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30/06/2016 | FRANCE | N°383822

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 30 juin 2016, 383822


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés respectivement les 19 août et 7 novembre 2014 et le 13 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Crédit agricole SA et l'association " Coop FR, les entreprises coopératives " demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la " position " 2014-P-07 du 20 juin 2014 de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) relative à la désignation des " dirigeants effectifs " au sens de l'article L. 511-13 et d

u 4 de l'article L. 532-2 du code monétaire et financier ;

2°) de mettre à la...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés respectivement les 19 août et 7 novembre 2014 et le 13 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Crédit agricole SA et l'association " Coop FR, les entreprises coopératives " demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la " position " 2014-P-07 du 20 juin 2014 de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) relative à la désignation des " dirigeants effectifs " au sens de l'article L. 511-13 et du 4 de l'article L. 532-2 du code monétaire et financier ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2013/36/UE du 26 juin 2013 ;

- l'ordonnance n° 2014-158 du 20 février 2014 ;

- le code monétaire et financier ;

- le code de commerce ;

- la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie-Gabrielle Merloz, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 juin 2016, présentée par la société Crédit agricole SA et l'association " Coop FR, les entreprises coopératives " ;

1. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 511-13 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige : " La direction effective de l'activité des établissements de crédit ou des sociétés de financement doit être assurée par deux personnes au moins " ; que ces dispositions, issues de l'article 3 de l'ordonnance du 20 février 2014 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière financière, ont été prises pour assurer la transposition du premier alinéa du 1 de l'article 13 de la directive du 26 juin 2013 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, aux termes duquel : " Les autorités compétentes n'accordent l'agrément pour démarrer l'activité d'établissement de crédit qu'à la condition qu'au moins deux personnes dirigent effectivement les activités de l'établissement de crédit requérant " ; que, par sa " position " 2014-P-07 du 20 juin 2014, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a précisé la mise en oeuvre de ces dispositions en indiquant notamment que la fonction de " dirigeant effectif " est exercée, au sein des établissements de crédit constitués sous la forme d'une société anonyme à conseil d'administration, d'une part, par le directeur général et, d'autre part, par le directeur général délégué ou, si la situation particulière de l'établissement fait obstacle à la désignation d'un directeur général délégué pour des raisons exposées à l'ACPR, par un cadre dirigeant disposant des pouvoirs nécessaires, attribués par le conseil d'administration, à l'exercice d'une direction effective de l'activité de l'établissement ; que l'Autorité a exclu que le président du conseil d'administration puisse être désigné comme " dirigeant effectif " de l'établissement, sauf dans les cas où il est expressément autorisé par l'Autorité à cumuler ses fonctions avec celles de directeur général ; qu'eu égard aux moyens qu'elles invoquent, la société Crédit agricole SA et l'association " Coop FR, les entreprises coopératives " doivent être regardées comme ne demandant l'annulation pour excès de pouvoir de cette " position " qu'en tant que celle-ci précise les personnes devant être désignées comme " dirigeants effectifs ", au sens de l'article L. 511-13 du code monétaire et financier, dans les société anonymes à conseil d'administration ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par l'ACPR :

2. Considérant, en premier lieu, que les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l'exercice des missions dont elles sont investies, peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils revêtent le caractère de dispositions générales et impératives ou lorsqu'ils énoncent des prescriptions individuelles dont ces autorités pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance ; que, par la " position " attaquée, l'ACPR expose son interprétation de la notion de direction effective de l'établissement au sens de l'article L. 511-13 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 20 février 2014, en décrivant quelles fonctions confèrent la qualité de " dirigeant effectif " au sein des établissements de crédit et sociétés de financement soumis à son contrôle, en fonction de la forme sociale de ces derniers ; qu'eu égard à sa formulation générale et impérative, cette " position " doit être regardée comme une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ;

3. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'article 2 des statuts de l'association " Coop FR, les entreprises coopératives " que cette association, qui regroupe les mouvements coopératifs représentatifs de différents secteurs de l'économie, dont le secteur du crédit, a pour but de défendre et de promouvoir les principes fondamentaux de la coopération ; que dès lors que la " position " exprimée par l'ACPR concerne notamment la désignation des " dirigeants effectifs " au sein des banques coopératives, l'association " Coop FR, les entreprises coopératives " justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation de cette " position " ;

