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20/06/2016 | FRANCE | N°387796

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 20 juin 2016, 387796


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 13 mai 2011 par laquelle le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer une carte de résident. Par un jugement n° 1105725 du 5 novembre 2013, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 14BX00138 du 6 novembre 2014, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. A...contre ce jugement et ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer la carte de

résident dans un délai d'un mois à compter de la notification à intervenir...

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 13 mai 2011 par laquelle le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer une carte de résident. Par un jugement n° 1105725 du 5 novembre 2013, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 14BX00138 du 6 novembre 2014, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. A...contre ce jugement et ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer la carte de résident dans un délai d'un mois à compter de la notification à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 février et 11 mai 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur la validité des dispositions du paragraphe 1 de l'article 5 de la directive 2003/109/CE du 25 novembre 2003 au regard des principes fondamentaux du droit de l'Union ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le Traité sur l'Union européenne ;

- le Traité instituant la Communauté européenne ;

- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie-Anne Lévêque, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de M. A...;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B...A..., ressortissant congolais, né en 1952, est titulaire, depuis 2000, d'une carte de séjour d'une durée d'un an portant la mention " vie privée et familiale ", régulièrement renouvelée depuis lors ; que l'intéressé, auquel a été reconnu, en raison de son handicap, un taux d'incapacité de 50 %, a sollicité la délivrance d'une carte de résident ; que le préfet de la Haute-Garonne lui a opposé un refus, par une décision en date du 13 mai 2011, au motif qu'il ne satisfaisait pas à la condition de ressources prévue par l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, tout en procédant au renouvellement de sa carte de séjour temporaire ; que le tribunal administratif de Toulouse, saisi par M.A..., a rejeté sa demande d'annulation de la décision lui refusant la délivrance d'une carte de résident ; que M. A... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 6 novembre 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête d'appel ;

Sur le cadre juridique du litige :

2. Considérant, en premier lieu, que lorsqu'il est soutenu qu'une directive prise sur le fondement du Traité instituant la Communauté européenne ou, désormais, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, méconnaît les dispositions des traités, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les principes généraux du droit de l'Union européenne ou les stipulations d'une convention à laquelle l'Union européenne est partie, il appartient au juge administratif, en l'absence de difficulté sérieuse, d'écarter le moyen invoqué ou, dans le cas contraire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, dans les conditions prévues par l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; qu'il en va de même lorsqu'il est soutenu qu'une directive méconnaît les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il résulte de l'article 6 paragraphe 3 du Traité sur l'Union européenne que les droits fondamentaux garantis par ces stipulations " font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux " ;

3. Considérant, en second lieu, que lorsque est invoqué devant le juge administratif un moyen tiré de ce qu'une loi transposant une directive serait elle-même incompatible avec un droit fondamental garanti par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, par suite faisant partie du droit de l'Union en tant que principe général, ou avec un droit garanti par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, il appartient au juge administratif de s'assurer d'abord que la loi procède à une exacte transposition des dispositions de la directive ; que si tel est le cas, le moyen tiré de la méconnaissance de ce droit par la loi de transposition ne peut être apprécié que selon la procédure de contrôle de la directive elle-même décrite ci-dessus ;

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :

