Vu la procédure suivante :
La société Groupe Invest-Immo France a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 5 juin 2015 par laquelle le directeur de l'établissement public foncier local du Dauphiné a exercé le droit de préemption sur un bien cadastré AL 387 et 388 sur le territoire de la commune du Pont-de-Claix (Isère). Par une ordonnance n° 1505651 du 7 octobre 2015, le juge des référés de ce tribunal a rejeté la demande de la société Groupe Invest-Immo France.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 octobre 2015, 6 novembre 2015, 2 mars 2016 et 1er juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Groupe Invest-Immo France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble du 7 octobre 2015 ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'établissement public foncier local du Dauphiné la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Frédéric Pacoud, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Groupe Invest-Immo France, et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'établissement public foncier local du Dauphiné ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par une décision du 5 juin 2015, le directeur de l'établissement public foncier local du Dauphiné a exercé le droit de préemption sur un ensemble immobilier situé rue Champollion et 3 avenue Charles de Gaulle sur le territoire de la commune du Pont-de-Claix, qui avait été adjugé à la société Groupe Invest-Immo France à la suite d'une vente aux enchères publiques organisée dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Alp'Imprim qui en était propriétaire. La société Groupe Invest-Immo France se pourvoit en cassation contre l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande, présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, tendant à la suspension de l'exécution de cette décision.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
3. Eu égard à l'objet d'une décision de préemption et à ses effets vis-à-vis de l'acquéreur évincé, la condition d'urgence doit en principe être constatée lorsque celui-ci demande la suspension d'une telle décision. Il peut toutefois en aller autrement au cas où le titulaire du droit de préemption justifie de circonstances particulières, tenant par exemple à l'intérêt s'attachant à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l'exercice du droit de préemption. Il appartient au juge des référés de procéder à une appréciation globale de l'ensemble des circonstances de l'affaire qui lui est soumise.
4. Pour juger qu'en dépit de la présomption dont bénéficie, en principe, l'acquéreur évincé lorsqu'il demande la suspension de l'exécution d'une décision de préemption, la condition d'urgence n'était pas, en l'espèce, remplie, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, après s'être borné à indiquer que le bien préempté constituait la dernière partie non détenue par une collectivité publique de l'îlot sur lequel devait être réalisé un projet d'aménagement, sans relever aucun élément particulier propre à justifier la nécessité de la réalisation rapide de ce projet, s'est fondé sur la circonstance que, alors même qu'il ressortait des pièces du dossier que le transfert de propriété au profit de l'établissement public foncier local du Dauphiné était déjà intervenu, la suspension de l'exécution de la décision attaquée aurait pour effet d'empêcher le versement des sommes dues aux différents créanciers de la société liquidée. En se prononçant ainsi, alors qu'une suspension de ceux des effets de la décision de préemption encore susceptibles de faire l'objet d'une telle mesure serait restée sans incidence sur le droit des créanciers de la société Alp'Imprim à percevoir le prix de l'adjudication, le juge des référés a commis une erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède que la Société Groupe Invest-Immo France est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée. Le moyen retenu n'étant pas dépourvu d'incidence sur le litige, contrairement à ce que soutient l'établissement public foncier local du Dauphiné, et suffisant à entraîner cette annulation, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens du pourvoi.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative sur la demande de suspension présentée par la société Groupe Invest-Immo France.
7. Pour demander la suspension de l'exécution de la décision de préemption du 5 juin 2015, la société Groupe Invest-Immo France soutient que :
- le droit de préemption urbain renforcé n'a pas été légalement institué sur le territoire de la commune du Pont-de-Claix par la délibération du conseil municipal du 31 mai 2001, en raison de l'absence de justification de l'institution du droit de préemption simple et de l'existence d'un plan local d'urbanisme rendu public ou approuvé et de la violation des articles L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales et R. 211-2 et R. 211-3 du code de l'urbanisme ;
- la délibération du conseil de communauté de Grenoble-Alpes Métropole du 19 décembre 2014, déléguant l'exercice du droit de préemption au président de cette métropole, a été adoptée en méconnaissance des dispositions des articles L. 2121-10 et L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales ;
- l'arrêté du 1er juin 2015 par lequel le président de Grenoble-Alpes Métropole a délégué à l'établissement public foncier local du Dauphiné l'exercice du droit de préemption sur les parcelles en litige est entaché d'incompétence, faute de délégation au président de la métropole postérieure à la création de celle-ci, et a été pris irrégulièrement, compte tenu de la situation de conflit d'intérêts dans laquelle il se trouvait en sa qualité de maire de la commune du Pont-de-Claix ;
- le directeur de l'établissement public foncier local du Dauphiné était incompétent pour signer la décision de préemption, faute de délégation à cet effet ;
- la décision de préemption méconnaît les articles L. 324-1, R. 213-6, R. 213-15 et R. 213-21 du code de l'urbanisme ainsi que la délibération du conseil de Grenoble-Alpes Métropole du 3 avril 2015 relative aux modalités de mise en oeuvre du droit de préemption urbain ;
- la décision de préemption méconnaît l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, dès lors qu'elle est motivée par la création d'une zone d'aménagement concertée qui n'a pas été décidée.
8. En l'état de l'instruction, aucun de ces moyens ne paraît propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige.
9. Il résulte de ce qui précède que l'une des conditions mises par l'article L. 521-1 du code de justice administrative à la suspension de l'exécution d'une décision n'est pas remplie. Dès lors, les conclusions à fin de suspension de la société Groupe Invest-Immo France doivent être rejetées.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Groupe Invest-Immo France le versement à l'établissement public foncier local du Dauphiné d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société Groupe Invest-Immo France présentées au même titre.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble du 7 octobre 2015 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Groupe Invest-Immo France devant le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de la société Groupe Invest-Immo France présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La société Groupe Invest-Immo France versera une somme de 3 000 euros à l'établissement public foncier local du Dauphiné au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Groupe Invest-Immo France et à l'établissement public foncier local du Dauphiné.
Copie en sera adressée à la commune du Pont-de-Claix et à Me B...A..., en qualité de liquidateur judiciaire de la société Alp'Imprim.