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19/07/2016 | FRANCE | N°394596

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 19 juillet 2016, 394596


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire enregistré le 17 novembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A...B...demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le paragraphe 370 de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-30-10-30-10 publiée au bulletin officiel des finances publiques-impôts le 2 juillet 2015 en tant qu'il précise " S'agissant d'une règle d'assiette, les abattements prévus au 1 de l'article 150-0 D du CGI et à l'article 150-0 D ter du CGI ne s'appliquent pas à ces plus-values ".

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu

:

- la Constitution, notamment son article 62 ;

- la convention européenne...

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire enregistré le 17 novembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A...B...demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le paragraphe 370 de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-30-10-30-10 publiée au bulletin officiel des finances publiques-impôts le 2 juillet 2015 en tant qu'il précise " S'agissant d'une règle d'assiette, les abattements prévus au 1 de l'article 150-0 D du CGI et à l'article 150-0 D ter du CGI ne s'appliquent pas à ces plus-values ".

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 62 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, notamment son article 17 ;

- la décision n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016 statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et MmeB... ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Uher, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

1. Considérant que l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 a modifié l'imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux, en particulier en soumettant ces plus-values au barème de l'impôt sur le revenu tout en prévoyant un dispositif d'abattement sur le montant des gains nets de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux, selon la durée de détention de ces valeurs ; que l'article 150-0 D du code général des impôts, dans sa rédaction issue de cet article, dispose désormais, à son 1, que : " Les gains nets de cession à titre onéreux d'actions, de parts de sociétés, de droits portant sur ces actions ou parts, ou de titres représentatifs de ces mêmes actions, parts ou droits, mentionnés au I de l'article 150-0 A, ainsi que les distributions mentionnées aux 7,7 bis et aux deux derniers alinéas du 8 du II du même article, à l'article 150-0 F et au 1 du II de l'article 163 quinquies C sont réduits d'un abattement déterminé dans les conditions prévues, selon le cas, au 1 ter ou au 1 quater du présent article. (...) " ; qu'il définit, à son 1 ter, l'abattement pour durée de détention de droit commun et, à son 1 quater, l'abattement pour durée de détention renforcé applicable à certaines situations ; que le III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 prévoit que ces dispositions s'appliquent aux gains réalisés à compter du 1er janvier 2013 ; que dans sa décision n° 2016-538 QPC, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions des 1 ter et 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts sous réserve, s'agissant des plus-values placées en report d'imposition sur option du contribuable, que soit appliqué à l'assiette des plus-values placées en report d'imposition avant le 1er janvier 2013, qui ne font l'objet d'aucun abattement sur leur montant brut et dont le montant de l'imposition est arrêté selon des règles de taux telles que celles en vigueur à compter du 1er janvier 2013, un coefficient d'érosion monétaire pour la période comprise entre l'acquisition des titres et le fait générateur de l'imposition ;

2. Considérant qu'aux termes de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-30-10-30-10 publiée le 2 juillet 2015 : " 370. Les plus-values dont le report d'imposition expire sont imposables suivant les règles de taxation en vigueur au titre de l'année d'expiration du report. / Les plus-values placées en report d'imposition pour lesquelles le report expire à compter du 1er janvier 2013 sont donc imposables au barème progressif de l'impôt sur le revenu. S'agissant d'une règle d'assiette, les abattements prévus au 1 de l'article 150-0 D du CGI et à l'article 150-0 D ter du CGI ne s'appliquent pas à ces plus-values. " ;

3. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte du III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 que l'abattement pour durée de détention s'applique " aux gains réalisés et aux distributions perçues à compter du 1er janvier 2013 " ; qu'elles ne peuvent dès lors s'appliquer aux plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2013 et placées en report d'imposition, la circonstance que la cession mettant fin à ce report intervient après le 1er janvier 2013 étant sans incidence à cet égard ; que les requérants ne sont par suite pas fondés à soutenir que l'instruction litigieuse, en prévoyant que ces abattements ne s'appliquent pas aux plus-values placées en report d'imposition pour lesquelles le report expire à compter du 1er janvier 2013, méconnaîtrait les dispositions de l'article 150-0 D du code général des impôts ;

4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " ; qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ; qu'une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte ; qu'à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations ; que lorsque le législateur modifie pour l'avenir des dispositions fiscales adoptées sans limitation de durée, il ne prive les contribuables d'aucune espérance légitime au sens de ces stipulations ;

5. Considérant que l'imposition due par le contribuable à raison de plus-values placées en report d'imposition est liquidée selon des règles fixées par le législateur postérieurement à la période au cours de laquelle le fait générateur de l'imposition est intervenu ; que lorsque le législateur permet à un contribuable, à sa demande, d'obtenir le report de l'imposition d'une plus-value, le contribuable qui exerce cette faculté doit être regardé comme ayant accepté les conséquences du rattachement de cette plus-value à l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition ; qu'ainsi, en excluant du bénéfice de l'abattement pour durée de détention les plus-values placées en report d'imposition avant la date d'entrée en vigueur de cet abattement, le législateur n'a privé les requérants d'aucune espérance légitime au sens de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'a, par suite, pas porté atteinte à un droit garanti par ces stipulations ; que ne pouvant se prévaloir d'un bien dont le respect serait garanti par ces stipulations, les requérants ne peuvent utilement invoquer celles de l'article 14 de la même convention, qui prohibent les discriminations dans la jouissance des seuls droits et libertés que cette convention reconnaît ;