4. Considérant qu'il suit de là que les fins de non-recevoir opposées par l'ACPR doivent être écartées ;

Sur la légalité externe :

5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 612-1 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige : " I. L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, autorité administrative indépendante, veille à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients, assurés, adhérents et bénéficiaires des personnes soumises à son contrôle./ L'Autorité contrôle le respect par ces personnes des dispositions européennes qui leur sont directement applicables, des dispositions du code monétaire et financier ainsi que des dispositions réglementaires prévues pour son application.../ II. Elle est chargée:/ (...) 5° De veiller au respect par les personnes soumises à son contrôle des règles relatives aux modalités d'exercice de leur activité par elles-mêmes ou par l'intermédiaire de filiales et aux opérations d'acquisition et de prise de participation./ Pour l'accomplissement de ses missions, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution dispose, à l'égard des personnes mentionnées à l'article L. 612-2, d'un pouvoir de contrôle, du pouvoir de prendre des mesures de police administrative et d'un pouvoir de sanction. Elle peut en outre porter à la connaissance du public toute information qu'elle estime nécessaire à l'accomplissement de ses missions, sans que lui soit opposable le secret professionnel mentionné à l'article L. 612-17 (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'ACPR, si elle n'est pas dotée d'un pouvoir réglementaire, peut, dans un souci de transparence et de prévisibilité sur des questions qu'elle estime importantes, indiquer aux personnes soumises à son contrôle la manière dont elle entend contrôler le respect par ces dernières des dispositions du code monétaire et financier ; que le moyen tiré de ce que l'Autorité n'était pas compétente pour prendre la " position " attaquée doit, dès lors, être écarté ;

Sur la légalité interne :

6. Considérant, d'une part, qu'il résulte des termes mêmes de la " position " attaquée que l'ACPR a interprété la notion de " dirigeant effectif ", pour l'application de l'article L. 511-13 du code monétaire et financier, à la lumière des dispositions de ce code prises pour la transposition de la directive du 26 juin 2013 ; que si cette directive ne définit pas la notion de " dirigeant effectif ", renvoyant sur ce point au droit national, son article 88 impose aux États membres de veiller à ce que l'organe de direction des établissements de crédit définisse et supervise la mise en oeuvre de dispositifs de surveillance qui garantissent une gestion efficace et prudente de l'établissement, et notamment la séparation des fonctions au sein de l'organisation et la prévention des conflits d'intérêts, et exclut que le président de l'organe de direction dans sa fonction de surveillance de l'établissement exerce simultanément la fonction de directeur général dans le même établissement, sauf lorsqu'une telle situation est justifiée par l'établissement et approuvée par les autorités compétentes ; que ces dispositions ont été transposées par l'ordonnance du 20 février 2014 à l'article L. 511-58 du code monétaire et financier, aux termes duquel : " La présidence du conseil d'administration ou de tout autre organe exerçant des fonctions de surveillance équivalentes d'un établissement de crédit ou d'une société de financement ne peut être exercée par le directeur général ou par une personne exerçant des fonctions de direction équivalentes. / Toutefois, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution peut autoriser le cumul de ces fonctions au vu des justifications produites par l'établissement de crédit ou la société de financement " ;

7. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 225-51 du code de commerce : " Le président du conseil d'administration organise et dirige les travaux de celui-ci, dont il rend compte à l'assemblée générale. / Il veille au bon fonctionnement des organes de la société et s'assure, en particulier, que les administrateurs sont en mesure de remplir leur mission " ; qu'il résulte de ces dispositions que le président du conseil d'administration d'un établissement de crédit sous forme de société anonyme, hormis le cas où il assume, comme le permet l'article L. 225-51-1 du même code et à condition d'y avoir été autorisé dans les conditions prévues par l'article L. 511-58 du code monétaire et financier, la direction générale de l'établissement, ne peut pas être regardé comme assurant la direction effective de l'établissement de crédit au sens de l'article L. 511-13 de ce code ; que, par suite, l'ACPR n'a pas méconnu ces dispositions en énonçant qu'en dehors de cette hypothèse, le président du conseil d'administration d'un établissement de crédit, constitué sous la forme d'une société anonyme à conseil d'administration, ne peut être désigné comme " dirigeant effectif " de cet établissement ; que les requérantes ne sauraient à cet égard utilement invoquer les spécificités des établissements de crédit soumis à la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, dès lors que les dispositions précitées du code de commerce leur sont applicables indépendamment de la liberté d'organisation que leur confèreraient les dispositions de cette loi ou de l'article L. 512-31 du code monétaire et financier ;