4. Considérant que la directive du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée a pour objet d'établir, aux termes de son article 1er : " les conditions d'octroi et de retrait du statut de résident de longue durée accordé par un Etat membre aux ressortissants de pays tiers qui séjournent légalement sur son territoire, ainsi que les droits y afférents " et " les conditions de séjour dans des Etats membres autres que celui qui a octroyé le statut de longue durée pour les ressortissants de pays tiers qui bénéficient de ce statut " ; qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 4 : " les Etats membres accordent le statut de résident de longue durée aux ressortissants de pays tiers qui ont résidé de manière légale et ininterrompue sur leur territoire pendant les cinq années qui ont immédiatement précédé l'introduction de la demande en cause " ; que, toutefois, aux termes du paragraphe 1 de l'article 5 : " les Etats membres exigent du ressortissant d'un pays tiers de fournir la preuve qu'il dispose pour lui et pour les membres de sa famille qui sont à sa charge : a) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille sans recourir au système d'aide sociale de l'Etat membre concerné. Les Etats membres évaluent ces ressources par rapport à leur nature et à leur régularité et peuvent tenir compte du niveau minimal des salaires et pensions avant la demande d'acquisition du statut de résident de longue durée (...) " ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Tout étranger qui justifie d'une résidence ininterrompue d'au moins cinq années en France, conforme aux lois et règlements en vigueur, sous couvert de l'une des cartes de séjour mentionnées aux articles L. 313-6, L. 313-8 et L. 313-9, aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 313-10, aux articles L. 313-11, L. 313-11-1, L. 313-14 et L. 314-9, aux 2°, 3°, 4°, 5°, 6°, 7° et 9° de l'article L. 314-11 et aux articles L. 314-12 et L. 315-1 peut obtenir une carte de résident portant la mention "résident de longue durée-CE" s'il dispose d'une assurance maladie. La décision d'accorder ou de refuser cette carte est prise en tenant compte des faits qu'il peut invoquer à l'appui de son intention de s'établir durablement en France, notamment au regard des conditions de son activité professionnelle s'il en a une, et de ses moyens d'existence. / Les moyens d'existence du demandeur sont appréciés au regard de ses ressources qui doivent être stables et suffisantes pour subvenir à ses besoins. Sont prises en compte toutes les ressources propres du demandeur indépendamment des prestations familiales et des allocations prévues aux articles L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles et L. 351-9, L. 351-10 et L. 351-10-1 du code du travail. Ces ressources doivent atteindre un montant au moins égal au salaire minimum de croissance et sont appréciées au regard des conditions de logement (...) " ;

6. Considérant, en premier lieu, que la cour administrative d'appel a jugé que l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne méconnaissait ni les stipulations combinées des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les articles 21 et 26 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ni, en tout état de cause, la résolution du Conseil de l'Union européenne du 17 mars 2008 concernant la situation des personnes handicapées dans l'Union européenne ; que M. A...soutient qu'elle a ainsi entaché son arrêt d'erreur de droit en s'abstenant de rechercher si l'article L. 314-8 procédait à une exacte transposition de la directive et si la directive elle-même était compatible avec ces différents textes ;

7. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit aux points 2 et 3, si le juge administratif est saisi d'un moyen tiré de l'incompatibilité d'une disposition législative transposant une directive avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou des articles de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, il doit s'assurer que cette disposition en assure l'exacte transposition ; que, si tel est le cas, et s'il estime être confronté à une difficulté sérieuse, il ne peut que renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne, dans le cadre d'une question préjudicielle, le soin de se prononcer sur la validité de la directive dont la disposition législative critiquée assure la transposition, sauf à ce que la Cour de justice se soit déjà prononcée sur la question ainsi soulevée ; qu'en revanche, si le juge écarte le moyen tiré de l'inconventionnalité de la loi, il doit être regardé comme ayant implicitement mais nécessairement jugé que la question de la validité de la directive ne soulevait pas de difficulté sérieuse ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en ne procédant pas à une telle recherche ne peut qu'être écarté ;

8. Considérant, en deuxième lieu, qu'il est soutenu que la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit en jugeant que le paragraphe 1 de l'article 5 de la directive du 25 novembre 2003 ne méconnaissait ni les stipulations combinées des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les articles 21 et 26 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ni, en tout état de cause, la résolution du Conseil de l'Union européenne du 17 mars 2008 concernant la situation des personnes handicapées dans l'Union européenne ;

