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22/01/2013 | FRANCE | N°355844

France | France, Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 22 janvier 2013, 355844


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 janvier et 16 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Fédération nationale indépendante des mutuelles ; elle demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie référencée 7I-3-11 du 10 novembre 2011, publiée au Bulletin officiel des impôts du 15 novembre 2011, relative à la modification des tarifs de taxation des contrats d'assurance maladie dits " solidaires et responsables "

et des autres contrats d'assurance maladie ;

2°) de mettre à la charge...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 janvier et 16 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Fédération nationale indépendante des mutuelles ; elle demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie référencée 7I-3-11 du 10 novembre 2011, publiée au Bulletin officiel des impôts du 15 novembre 2011, relative à la modification des tarifs de taxation des contrats d'assurance maladie dits " solidaires et responsables " et des autres contrats d'assurance maladie ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu le code des assurances ;

Vu le code général des impôts ;

Vu la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 ;

Vu la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 ;

Vu la décision du 25 juin 2012 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Fédération nationale indépendante des mutuelles ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Maxime Boutron, Auditeur,

- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la Fédération nationale indépendante des mutuelles,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la Fédération nationale indépendante des mutuelles ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article 991 du code général des impôts : " Toute convention d'assurance conclue avec une société ou compagnie d'assurances ou avec tout autre assureur français ou étranger est soumise, quels que soient le lieu et la date auxquels elle est ou a été conclue, à une taxe annuelle et obligatoire (...) La taxe est perçue sur le montant des sommes stipulées au profit de l'assureur et de tous accessoires dont celui-ci bénéficie directement ou indirectement du fait de l'assuré " ;

2. Considérant, d'une part, que l'article 21 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 a abrogé l'exonération de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance instituée par l'article 991 du code général des impôts dont bénéficiaient précédemment, en application des 15° et 16° de l'article 995 du même code, les contrats d'assurance maladie relatifs à des opérations individuelles et collectives à adhésion facultative et ceux relatifs à des opérations collectives à adhésion obligatoire prévoyant certaines obligations, dits contrats " solidaires et responsables ", pour leur appliquer, en vertu de l'article 1001 du même code, un taux de 3,5 % ; que ces modifications ont été rendues applicables par le III de l'article 21 de la loi du 29 décembre 2010 aux primes ou cotisations échues à compter du 1er janvier 2011 ;

3. Considérant, d'autre part, que l'article 9 de la loi du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011 a ensuite porté de 3,5 à 7 % le taux de la taxe appliqué à ces mêmes contrats ; que ces modifications ont été rendues applicables par le III de l'article 9 de la loi du 19 septembre 2011 aux primes ou cotisations échues à compter du 1er octobre 2011 ;

4. Considérant que la Fédération nationale indépendante des mutuelles demande l'annulation de l'instruction fiscale référencée 7 I-3-11 du 10 novembre 2011 qui commente les dispositions précitées et précise l'assiette de la taxe et la date d'entrée en vigueur des tarifs susvisés ; qu'aux termes du point 10 de cette instruction : " La date d'entrée en vigueur des tarifs susvisés est fixée par référence à la date d'échéance des primes. Celle-ci correspond au 1er jour de la période à laquelle est afférente la prime ou la fraction de prime. Est sans incidence le fait que la prime ou la fraction de prime soit payée antérieurement ou postérieurement à cette date " ;

5. Considérant, en premier lieu, que la fédération requérante soutient qu'en indiquant que le taux applicable devait être celui en vigueur à la date d'échéance de la prime et non à la date de conclusion du contrat, l'instruction a méconnu l'article 991 du code général des impôts, en vertu duquel la taxe porterait sur les conventions d'assurance et non sur les primes et cotisations ; que, toutefois, le second alinéa de l'article 991 précise que la taxe est perçue sur le montant des sommes stipulées au profit de l'assureur et de tous accessoires dont celui-ci bénéficie directement ou indirectement du fait de l'assuré ; que, par suite, en précisant que la date d'entrée en vigueur des tarifs institués par les articles 21 de la loi du 29 décembre 2010 et 9 de la loi du 19 septembre 2011 était fixée par référence à la date d'échéance des primes et que celle-ci correspondait au 1er jour de la période à laquelle est afférente la prime ou la fraction de prime, l'instruction attaquée, qui n'a fait que reprendre les dates d'entrée en vigueur prévues par les dispositions législatives qu'elle commentait, n'a pas méconnu les dispositions de l'article 991 du code général des impôts ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que la fédération requérante fait valoir que l'instruction attaquée serait entachée de contradiction en ce qu'elle énonce, d'une part, que la date pertinente d'entrée en vigueur des nouveaux tarifs de la taxe serait fixée au 1er jour de la période couverte par le contrat, qui serait nécessairement celle du jour de la prise d'effet de la convention, d'autre part, que seule est prise en compte la date d'échéance des primes ; que, toutefois, en se référant au " 1er jour de la période à laquelle est afférente la prime ou fraction de prime ", l'instruction attaquée vise clairement, comme le montrent les sept exemples qu'elle expose, le 1er jour de la période au titre de laquelle la prime ou fraction de prime est due, qui est soit le jour de la prise d'effet de la convention, pour les contrats à prime non fractionnée au titre de la garantie annuelle, soit le premier jour de chaque période mensuelle ou trimestrielle au titre de laquelle la prime fractionnée (mensuelle ou trimestrielle) est due ; que, par suite, ce moyen doit être écarté ;

