La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/07/2016 | FRANCE | N°391797

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 19 juillet 2016, 391797


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 juillet 2015 et 12 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Pierre Fabre Médicament demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 16 janvier 2015 du ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et du ministre des finances et des comptes publics portant radiation de spécialités pharmaceutiques de la liste mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et

l'arrêté du même jour des mêmes ministres portant radiation de spécialités pha...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 juillet 2015 et 12 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Pierre Fabre Médicament demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 16 janvier 2015 du ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et du ministre des finances et des comptes publics portant radiation de spécialités pharmaceutiques de la liste mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et l'arrêté du même jour des mêmes ministres portant radiation de spécialités pharmaceutiques de la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, en tant que ces arrêtés concernent la spécialité Omacor ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision d'abrogation au 1er mars 2015 de l'article 2.7 de l'avenant du 4 avril 2014 à la convention conclue entre le comité économique des produits de santé et elle, révélée par les arrêtés du 16 janvier 2015 ;

3°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 13 mai 2015 par laquelle le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes a rejeté son recours gracieux dirigé contre les arrêtés et décision attaqués ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Thoumelou, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, les spécialités pharmaceutiques ne peuvent être prises en charge ou donner lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie, lorsqu'elles sont dispensées en officine, que si elles figurent sur une liste établie dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il résulte des dispositions de l'article R. 163-3 et du I de l'article R. 163-7 du même code que ces médicaments sont radiés de cette liste, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé pris après avis de la commission de la Haute Autorité de santé prévue à l'article R. 163-15 de ce code, dite " commission de la transparence ", lorsque leur service médical rendu est insuffisant au regard des autres médicaments ou thérapies disponibles. Un tel motif est également de nature à justifier l'abrogation d'une inscription sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités publiques, prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, dans les conditions fixées par le décret mentionné à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale.

2. Par deux arrêtés du 16 janvier 2015, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont, sur le fondement de ces règles, radié des listes mentionnées respectivement à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique la spécialité Omacor, exploitée par la société Pierre Fabre Médicament. Cette société demande l'annulation pour excès de pouvoir de ces arrêtés en tant qu'ils concernent sa spécialité.

Sur la légalité externe des arrêtés attaqués :

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 163-7 du code de la sécurité sociale : " Après avis de la commission mentionnée à l'article R. 163-15, peuvent être radiés de la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé de la santé : (...) 3° Les médicaments qui ne peuvent plus figurer sur cette liste en vertu des dispositions prévues à l'article R. 163-3 (...) ". Aux termes du I de l'article R. 163-13 du même code : " Le ministre chargé de la sécurité sociale et le ministre chargé de la santé informent l'entreprise qui exploite le médicament de leur intention de radier un médicament des listes prévues au premier alinéa de l'article L. 162-17 du présent code et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique. / (...) l'entreprise qui exploite le médicament peut présenter des observations écrites ou demander à être entendue par la commission prévue à l'article R. 163-15, dans le mois suivant réception de cette information ". Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 15 novembre 2013, à la suite de l'avis de la commission de la transparence estimant insuffisant le service médical rendu de la spécialité Omacor, les ministres concernés ont informé la société Pierre Fabre Médicament de leur intention de radier cette spécialité des listes mentionnées aux articles L. 162-17 du code de la sécurité sociale et L. 5123-2 du code de la santé publique. Cette société a, par la suite, pu faire part de ses observations lors d'une audition par la commission de la transparence le 28 mai 2014. Il en résulte que la procédure suivie pour l'adoption des arrêtés attaqués n'a pas méconnu les exigences des articles R. 163-7 et R. 163-13. La seule circonstance que, du fait du silence gardé par les ministres sur la demande, présentée par la société, de renouvellement de l'inscription d'Omacor sur la liste des médicaments remboursables, un tel renouvellement soit tacitement intervenu quelques jours avant l'adoption des deux arrêtés procédant à la radiation de la spécialité ne saurait traduire aucune renonciation des ministres à leur intention de procéder à cette radiation. Celle-ci pouvait dès lors intervenir, sans qu'il soit nécessaire de reprendre l'ensemble de la procédure en invitant la commission de la transparence à se prononcer de nouveau et la société à présenter ses observations. Le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions des articles R. 163-7 et R. 163-13 du code de la sécurité sociale doit, en conséquence, être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 163-15 du code de la sécurité sociale : " La commission de la transparence comprend : / 1° Vingt membres titulaires ayant voix délibérative, nommés par décision du collège de la Haute Autorité de santé pour une durée de trois ans renouvelable deux fois (...) ". La société Pierre Fabre Médicament soutient que, lors de la séance du 2 octobre 2013 au cours de laquelle la commission de la transparence a émis son avis sur la spécialité Omacor, six membres, dont le président, ont siégé en méconnaissance de la durée maximale de neuf ans résultant de ces dispositions et que cinq d'entre eux ont pris part au vote. Il ressort cependant des pièces du dossier que les mandats du président et des membres concernés ont été renouvelés en dernier lieu par une décision du collège de la Haute Autorité de santé du 9 mars 2011, publiée au bulletin officiel du ministère du travail, de l'emploi et de la santé et du ministère des solidarités et de la cohésion sociale du 15 mai 2011. Eu égard aux activités de la société requérante et aux modalités de diffusion de ce bulletin officiel, notamment sur le site internet du ministère chargé de la santé, une telle publication doit être regardée comme une mesure de publicité suffisante pour faire courir le délai de recours contentieux à son endroit. Dès lors que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 163-15 du code de la sécurité sociale était susceptible d'être soulevé dès la publication de la décision nommant de nouveau les membres concernés, pour une durée nécessairement fixée à trois ans, la société requérante ne saurait se prévaloir de ce que le terme de la durée de neuf ans serait intervenu le 28 septembre 2012, date à laquelle la décision du 9 mars 2011 était déjà devenue définitive. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la composition de la commission de la transparence, qui revient à mettre en cause la légalité de la décision du 9 mars 2011, devenue définitive à la date à laquelle le moyen a été soulevé devant le Conseil d'Etat, n'est pas recevable.