6. Considérant que la circonstance que les dispositions attaquées de l'instruction fiscale publiée le 2 juillet 2015 ne prévoient pas explicitement que, conformément à la réserve d'interprétation formulée par le Conseil constitutionnel et mentionnée au point 2, un coefficient d'érosion monétaire est appliqué à la plus-value placée en report d'imposition n'est pas de nature à entraîner leur annulation ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'instruction litigieuse ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. et Mme B...est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A...B...et au ministre des finances et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Premier ministre


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 394596
Date de la décision : 19/07/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES - REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES PARTICULIÈRES - PLUS-VALUES DES PARTICULIERS - PLUS-VALUES MOBILIÈRES - MODIFICATION DU RÉGIME D'IMPOSITION DES PLUS VALUES MOBILIÈRES PAR LA LOI DU 29 DÉCEMBRE 2013 - ATTEINTE À UNE ESPÉRANCE LÉGITIME AU SENS DE L'ART - 1P1 À LA CEDH - ABSENCE [RJ1].

19-04-02-08-01 Une personne ne peut prétendre au bénéfice des stipulations de l'article 1er du 1er protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH) que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. A défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations. Lorsque le législateur modifie pour l'avenir des dispositions fiscales adoptées sans limitation de durée, il ne prive les contribuables d'aucune espérance légitime au sens de ces stipulations.... ,,Modification du régime d'imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux par l'article 17 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013. L'imposition due par le contribuable à raison de plus-values placées en report d'imposition est liquidée selon des règles fixées par le législateur postérieurement à la période au cours de laquelle le fait générateur de l'imposition est intervenu. Lorsque le législateur permet à un contribuable, à sa demande, d'obtenir le report de l'imposition d'une plus-value, le contribuable qui exerce cette faculté doit être regardé comme ayant accepté les conséquences du rattachement de cette plus-value à l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition. Ainsi, en excluant du bénéfice de l'abattement pour durée de détention, institué par les dispositions issues de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013, les plus-values placées en report d'imposition avant la date d'entrée en vigueur de cet abattement, le législateur n'a privé les requérants d'aucune espérance légitime au sens de l'article premier du protocole additionnel à la convention EDH et n'a, par suite, pas porté atteinte à un droit garanti par ces stipulations.

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LES PROTOCOLES - DROIT AU RESPECT DE SES BIENS (ART - 1ER DU PREMIER PROTOCOLE ADDITIONNEL) - CHAMP D'APPLICATION DE L'ARTICLE 1P1 - ESPÉRANCE LÉGITIME - 1) CAS GÉNÉRAL - MODIFICATION PAR LE LÉGISLATEUR DE DISPOSITIONS FISCALES ADOPTÉES SANS LIMITATIONS DE DURÉE - ABSENCE [RJ2] - 2) CAS D'ESPÈCE - MODIFICATION DU RÉGIME D'IMPOSITION DES PLUS VALUES MOBILIÈRES PAR LA LOI DU 29 DÉCEMBRE 2013 - ABSENCE [RJ1].

26-055-02-01 1) Une personne ne peut prétendre au bénéfice des stipulations de l'article 1er du 1er protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH) que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. A défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations. Lorsque le législateur modifie pour l'avenir des dispositions fiscales adoptées sans limitation de durée, il ne prive les contribuables d'aucune espérance légitime au sens de ces stipulations.... ,,2) Modification du régime d'imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux par l'article 17 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013. L'imposition due par le contribuable à raison de plus-values placées en report d'imposition est liquidée selon des règles fixées par le législateur postérieurement à la période au cours de laquelle le fait générateur de l'imposition est intervenu. Lorsque le législateur permet à un contribuable, à sa demande, d'obtenir le report de l'imposition d'une plus-value, le contribuable qui exerce cette faculté doit être regardé comme ayant accepté les conséquences du rattachement de cette plus-value à l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition. Ainsi, en excluant du bénéfice de l'abattement pour durée de détention, institué par les dispositions issues de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013, les plus-values placées en report d'imposition avant la date d'entrée en vigueur de cet abattement, le législateur n'a privé les requérants d'aucune espérance légitime au sens de l'article premier du protocole additionnel à la convention EDH et n'a, par suite, pas porté atteinte à un droit garanti par ces stipulations.


Références :

[RJ1]

Rappr., sur l'absence d'espérance légitime, CE, 2 juin 2010, Fondation de France, n° 318014, p. 179 ;

CE, 21 novembre 2012, M. et Mme Daumen, n° 347223, T. pp. 672-728-730-761. Comp., sur l'existence d'une espérance légitime, CE, Plénière fiscale, 9 mai 2012, Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique c/ Société EPI, n° 308996, p. 200 ;

CE, 27 juillet 2012, Société ST informatique services, n° 327850, T. p. 731-732-762., ,

[RJ2]

Cf. CE, 22 janvier 2013, Fédération nationale indépendante des mutuelles, n° 355844, T. p. 528-601.


Publications
Proposition de citation : CE, 19 jui. 2016, n° 394596
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Vincent Uher
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:394596.20160719
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