de l'ordre des pharmaciens des Pays-de-Loire, à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et au directeur général de l'Agence régionale de santé des Pays-de-Loire.


Synthèse
Formation : 5ème - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 386249
Date de la décision : 21/11/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LA CONVENTION - DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE ET FAMILIALE (ART - 8) - VIOLATION - ABSENCE - VISITE DE L'OFFICINE D'UN PHARMACIEN PAR LES PHARMACIENS INSPECTEURS DE SANTÉ PUBLIQUE [RJ1].

26-055-01-08-02 Si les articles L. 1421-1 et L. 1421-3 reconnaissent aux inspecteurs de santé publique un très large pouvoir de visite et de contrôle des locaux professionnels ainsi qu'un pouvoir d'accès aux documents et produits de toute nature qui s'y trouvent, l'ingérence que constitue la mise en oeuvre de ces pouvoirs doit s'apprécier au vu de leur finalité légitime, qui est notamment d'assurer la santé publique et la sécurité sanitaire des particuliers. Cette finalité, ainsi que les garanties statutaires apportées par l'appartenance des agents de contrôle au corps des pharmaciens inspecteurs de santé publique assermentés, justifient que ces visites ne soient pas soumises à l'autorisation préalable du juge, au contrôle duquel elles peuvent toujours être ultérieurement déférées. Conformité à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH).

PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - CONDITIONS D'EXERCICE DES PROFESSIONS - PHARMACIENS - RÈGLES DIVERSES S'IMPOSANT AUX PHARMACIENS DANS L'EXERCICE DE LEUR PROFESSION - VISITE DE L'OFFICINE PAR LES PHARMACIENS INSPECTEURS DE SANTÉ PUBLIQUE - 1) MODALITÉS - DROIT DE S'OPPOSER À LA VISITE DONT IL FAUDRAIT INFORMER LE PHARMACIEN - ABSENCE - 2) CONFORMITÉ À L'ARTICLE 8 DE LA CONV - EDH - EXISTENCE [RJ1].

55-03-04-03 1) Il résulte des articles L. 1421-1, L. 1421-2 et L. 1421-2-1 du code de la santé publique que lorsqu'un pharmacien s'oppose aux contrôles exercés par des pharmaciens inspecteurs de santé publique, ceux-ci peuvent demander que la visite soit ordonnée par le juge judicaire sans préjudice des poursuites pénales qui peuvent être exercées en application de l'article L. 1425-1. Ainsi, le pharmacien ne dispose pas d'un droit à s'opposer à la visite de son officine, dont il devrait être informé avant cette visite.,,,2) Si les articles L. 1421-1 et L. 1421-3 reconnaissent aux inspecteurs de santé publique un très large pouvoir de visite et de contrôle des locaux professionnels ainsi qu'un pouvoir d'accès aux documents et produits de toute nature qui s'y trouvent, l'ingérence que constitue la mise en oeuvre de ces pouvoirs doit s'apprécier au vu de leur finalité légitime, qui est notamment d'assurer la santé publique et la sécurité sanitaire des particuliers. Cette finalité, ainsi que les garanties statutaires apportées par l'appartenance des agents de contrôle au corps des pharmaciens inspecteurs de santé publique assermentés, justifient que ces visites ne soient pas soumises à l'autorisation préalable du juge, au contrôle duquel elles peuvent toujours être ultérieurement déférées. Conformité à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH).


Références :

[RJ1]

Rappr., s'agissant des pouvoirs de visite de la CNIL, CE, Section, 6 novembre 2009, Société Inter Confort, n° 304300, p. 448 ;

s'agissant de ceux de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, CE, 20 janvier 2016, Caisse d'épargne et de prévoyance du Languedoc Roussillon, n° 374950, à mentionner aux Tables.


Publications
Proposition de citation : CE, 21 nov. 2016, n° 386249
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Dominique Langlais
Rapporteur public ?: Mme Laurence Marion
Avocat(s) : SCP MARLANGE DE LA BURGADE ; SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 16/05/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:386249.20161121
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