5. En troisième lieu, selon le point 5 de l'article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance maladie : " Toute décision d'exclure un produit de la liste des produits couverts par le système national d'assurance maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables. De telles décisions, y compris, si nécessaire, les avis ou recommandations d'experts sur lesquels les décisions sont fondées, sont communiquées à la personne responsable, qui est informée des moyens de recours dont elle dispose selon la législation en vigueur ainsi que des délais dans lesquels ces recours peuvent être formés ". L'article R. 163-14 du code de la sécurité sociale, qui transpose ces dispositions, prévoit que : " Les décisions portant refus d'inscription sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 du présent code et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, (...) radiation de ces listes (...), sont communiquées à l'entreprise avec la mention des motifs de ces décisions (...) ". Les arrêtés attaqués mentionnent les dispositions sur lesquelles ils se fondent et indiquent s'approprier les motifs des avis des 2 octobre 2013 et 28 mai 2014 de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé, estimant insuffisant le service médical rendu par la spécialité, qui avaient été précédemment communiqués à l'entreprise et peuvent être consultés sur le site de la Haute Autorité. Les ministres n'étaient pas tenus d'indiquer les raisons pour lesquelles leurs décisions de radiation faisaient suite à une décision tacite de renouvellement d'inscription intervenue quelques jours plus tôt. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les arrêtés qu'elle attaque seraient insuffisamment motivés.

Sur la légalité interne des arrêtés attaqués :

6. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 3, la circonstance que, du fait du silence gardé par les ministres sur la demande, présentée par la société, de renouvellement de l'inscription d'Omacor sur la liste des médicaments remboursables, un tel renouvellement soit tacitement intervenu n'a pas eu pour effet de clore la procédure de radiation précédemment engagée. Par suite, les ministres n'ont pas commis d'erreur de droit et n'ont pas entaché leurs décisions d'erreur matérielle en se fondant sur les avis rendus par la commission de la transparence les 2 octobre 2013 et 28 mai 2014.