9. Considérant que le paragraphe 1 de l'article 5 de la directive cité au point 4 subordonne la reconnaissance du statut de résident de longue durée à l'existence, pour le demandeur et les membres de sa famille, de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à leurs besoins sans recourir au système d'aide sociale de l'Etat membre concerné, afin d'éviter, comme le mentionne le considérant n° 7 de la directive, que l'étranger ne devienne une charge pour celui-ci ; qu'une telle exigence est susceptible de constituer une discrimination indirecte à l'égard des personnes qui, du fait de leur handicap, ne sont pas en mesure d'exercer une activité professionnelle ou ne peuvent exercer qu'une activité limitée et peuvent se trouver ainsi dans l'incapacité de disposer de ressources suffisantes pour subvenir à leurs besoins sans recourir au système d'aide sociale de l'Etat membre où elles résident ;

10. Considérant, cependant, que la condition ainsi posée par la directive est liée aux caractéristiques propres du statut de résident de longue durée, dont le titulaire bénéficie, notamment, du droit de séjourner au-delà de trois mois dans un autre Etat membre ; que l'article 13 de la directive permet aux Etats membres de délivrer des titres de séjour à des conditions plus favorables que celles établies au paragraphe 1 de l'article 5, dès lors que de tels titres de séjour ne donnent pas accès au droit de séjour dans les autres Etats membres ; que le refus de délivrance du titre de séjour de résident de longue durée, qui ne fait pas obstacle à la délivrance d'un autre titre de séjour et qui n'emporte, par lui-même, aucune conséquence sur le droit au séjour de l'intéressé, ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui ne saurait être regardé comme imposant à un Etat de délivrer un type particulier de titre de séjour ; que l'exigence fixée par le paragraphe 1 de l'article 5 de la directive, justifiée par l'objectif légitime de n'ouvrir le statut de résident de longue durée qu'aux étrangers jouissant d'une autonomie financière, est nécessaire et proportionnée au but en vue duquel elle a été prise ; que, par suite, doit être également écarté le moyen tiré de ce qu'elle méconnaîtrait l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui interdit toute discrimination fondée sur le handicap, ainsi que l'article 26, aux termes duquel " l'Union reconnaît et respecte le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté " ; que, par ailleurs, ne peut être utilement invoqué le moyen tiré de ce qu'une directive méconnaîtrait une résolution du Conseil de l'Union européenne ; qu'il suit de là, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que la cour administrative d'appel de Bordeaux n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit en estimant que le paragraphe 1 de l'article 5 de la directive du 25 novembre 2003 ne méconnaissait pas les stipulations de ces conventions ;

11. Considérant, en troisième lieu, que les dispositions de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile tendent à assurer l'exacte transposition du paragraphe 1 de l'article 5 de la directive du 25 novembre 2003 en n'autorisant les Etats-membres à ne prendre en compte que les ressources propres du demandeur, sans y adjoindre les prestations dont il peut bénéficier au titre de l'aide sociale ; qu'elles doivent être interprétées comme excluant la prise en compte non seulement des prestations qu'elles mentionnent mais également des autres prestations d'aide sociale, notamment l'allocation de solidarité aux personnes âgées mentionnée aux articles L. 815-1 et suivants du code de la sécurité sociale et l'allocation aux adultes handicapés mentionnée aux articles L. 821-1 et suivants du même code ; que, dès lors, les moyens tirés de ce que ces dispositions seraient incompatibles avec les stipulations combinées des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 21 et 26 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peuvent qu'être écartés ;

12. Considérant, enfin, que la cour administrative d'appel n'avait pas à rechercher si le préfet n'avait pas entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en se refusant à faire usage de son pouvoir discrétionnaire pour délivrer une carte de résident à M. A..., un tel moyen n'ayant, en tout état de cause, pas été invoqué devant elle ;

13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le pourvoi de M. A...doit être rejeté, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de M. A...est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B...A....

Copie en sera adressée pour information au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 387796
Date de la décision : 20/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 20 jui. 2016, n° 387796
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie-Anne Lévêque
Rapporteur public ?: M. Olivier Henrard
Avocat(s) : SCP SEVAUX, MATHONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:387796.20160620
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