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19/07/2016 | FRANCE | N°398725

France | France, Conseil d'État, 9ème et 10ème chambres réunies, 19 juillet 2016, 398725


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 20 mai, 24 et 29 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA) demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir, premièrement, de la décision implicite de refus d'homologation des prix des produits Gauloises blondes bleu en 25, Gauloises

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Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 20 mai, 24 et 29 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA) demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir, premièrement, de la décision implicite de refus d'homologation des prix des produits Gauloises blondes bleu en 25, Gauloises blondes rouge en 25, News bleu en 25 et News rouge en 25 née du silence gardé sur sa demande d'homologation du 18 décembre 2015 et, deuxièmement, de l'arrêté du 3 mars 2016 en tant que, par cet arrêté, le ministre chargé du budget a refusé d'homologuer ces prix, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 572 du code général des impôts.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Simon Chassard, auditeur,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat du ministre des finances et des comptes publics ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 30 juin 2016, présentée par la société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA).

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 572 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Le prix de détail de chaque produit exprimé aux 1 000 unités ou aux 1 000 grammes, est unique pour l'ensemble du territoire et librement déterminé par les fabricants et les fournisseurs agréés. Il est applicable après avoir été homologué par arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et du budget, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Il ne peut toutefois être homologué s'il est inférieur à la somme du prix de revient et de l'ensemble des taxes. / Les tabacs manufacturés vendus ou importés dans les départements de Corse sont ceux qui ont été homologués conformément aux dispositions du premier alinéa. Toutefois, le prix de vente au détail applicable à ces produits dans les départements de Corse est déterminé dans les conditions prévues à l'article 575 E bis. / En cas de changement de prix de vente, et sur instruction expresse de l'administration, les débitants de tabac sont tenus de déclarer, dans les cinq jours qui suivent la date d'entrée en vigueur des nouveaux prix, les quantités en leur possession à cette date ".

3. Les dispositions de l'article 572 du code général des impôts sont applicables au présent litige et elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

4. La Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et des allumettes soutient que les dispositions du premier alinéa de l'article 572 du code général des impôts portent à la liberté d'entreprendre une atteinte non justifiée par un motif d'intérêt général et qui est, en tout état de cause, disproportionnée au regard de l'objectif qui serait, éventuellement, poursuivi. Elle soutient par ailleurs que ces dispositions sont entachées d'une incompétence négative du législateur et d'une méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi qui affectent, par elles-mêmes, la liberté d'entreprendre.

Sur la méconnaissance alléguée du principe de liberté d'entreprendre :

5. La société requérante soutient que les dispositions contestées méconnaissent le principe de liberté d'entreprendre en ce qu'elles prévoient que les prix de détail des produits du tabac font l'objet d'une homologation par arrêté ministériel et que les règles encadrant par ailleurs la détermination de ces prix, qui imposent que ces derniers soient uniques sur l'ensemble du territoire et qu'ils soient exprimés aux 1 000 unités ou aux 1 000 grammes, alors que les prix effectivement homologués et acquittés par le consommateur sont fixés au paquet ou à l'unité, sont incompatibles avec le libre exercice de son activité économique.

6. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

7. En premier lieu, aux termes de l'article 568 du code général des impôts : " Le monopole de vente au détail est confié à l'administration qui l'exerce ... par l'intermédiaire de débitants désignés comme ses préposés ... ". Aux termes de l'article 570 du même code :

