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06/05/2016 | FRANCE | N°388174

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 06 mai 2016, 388174


Vu les procédures suivantes :

1° Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés sous le n° 388174 les 20 février et 23 juillet 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Rottapharm demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés du ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et du ministre des finances et des comptes publics du 16 janvier 2015 en tant qu'ils radient la spécialité Osaflexan 1 178 mg, poudre pour solution buvable en sachet-dose, respectivement de la liste mentionné

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Vu les procédures suivantes :

1° Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés sous le n° 388174 les 20 février et 23 juillet 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Rottapharm demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés du ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et du ministre des finances et des comptes publics du 16 janvier 2015 en tant qu'ils radient la spécialité Osaflexan 1 178 mg, poudre pour solution buvable en sachet-dose, respectivement de la liste mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et de la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés sous le n° 388720 les 16 mars et 8 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Laboratoires Expanscience demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les mêmes arrêtés du 16 janvier 2015 en tant qu'ils radient la spécialité Flexea 625 mg, comprimés (boîte de 60 et boîte de 180) respectivement de la liste mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et de la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés sous le n° 388723 les 16 mars et 17 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Pierre Fabre Médicament demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les mêmes arrêtés du 16 janvier 2015 en tant qu'ils radient la spécialité Structoflex 625 mg, gélules (boîte de 60) respectivement de la liste mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et de la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

4° Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés sous le n° 388909 les 23 mars, 23 juin, 10 juillet et 16 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association française de lutte antirhumatismale (AFLAR) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et du ministre des finances et des comptes publics du 16 janvier 2015 portant radiation de spécialités pharmaceutiques de la liste mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, l'arrêté des mêmes ministres du même jour portant radiation de spécialités pharmaceutiques de la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique et l'arrêté des mêmes ministres du 2 février 2015 portant radiation de spécialités pharmaceutiques de la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yannick Faure, auditeur,

- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Association française de lutte antirhumatismale ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, les spécialités pharmaceutiques ne peuvent être prises en charge ou donner lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie, lorsqu'elles sont dispensées en officine, que si elles figurent sur une liste établie dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il résulte des dispositions de l'article R. 163-3 et du I de l'article R. 163-7 du même code que ces médicaments sont radiés de cette liste, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé pris après avis de la commission de la Haute Autorité de santé prévue à l'article R. 163-15 de ce code, dite " commission de la transparence ", lorsque leur service médical rendu est insuffisant au regard des autres médicaments ou thérapies disponibles. Un tel motif est également de nature à justifier l'abrogation d'une inscription sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités publiques, prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, dans les conditions fixées par le décret mentionné à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale.

2. Sur le fondement de ces règles, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont, par trois arrêtés des 16 janvier et 2 février 2015 prenant effet le 1er mars suivant, radié des listes mentionnées respectivement à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique cinq spécialités appartenant à la classe pharmaco-thérapeutique des anti-arthrosiques symptomatiques d'action lente et ayant pour principe actif la glucosamine, soit le Dolenio 1 178 mg, comprimés pelliculés et comprimés pelliculés sous plaquettes thermoformées, exploité par les laboratoires Biocodex, le Flexea 625 mg comprimés (boîte de 60 et boîte de 180), exploité par la société Laboratoires Expanscience, l'Osaflexan 1 178 mg, poudre pour solution buvable en sachet-dose (boîte de 30 et de 90), exploité par la société Rottapharm, le Structoflex 625 mg, gélules, exploité par la société Pierre Fabre Médicament, et le Voltaflex 625 mg, comprimés pelliculés, exploité par les laboratoires Novartis Santé Familiale.

3. L'Association française de lutte antirhumatismale demande l'annulation pour excès de pouvoir de ces trois arrêtés. Les sociétés Rottapharm, Laboratoires Expanscience et Pierre Fabre Médicament demandent l'annulation pour excès de pouvoir des deux arrêtés du 16 janvier 2015 en tant qu'ils concernent les spécialités qu'ils commercialisent. Il y a lieu de joindre ces requêtes pour statuer par une seule décision.

Sur la légalité externe des arrêtés attaqués :

En ce qui concerne les avis rendus par la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé :

4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 163-15 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable aux arrêtés attaqués : " La commission de la transparence comprend : / 1° Vingt membres titulaires ayant voix délibérative, nommés par décision du collège de la Haute Autorité de santé pour une durée de trois ans renouvelable deux fois (...) ".

