La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/05/2016 | FRANCE | N°389872

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 13 mai 2016, 389872


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 30 avril 2015 et le 21 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat professionnel " Club des acteurs des technologies nouvelles de connexion et d'effacement pour l'habitat, l'optimisation énergétique et le développement de l'effacement électrique " (CATHODE) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions de rejet nées du silence gardé par les ministres chargés de l'énergie et de l'économie sur son recours gracieux tendan

t au retrait de l'arrêté du 30 octobre 2014 relatif aux tarifs réglementés de...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 30 avril 2015 et le 21 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat professionnel " Club des acteurs des technologies nouvelles de connexion et d'effacement pour l'habitat, l'optimisation énergétique et le développement de l'effacement électrique " (CATHODE) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions de rejet nées du silence gardé par les ministres chargés de l'énergie et de l'économie sur son recours gracieux tendant au retrait de l'arrêté du 30 octobre 2014 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité en tant qu'il établit des offres réglementées d'effacement de consommation d'électricité, ainsi que cet arrêté en tant qu'il établit ces offres ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 ;

- la directive 2012/27/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 ;

- le code de commerce ;

- le code de l'énergie ;

- la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 ;

- le décret n° 2014-764 du 3 juillet 2014 ;

- le décret n° 2014-1250 du 28 octobre 2014 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Lignereux, auditeur,

- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Electricité de France ;

1. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 337-4 du code de l'énergie : " Pendant une période transitoire s'achevant le 7 décembre 2015, les tarifs réglementés de vente d'électricité sont arrêtés par les ministres chargés de l'énergie et de l'économie, après avis de la Commission de régulation de l'énergie. " ; que, sur ce fondement, les ministres chargés de l'énergie et de l'économie ont, par un arrêté du 30 octobre 2014, fixé les tarifs réglementés de vente de l'électricité ; que ces tarifs comportent plusieurs options, parmi lesquelles les options dites " Effacement Jours de Pointe " (" EJP ") et " Tempo ", qui visent à inciter les consommateurs à réduire leur consommation d'électricité pendant les périodes de pointe de consommation, par une différenciation des tarifs de vente applicables lors d'un nombre déterminé de jours de pointe, qui sont différentes chaque année, et le reste de l'année ;

2. Considérant que, le 2 janvier 2015, le syndicat professionnel requérant a demandé aux ministres chargés de l'énergie et de l'économie le retrait de cet arrêté en tant qu'il prévoit les options tarifaires décrites au point 1 ; que ce syndicat demande l'annulation pour excès de pouvoir des décisions de rejet nées du silence gardé sur ce recours et de l'arrêté du 30 octobre 2014, dans la même mesure ;

Sur la légalité externe de l'arrêté du 30 octobre 2014 :

3. Considérant que le syndicat requérant soutient que les auteurs de l'arrêté du 30 octobre 2014 ont excédé le champ de la compétence qui leur a été attribuée par les dispositions de l'article L. 337-4 du code de l'énergie, en réglementant non seulement les tarifs de la fourniture d'électricité, mais aussi les tarifs d'offres d'effacement de consommation d'électricité ; que, toutefois, l'article L. 337-6 du même code prévoit que " Dans un délai s'achevant au plus tard le 31 décembre 2015, les tarifs réglementés de vente d'électricité sont progressivement établis en tenant compte de l'addition du prix d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, du coût du complément à la fourniture d'électricité qui inclut la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale. / Sous réserve que le produit total des tarifs réglementés de vente d'électricité couvre globalement l'ensemble des coûts mentionnés précédemment, la structure et le niveau de ces tarifs hors taxes peuvent être fixés de façon à inciter les consommateurs à réduire leur consommation pendant les périodes où la consommation d'ensemble est la plus élevée. " ; qu'en application des articles 2 et 3 du décret du 28 octobre 2014 modifiant le décret du 12 août 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité, la période transitoire prévue à l'article L. 337-6 du code de l'énergie s'est achevée avec la publication de l'arrêté du 30 octobre 2014 ; qu'en prévoyant les options tarifaires contestées " EJP " et " Tempo ", cet arrêté a fait application de cette disposition législative, qui donne compétence à ses auteurs pour moduler les tarifs réglementés de vente de l'électricité afin d'inciter les consommateurs à réduire leur consommation en période de pointe ; qu'enfin, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, la faculté de différenciation tarifaire ouverte par ces dispositions législatives n'est ni contraire à l'objectif d'ouverture à la concurrence du marché de la fourniture d'électricité poursuivi par la directive du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché de l'électricité, ni, en tout état de cause, à l'objectif poursuivi par le paragraphe 8 de l'article 15 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 relative à l'efficacité énergétique, aux termes duquel : " Les États membres veillent à ce que les autorités nationales de régulation de l'énergie encouragent les ressources portant sur la demande, telles que les effacements de consommation, à participer aux marchés de gros et de détail au même titre que les ressources portant sur l'offre " ;