8. Considérant, enfin, que si les requérantes contestent que, dans les établissements de crédit sous forme de sociétés anonymes à conseil d'administration, un directeur général délégué puisse être regardé comme un deuxième " dirigeant effectif " de l'établissement de crédit aux côtés du directeur général, ainsi que l'envisage la " position " attaquée, les dispositions du II de l'article L. 225-56 du code de commerce habilitent le conseil d'administration à confier au directeur général délégué des pouvoirs suffisant à le faire regarder comme assurant lui aussi la direction effective de l'activité de l'établissement ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Crédit agricole SA et l'association " Coop FR, les entreprises coopératives " ne sont pas fondées à demander l'annulation de la " position " attaquée ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat (ACPR), qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par l'Etat (ACPR) à ce même titre ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la société Crédit agricole SA et de l'association " Coop FR, les entreprises coopératives " est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'Etat (ACPR) présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Crédit agricole SA, à l'association " Coop FR, les entreprises coopératives " et à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 383822
Date de la décision : 30/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

CAPITAUX - MONNAIE - BANQUES - POSITION PAR LAQUELLE L'ACPR EXPOSE SON INTERPRÉTATION D'UNE NOTION - DÉCISION SUSCEPTIBLE DE FAIRE L'OBJET D'UN REP - EXISTENCE [RJ1].

13-027 Une position par laquelle l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) expose son interprétation de la notion de direction effective de l'établissement au sens de l'article L. 511-13 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-158 du 20 février 2014, en décrivant quelles fonctions confèrent la qualité de dirigeant effectif au sein des établissements de crédit et sociétés de financement soumis à son contrôle, en fonction de la forme sociale de ces derniers, eu égard à sa formulation générale et impérative, doit être regardée comme susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (REP).

CAPITAUX - MONNAIE - BANQUES - BANQUES - NOTION DE DIRIGEANT EFFECTIF D'UN ÉTABLISSEMENT DE CRÉDIT (ART - L - 511-13 DU CMF) - EXCLUSION - PRÉSIDENT DU CA D'UN ÉTABLISSEMENT DE CRÉDIT CONSTITUÉ SOUS FORME D'UNE SA À CA.

13-04 Il résulte de l'article L. 225-51 du code de commerce que le président du conseil d'administration (CA) d'un établissement de crédit sous forme de société anonyme (SA), hormis le cas où il assume, comme le permet l'article L. 225-51-1 du même code et à condition d'y avoir été autorisé dans les conditions prévues par l'article L. 511-58 du code monétaire et financier (CMF), la direction générale de l'établissement, ne peut pas être regardé comme assurant la direction effective de l'établissement de crédit au sens de l'article L. 511-13 de ce code. En dehors de cette hypothèse, donc, le président du conseil d'administration d'un établissement de crédit, constitué sous la forme d'une société anonyme à conseil d'administration, ne peut être désigné comme dirigeant effectif de cet établissement.

PROCÉDURE - INTRODUCTION DE L'INSTANCE - DÉCISIONS POUVANT OU NON FAIRE L'OBJET D'UN RECOURS - ACTES CONSTITUANT DES DÉCISIONS SUSCEPTIBLES DE RECOURS - INCLUSION - POSITION PAR LAQUELLE L'ACPR EXPOSE SON INTERPRÉTATION D'UNE NOTION [RJ1].

54-01-01-01 Une position par laquelle l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) expose son interprétation de la notion de direction effective de l'établissement au sens de l'article L. 511-13 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-158 du 20 février 2014, en décrivant quelles fonctions confèrent la qualité de dirigeant effectif au sein des établissements de crédit et sociétés de financement soumis à son contrôle, en fonction de la forme sociale de ces derniers, eu égard à sa formulation générale et impérative, doit être regardée comme susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (REP).


Références :

[RJ1]

Cf. CE, Assemblée, 21 mars 2016, Société Fairvesta International GMBH et autres, n°s 368082 368083 368084, p. 76 ;

CE, 20 juin 2016, Fédération française des sociétés d'assurances, n° 384297, à mentionner aux Tables.


Publications
Proposition de citation : CE, 30 jui. 2016, n° 383822
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:383822.20160630
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