5. Si les sociétés Rottapharm, Laboratoires Expanscience et Pierre Fabre Médicament soutiennent que, lors des séances des 6 et 20 novembre 2013, le président et plusieurs autres membres de la commission de la transparence ont siégé en méconnaissance de la durée maximale de neuf ans résultant de ces dispositions, il ressort des pièces des dossiers que leurs mandats ont été renouvelés, en dernier lieu, par une décision du collège de la Haute Autorité de santé du 9 mars 2011, publiée au bulletin officiel du ministère du travail, de l'emploi et de la santé et du ministère des solidarités et de la cohésion sociale du 15 mai 2011. Eu égard aux activités des sociétés requérantes et aux modalités de diffusion de ce bulletin officiel, notamment sur le site internet du ministère chargé de la santé, une telle publication doit être regardée comme une mesure de publicité suffisante pour faire courir le délai de recours contentieux à leur endroit. Dès lors que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 163-15 du code de la sécurité sociale était susceptible d'être soulevé dès la publication de la décision nommant de nouveau les membres concernés, pour une durée nécessairement fixée à trois ans, les sociétés requérantes ne sauraient se prévaloir de ce que le terme de la durée de neuf ans serait intervenu le 28 septembre 2012, date à laquelle la décision du 9 mars 2011 était déjà devenue définitive. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la composition de la commission de la transparence, qui revient à mettre en cause la légalité de la décision du 9 mars 2011, devenue définitive à la date à laquelle le moyen a été soulevé devant le Conseil d'Etat, n'est pas recevable.

6. En deuxième lieu, les avis émis le 20 novembre 2013 par la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé rappellent les avis que cette même commission avait émis lors de l'inscription des cinq spécialités en cause, en 2009 ou 2010, aux termes desquels elle avait notamment estimé, après une analyse détaillée des données disponibles, qu'ils offraient un niveau d'efficacité modeste et occupaient une place limitée dans la stratégie thérapeutique, ce dont elle avait déduit que leur service médical rendu était faible, et n'avait été favorable à leur inscription qu'à la condition que soit réalisée, dans un délai de deux ans à compter de leur commercialisation, une étude propre à mesurer l'effet de leur prescription sur la consommation d'anti-inflammatoires non stéroïdiens Les avis émis le 20 novembre 2013 exposent de façon détaillée les résultats de cette étude longitudinale sur des patients présentant une gonarthrose ou coxarthrose douloureuse, dite " Pegase ", à l'issue de laquelle il n'a pas été constaté que la prescription d'anti-arthrosiques symptomatiques d'action lente à base de glucosamine ait une efficacité sur la douleur propre à permettre de diminuer le recours aux anti-inflammatoires non stéroïdiens. Il suit de là que le moyen tiré de ce que les arrêtés attaqués ont été pris sur la base d'avis insuffisamment motivés, en méconnaissance du II de l'article R. 163-16 du code de la sécurité sociale, doit être écarté.

7. En troisième lieu, en vertu du 1° de l'article R. 163-18 du code de la sécurité sociale, le service médical rendu constitue un critère d'appréciation du bien-fondé de l'inscription d'un médicament sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 du même code comme de l'inscription sur la liste prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique. Ce critère s'apprécie lui-même, pour l'une et l'autre liste, en fonction des mêmes éléments, énumérés par l'article R. 163-3 du code de la sécurité sociale. Il suit de là que les ministres pouvaient légalement se fonder sur l'avis par lequel la commission de la transparence a jugé insuffisant le service médical rendu par le Voltaflex, en donnant un avis défavorable à son maintien sur la liste de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, pour radier cette spécialité de la liste prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique. Le moyen tiré de ce que l'arrêté du 2 février 2015 ne pouvait être régulièrement adopté au vu de l'avis du 20 novembre 2013 doit donc être écarté.

En ce qui concerne la procédure suivie à l'égard des laboratoires :

8. Aux termes du I de l'article R. 163-13 du code de la sécurité sociale : " Le ministre chargé de la sécurité sociale et le ministre chargé de la santé informent l'entreprise qui exploite le médicament de leur intention de radier un médicament des listes prévues au premier alinéa de l'article L. 162-17 du présent code et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique. (...) l'entreprise qui exploite le médicament peut présenter des observations écrites ou demander à être entendue par la commission prévue à l'article R. 163-15, dans le mois suivant réception de cette information ".

9. Il ressort des pièces des dossiers que, par des courriers du 30 décembre 2013, les ministres concernés ont informé les sociétés Rottapharm, Laboratoires Expanscience et Pierre Fabre Médicament de leur intention de radier la spécialité exploitée par chacune d'elles et que ces laboratoires ont, par la suite, fait part de leurs observations écrites ou été entendus, à leur demande, par la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé, qui s'est de nouveau prononcée en prenant en considération les observations ainsi faites. Ni la circonstance que le juge des référés du Conseil d'Etat avait ordonné la suspension de l'exécution d'arrêtés prononçant la radiation d'autres anti-arthrosiques symptomatiques d'action lente, par des décisions au demeurant antérieures à ces courriers, ni le délai d'un an qui s'est écoulé entre l'engagement de cette procédure et la date à laquelle les arrêtés attaqués ont été pris ne justifiaient qu'une nouvelle procédure contradictoire soit conduite à l'égard de ces sociétés.