" ... tout fournisseur est soumis aux obligations suivantes : / 1° Livrer des tabacs aux seuls débitants désignés à l'article 568 ; ... / 5° Livrer les tabacs commandés par tout débitant quelle que soit la localisation géographique du débit ; ... ". Il ressort de ces dispositions que la règle d'unicité du prix des produits du tabac sur l'ensemble du territoire métropolitain, sous réserve d'adaptations en Corse, constitue le corollaire nécessaire du monopole de l'Etat sur la vente au détail des produits du tabac. Il ressort des travaux préparatoires des textes ayant confirmé ce monopole, et notamment de la loi du 24 mai 1976 portant aménagement du monopole des tabacs manufacturés, que le législateur lui a assigné pour finalité la lutte contre la contrebande et les contrefaçons ainsi que la perception, dans de bonnes conditions, des taxes qui grèvent les produits du tabac. Au demeurant, le monopole et la règle d'unicité des prix concourant également à réguler la vente de produits nocifs pour la santé humaine, cette règle apparaît, en conséquence, également justifiée par un objectif d'intérêt général tenant à la protection de la santé publique. L'atteinte portée à la liberté d'entreprendre par l'existence de ce monopole et par l'unicité des prix de vente qui l'accompagne est, ainsi, justifiée par plusieurs objectifs d'intérêt général au regard desquels elle apparaît proportionnée.

8. En deuxième lieu, la règle selon laquelle les prix proposés à l'homologation par les fabricants et les fournisseurs agréés doivent être exprimés aux 1 000 unités ou aux 1 000 grammes résulte de la loi du 30 décembre 1997 de finances pour 1998 et a été insérée à l'article 572 du code général des impôts dans le but d'éviter le développement de la consommation de tabac qui pourrait résulter de la baisse des prix de certains produits lorsqu'ils sont conditionnés en plus grandes quantités. L'atteinte, au demeurant très limitée, ainsi portée à la liberté des fabricants de fixer le prix de leurs produits est, en conséquence, justifiée par l'objectif d'intérêt général de protection de la santé publique, auquel elle est proportionnée.

9. En troisième lieu, l'existence même d'un mécanisme d'homologation des prix des produits du tabac concourt au respect des règles qui encadrent la libre fixation de ces prix prévues par l'article 572 du code général des impôts. Or, comme il est dit aux points 7 et 8 ci-dessus, les règles d'unicité du prix sur le territoire et de fixation de ce prix aux 1 000 unités ou aux 1 000 grammes sont justifiées par plusieurs motifs d'intérêt général, de même que la règle, non critiquée par la requérante, selon laquelle un prix proposé ne peut être homologué s'il est inférieur à la somme du prix de revient et de l'ensemble des taxes. Par suite, le moyen tiré de ce que ce mécanisme d'homologation méconnaîtrait la liberté d'entreprendre ne présente pas un caractère sérieux.

Sur l'incompétence négative du législateur et la méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi alléguées :

10. En premier lieu, si la requérante conteste l'absence, au sein de l'article 572 du code général des impôts, de précisions relatives au délai dans lequel l'administration doit homologuer les prix qui sont proposés par les fabricants et distributeurs agréés, cet article renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les conditions dans lesquelles il est procédé à cette homologation. En conséquence, il incombe au pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de fixer ce délai. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa propre compétence et, ainsi, porté atteinte à la liberté d'entreprendre, ne présente pas un caractère sérieux.

11. En second lieu, la règle selon laquelle les prix de détail de chaque produit doivent être exprimés aux 1 000 unités ou aux 1 000 grammes a, dans les faits, pour seule conséquence d'empêcher que le prix unitaire du produit vendu varie selon la contenance de son conditionnement. S'il est exact, comme le soutient la requérante, que les prix proposés à l'homologation et portés à la connaissance des consommateurs renvoient aux différents conditionnements vendus sur le marché et peuvent, au demeurant, ne pas refléter exactement dans certains cas le prix aux 1 000 unités pour des motifs liés aux opérations d'arrondis, il ne s'ensuit, contrairement à ce qui est allégué, aucune contradiction au sein du texte en litige ni aucune méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, le passage du prix aux 1 000 unités ou aux 1 000 grammes au prix des différents conditionnements mis en vente s'obtenant, sous réserve d'éventuels arrondis, par une règle de trois.

12. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Dès lors, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes, au ministre des finances et des comptes publics et à la ministre des affaires sociales et de la santé. Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 9ème et 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 398725
Date de la décision : 19/07/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 jui. 2016, n° 398725
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Simon Chassard
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 26/07/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:398725.20160719
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