Sur la légalité interne de l'arrêté du 30 octobre 2014 :

4. Considérant, en premier lieu, que l'article L. 271-1 du code de l'énergie, issu de la loi du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, prévoit " la possibilité, pour un opérateur d'effacement, de procéder à des effacements de consommation, indépendamment de l'accord du fournisseur d'électricité des sites concernés, et de les valoriser sur les marchés de l'énergie ou sur le mécanisme d'ajustement mentionné au même article L. 321-10 ", cette valorisation étant assortie d'une prime versée à l'opérateur d'effacement ; que le syndicat requérant soutient qu'en prévoyant que les fournisseurs historiques d'électricité sont tenus de proposer, dans le cadre des tarifs réglementés de vente d'électricité, les options tarifaires " EJP " et " Tempo " visant à la réduction de la consommation d'électricité en période de pointe, l'arrêté du 30 octobre 2014 les place en situation d'abuser, en méconnaissance de l'article L. 420-2 du code de commerce et des articles 102 et 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de leur position dominante sur le marché de l'effacement que l'article L. 271-1 du code de l'énergie a entendu susciter ;

5. Considérant toutefois, d'une part, que l'article L. 420-2 du code de commerce ne peut être utilement invoqué dès lors que, comme il a été dit au point 3, la possibilité de moduler les tarifs réglementés de vente de l'électricité afin d'inciter les consommateurs à réduire leur consommation en période de pointe résulte directement des dispositions, de nature législative, de l'article L. 337-6 du code de l'énergie ;

6. Considérant, d'autre part, que, en prévoyant à son quatrième alinéa que " Ne sont pas pris en compte les effacements indissociables de l'offre de fourniture ", l'article 1er du décret du 3 juillet 2014 relatif aux effacements de consommation d'électricité exclut la valorisation par les fournisseurs, sur les marchés de l'énergie et sur le mécanisme d'ajustement, de ces effacements, notamment de ceux qui résultent de la modulation tarifaire prévue par les options " EJP " et " Tempo " ; que l'obligation pour les fournisseurs historiques de proposer ces options tarifaires n'a pas pour effet, par elle-même, de leur conférer un droit exclusif ; qu'en outre, elle ne fait pas obstacle à ce que les consommateurs, y compris ceux qui souscrivent ces options, concluent par ailleurs un contrat avec un opérateur d'effacement donnant lieu à la valorisation des effacements réalisés conformément aux règles adoptées sur le fondement de l'article L. 271-1 du code de l'énergie ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, cette obligation ne peut avoir pour effet d'évincer l'activité des opérateurs d'effacement dès lors que la conclusion d'un contrat avec un opérateur d'effacement, à la différence de la souscription de l'une des options tarifaires contestées, permet au consommateur d'éviter, sans intervention de sa part, le paiement de l'électricité à un prix très élevé lors des jours de pointe ; que, par suite, les dispositions contestées de l'arrêté du 30 octobre 2014 ne placent pas par elles-mêmes les fournisseurs historiques en situation d'abuser automatiquement de leur position dominante sur le marché de l'effacement que l'article L. 271-1 du code de l'énergie a entendu susciter ; que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations des articles 102 et 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne peut, dès lors, être accueilli ;

7. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le moyen tiré de ce que les auteurs de l'arrêté attaqué étaient tenus de supprimer l'obligation pour les fournisseurs historiques de proposer les options tarifaires contestées, dès lors que la création d'un marché de l'effacement en 2013 constituait un changement de circonstances rendant cette obligation contraire aux règles de concurrence, ne peut qu'être écarté ;

8. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes du deuxième paragraphe de l'article 3 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 : " En tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité, en particulier de son article 86, les États membres peuvent imposer aux entreprises du secteur de l'électricité, dans l'intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d'approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de la fourniture, ainsi que la protection de l'environnement, y compris l'efficacité énergétique, l'énergie produite à partir de sources d'énergie renouvelables et la protection du climat. Ces obligations sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et vérifiables et garantissent aux entreprises d'électricité de la Communauté un égal accès aux consommateurs nationaux. (...) " ; que, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, l'obligation pour les fournisseurs historiques de proposer les options tarifaires " EJP " et " Tempo " ne méconnaît pas le principe d'égal accès des entreprises d'électricité aux consommateurs nationaux prévu par ces dispositions, dès lors qu'elle ne fait obstacle ni à ce que d'autres fournisseurs d'électricité proposent des offres liées de fourniture et d'effacement, ni à ce que des opérateurs d'effacement proposent, même à des clients ayant souscrit une telle offre liée, des offres d'effacement ouvrant droit à la valorisation prévue par l'article L. 271-1 du code de l'énergie ;

9. Considérant, en quatrième lieu, que le syndicat requérant soutient que l'obligation pour les fournisseurs historiques de proposer, dans le cadre des tarifs réglementés de vente d'électricité, les options tarifaires " EJP " et " Tempo ", méconnaît le principe d'égalité devant la loi qui résulte de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que, toutefois, la conformité de cette obligation, qui résulte directement des dispositions, de nature législative, de l'article L. 337-6 du code de l'énergie, à ce principe constitutionnel, ne saurait être utilement contestée devant le Conseil d'Etat, statuant au contentieux en dehors de la procédure prévue par l'article 61-1 de la Constitution ;

10. Considérant, en cinquième lieu, que si l'article L. 337-5 du code de l'énergie prévoit que les tarifs réglementés de vente de l'électricité " sont définis en fonction de catégories fondées sur les caractéristiques intrinsèques des fournitures, en fonction des coûts liés à ces fournitures ", l'article L. 337-6 de ce code dispose, ainsi qu'il a été dit au point 3, que " la structure et le niveau de ces tarifs hors taxes peuvent être fixés de façon à inciter les consommateurs à réduire leur consommation pendant les périodes où la consommation d'ensemble est la plus élevée " ; que, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, ces dispositions n'ouvrent pas seulement la possibilité de prévoir une différenciation tarifaire entre heures pleines et heures creuses, mais permettent de manière générale toute différenciation tarifaire visant à réduire la consommation pendant les périodes de pointe, sous réserve que le produit total des tarifs réglementés couvre globalement l'ensemble des coûts mentionnés au premier alinéa de l'article L. 337-6 ; que, par suite, en prévoyant les options tarifaires décrites au point 1, l'arrêté du 30 octobre 2014 n'a pas méconnu ces dispositions législatives ;

11. Considérant, en dernier lieu, que le syndicat requérant soutient que l'arrêté du 30 octobre 2014 est contraire aux dispositions du paragraphe 8 de l'article 15 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 relative à l'efficacité énergétique, aux termes duquel : " Les États membres veillent à ce que les autorités nationales de régulation de l'énergie encouragent les ressources portant sur la demande, telles que les effacements de consommation, à participer aux marchés de gros et de détail au même titre que les ressources portant sur l'offre " ; que, toutefois, l'objectif d'encourager la valorisation des effacements sur les marchés de l'électricité qu'elles poursuivent, que l'article L. 271-1 du code de l'énergie entend d'ailleurs mettre en oeuvre, n'est en tout état de cause pas exclusif d'autres modes d'encouragement de la maîtrise de la consommation d'électricité ; que, dès lors, l'obligation pour les fournisseurs historiques de proposer les options tarifaires contestées n'est pas contraire à l'objectif poursuivi par ces dispositions ; que, par suite, le moyen ne peut être accueilli ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requête du syndicat professionnel CATHODE doit être rejetée ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête du syndicat professionnel CATHODE est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat professionnel CATHODE, à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, à la Commission de régulation de l'énergie et à la société Réseau Transport Electricité.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 13 mai. 2016, n° 389872
Inédit au recueil Lebon
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bastien Lignereux
Rapporteur public ?: M. Frédéric Aladjidi
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Date de la décision : 13/05/2016
Date de l'import : 20/02/2018

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 389872
Numéro NOR : CETATEXT000032529631 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2016-05-13;389872 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award