7. Considérant, en troisième lieu, que la fédération requérante allègue que l'instruction réitère les règles d'entrée en vigueur des nouveaux taux prévues par les articles 21 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 et 9 de la loi du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011, lesquels seraient contraires à l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à l'article 14 de la convention et au principe de sécurité juridique tel qu'il est garanti en application de cette convention ;

8. Considérant qu'aux termes de l'article premier du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international./ Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ; qu'une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte ; qu'à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations ; que lorsque le législateur modifie pour l'avenir des dispositions fiscales adoptées sans limitation de durée, il ne prive les contribuables d'aucune espérance légitime au sens de ces stipulations ;

9. Considérant qu'en remettant en cause, par l'article 21 de la loi du 29 décembre 2010, à compter du 1er janvier 2011, l'exonération de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance instituée par l'article 991 du code général des impôts dont bénéficiaient précédemment, en application des 15° et 16° de l'article 995 du même code, les contrats d'assurance maladie relatifs à des opérations individuelles et collectives à adhésion facultative et ceux dits contrats " solidaires et responsables ", pour leur appliquer un taux de 3,5 %, et en portant ce taux à 7 %, à compter du 1er octobre 2011, par l'article 9 de la loi du 19 septembre 2011, le législateur n'a privé la fédération requérante d'aucune espérance légitime au sens de l'article premier du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'a, par suite, pas méconnu cet article ; que ne pouvant se prévaloir d'un bien dont le respect serait garanti par ces stipulations, la requérante ne peut utilement invoquer celles de l'article 14 de la même convention, qui prohibent les discriminations dans la jouissance des seuls droits et libertés que cette convention reconnaît ; que, dès lors que les dispositions législatives, réitérées par l'instruction, prévoient que les nouveaux taux seront applicables aux primes échues à compter du 1er janvier 2011 et du 1er octobre 2011 et n'ont, ainsi qu'il a été dit, aucune portée rétroactive, elles ne méconnaissent pas, en tout état de cause, le principe de sécurité juridique garanti en application de la convention ;

10. Considérant, enfin, que le principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne, ne trouve à s'appliquer dans l'ordre juridique national que dans les cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par ce droit ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions législatives que l'instruction attaquée commente auraient méconnu ce principe doit être écarté comme inopérant ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la fédération requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'instruction qu'elle attaque ; que, par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la Fédération nationale indépendante des mutuelles est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale indépendante des mutuelles et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 8ème et 3ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 355844
Date de la décision : 22/01/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - GÉNÉRALITÉS - TEXTES FISCAUX - LÉGALITÉ ET CONVENTIONNALITÉ DES DISPOSITIONS FISCALES - LOIS - LOI MODIFIANT POUR L'AVENIR DES DISPOSITIONS FISCALES ADOPTÉES SANS LIMITATION DE DURÉE - PRIVATION DES CONTRIBUABLES D'UNE ESPÉRANCE LÉGITIME AU SENS DE L'ARTICLE 1P1 - ABSENCE [RJ1].

19-01-01-01-01 Lorsque le législateur modifie pour l'avenir des dispositions fiscales adoptées sans limitation de durée, il ne prive les contribuables d'aucune espérance légitime au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (article 1P1).

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LES PROTOCOLES - DROIT AU RESPECT DE SES BIENS (ART - 1ER DU PREMIER PROTOCOLE ADDITIONNEL) - LOI MODIFIANT POUR L'AVENIR DES DISPOSITIONS FISCALES ADOPTÉES SANS LIMITATION DE DURÉE - PRIVATION DES CONTRIBUABLES D'UNE ESPÉRANCE LÉGITIME AU SENS DE L'ARTICLE 1P1 - ABSENCE [RJ1].

26-055-02-01 Lorsque le législateur modifie pour l'avenir des dispositions fiscales adoptées sans limitation de durée, il ne prive les contribuables d'aucune espérance légitime au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (article 1P1).


Références :

[RJ1]

Rappr. CE, Plénière fiscale, 9 mai 2012, Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique c/ société EPI, n° 308996, à publier au Recueil ;

CE, 21 novembre 2012, M. et Mme Daumen, n° 347223, à mentionner aux Tables.


Publications
Proposition de citation : CE, 22 jan. 2013, n° 355844
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Maxime Boutron
Rapporteur public ?: Mme Nathalie Escaut
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:355844.20130122
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