7. En deuxième lieu, il résulte des dispositions de l'article R. 163-3 et du I de l'article R. 163-7 du code de la sécurité sociale, ainsi qu'il a été dit au point 1, que l'insuffisance du service médical rendu d'une spécialité au regard des autres médicaments ou thérapies disponibles est de nature à justifier sa radiation de la liste mentionnée à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, de même que de la liste mentionnée à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique. En vertu de l'article R. 163-18 du code de la sécurité sociale, la commission de la transparence apprécie le bien-fondé, au regard du service médical rendu, de l'inscription du médicament sur ces listes. Les circonstances dans lesquelles une étude a été demandée à la société exploitant une spécialité sont, en elles-mêmes, sans incidence sur la légalité de décisions par lesquelles les ministres compétents, après avoir estimé son service médical rendu insuffisant, radient une spécialité de ces listes. Par suite, la société Pierre Fabre Médicament n'est pas fondée à soutenir que les décisions attaquées seraient entachées d'erreur de droit au motif que la commission de la transparence et, à sa suite, les ministres se seraient fondés, pour décider la radiation de la spécialité Omacor, sur les résultats intermédiaires d'une étude, dite EOLE, prévue dans le cadre d'un avenant conclu le 22 décembre 2004 à la convention la liant au comité économique des produits de santé en vertu des dispositions de l'article L. 162-17-4 du code de la sécurité sociale, qui ne prévoyaient pas encore, à cette date, la possibilité d'insérer dans les conventions une stipulation relative aux conditions et aux modalités de mise en oeuvre d'une étude pharmaco-épidémiologique.

8. En troisième lieu, d'une part, il ressort des pièces du dossier, notamment de la lettre du 26 juin 2012 par laquelle le ministre en charge de la santé lui a demandé de réévaluer le service médical rendu par Omacor et de son avis du 2 octobre 2013, que la commission de la transparence a procédé à cette réévaluation à la lumière de plusieurs données nouvelles autres que l'étude EOLE, provenant notamment de six méta-analyses, d'une étude clinique " randomisée " et de deux études de cohortes rétrospectives. D'autre part, les résultats intermédiaires de l'étude de cohorte observationnelle EOLE permettaient de disposer des analyses de suivi des patients à 24 et à 42 mois, offrant un recul suffisant. Par suite, la société n'est pas fondée à soutenir que les décisions attaquées seraient entachées d'erreur manifeste d'appréciation en raison de la prise en compte des résultats intermédiaires de l'étude EOLE.

9. En quatrième lieu, en vertu de l'article R. 163-21 du code de la sécurité sociale, la commission de la transparence " peut réévaluer le service médical rendu des médicaments inscrits sur les listes, ou l'une des listes, prévues au premier alinéa de l'article L. 162-17 et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique par classe pharmaco-thérapeutique ou à même visée thérapeutique (...) ". Toutefois, les décisions attaquées n'ont pas été prises à la suite d'une réévaluation du service médical rendu de la spécialité conduite sur le fondement de ces dispositions, mais sur le fondement de celles de l'article R. 163-19 du même code, qui permet aux ministres chargés de la santé ou de la sécurité sociale de demander à la commission de la transparence de donner un avis sur le maintien d'un médicament sur les listes prévues au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique. Par suite, la société Pierre Fabre Médicament ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article R. 163-21 du code de la sécurité sociale pour soutenir que la commission de la transparence aurait dû procéder à la réévaluation de l'ensemble des spécialités à même visée thérapeutique.

10. En dernier lieu, les conventions conclues entre le comité économique des produits de santé et une entreprise, pour déterminer notamment le prix d'un médicament, en application de l'article L. 162-17-4 du code de la sécurité sociale, présentent le caractère d'actes réglementaires. La société Pierre Fabre Médicament ne disposait ainsi, contrairement à ce qu'elle soutient, d'aucun droit acquis au maintien des prescriptions qu'elles contenaient. Par ailleurs, les décisions attaquées, qui sont intervenues à l'issue d'une procédure dont la société requérante a été informée par courrier du 15 novembre 2013 et ont pris effet le 1er mars 2015, n'ont méconnu ni le principe de sécurité juridique, ni, en tout état de cause, le principe de confiance légitime.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Pierre Fabre Médicament n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions attaquées.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande la société Pierre Fabre Médicament au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la société Pierre Fabre Médicament est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Pierre Fabre Médicament et à la ministre des affaires sociales et de la santé.

Copie en sera adressée à la Haute Autorité de santé.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 391797
Date de la décision : 19/07/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 jui. 2016, n° 391797
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Marc Thoumelou
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:391797.20160719
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award