10. Ce délai n'a pas été de nature à porter atteinte, à leur égard, aux principes de confiance légitime et de sécurité juridique, dès lors qu'aucune information ni aucune circonstance n'ont pu leur laisser supposer que l'administration avait renoncé à l'intention portée à leur connaissance par les courriers du 30 décembre 2013. Il ne leur a, au demeurant, causé aucun préjudice dès lors que les spécialités qu'elles exploitent ont continué de bénéficier de leur inscription sur les listes mentionnées au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique. Il ne peut, en conséquence, être davantage soutenu que ce délai aurait été de nature à porter atteinte à la garantie des droits, au sens de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

En ce qui concerne la motivation des arrêtés attaqués :

11. Selon le point 5 de l'article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance maladie : " Toute décision d'exclure un produit de la liste des produits couverts par le système national d'assurance maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables. De telles décisions, y compris, si nécessaire, les avis ou recommandations d'experts sur lesquels les décisions sont fondées, sont communiquées à la personne responsable, qui est informée des moyens de recours dont elle dispose selon la législation en vigueur ainsi que des délais dans lesquels ces recours peuvent être formés ". Aux termes de l'article R. 163-14 du code de la sécurité sociale, qui transpose ces dispositions : " Les décisions portant refus d'inscription sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 du présent code et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, (...) radiation de ces listes (...) sont communiquées à l'entreprise avec la mention des motifs de ces décisions ainsi que des voies et délais de recours qui leur sont applicables ".

12. Les arrêtés attaqués, qui ont fait l'objet d'une publication intégrale au Journal officiel de la République française, mentionnent que les spécialités qu'ils radient présentent un service médical rendu insuffisant, en se référant aux motifs des avis de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé relatifs à chacune d'elles et en précisant que ces avis sont consultables sur le site de la Haute Autorité. Ces avis, ainsi qu'il a été dit au point 6, exposent les raisons pour lesquelles, au regard des critères posés par l'article R. 163-3 du code de la sécurité sociale, le service médical rendu par les spécialités en cause est jugé insuffisant. Par suite, l'Association française de lutte antirhumatismale n'est pas fondée à soutenir que ces arrêtés ne satisferaient pas à l'exigence de motivation résultant des dispositions de l'article R. 163-14 du code de la sécurité sociale ni, en tout état de cause, de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988.

Sur la légalité interne des arrêtés attaqués :

13. En premier lieu, il résulte des termes mêmes des arrêtés attaqués que les ministres " ont décidé d'adopter " les avis émis par la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé. Les éléments produits par l'Association française de lutte antirhumatismale, tenant à des explications fournies a posteriori, d'une part, par le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes dans un courrier à un particulier et, d'autre part, lors d'un débat au Parlement par un autre membre du Gouvernement, non signataire, au demeurant, de ces arrêtés, ne sont pas, eu égard aux termes mêmes de ces derniers, de nature à établir que les ministres se seraient crus tenus de suivre ces avis.

14. En deuxième lieu, d'une part, il résulte de l'article R. 163-2 du code de la sécurité sociale que l'inscription d'une spécialité sur la liste des médicaments mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du même code est, en principe, prononcée pour une durée de cinq ans. Ces dispositions ne font cependant pas obstacle à la mise en oeuvre, à tout moment, de la procédure de radiation d'un médicament inscrit sur cette liste, prévue par l'article R. 163-7 du code de la sécurité sociale, notamment, ainsi qu'il a été dit au point 1, lorsque son service médical rendu apparaît insuffisant au regard des autres médicaments ou thérapies disponibles. D'autre part, il résulte de l'article R. 163-18 du code de la sécurité sociale que la commission de la transparence peut indiquer dans son avis " les informations et études complémentaires indispensables à la réévaluation du service médical rendu par le médicament, qui devront être présentées par le demandeur à l'occasion du renouvellement de l'inscription sur la liste ". La circonstance que, dès leur inscription sur la liste mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, la radiation des anti-arthrosiques symptomatiques d'action lente à base de glucosamine ait été envisagée dans un délai inférieur à la durée de validité de cette inscription et que la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé ait souhaité, ainsi qu'il a été dit au point 6, qu'une étude soit réalisée dans un délai de deux ans à compter de leur commercialisation, n'est pas de nature à entacher d'illégalité les arrêtés attaqués, pris sur le fondement de l'article R. 163-7 du code de la sécurité sociale. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance des articles R. 163-2 et R. 163-18 du même code doit être écarté.

15. En troisième lieu, si, comme il a été également indiqué au point 6, la commission de la transparence et, après elle, les ministres, qui se sont appropriés ses avis, se sont essentiellement fondés, pour qualifier d'insuffisant le service médical rendu par les spécialités litigieuses, sur les résultats de l'étude dite Pegase relative à leur effet sur la consommation d'anti-inflammatoires non stéroïdiens, cette étude avait été préconisée à la suite d'une évaluation de ces spécialités au regard des différents critères prévus par l'article R. 163-3 du même code, mettant en évidence, notamment, leur niveau d'efficacité modeste et leur place limitée dans la stratégie thérapeutique. L'Association française de lutte antirhumatismale n'est donc pas fondée à soutenir que les ministres compétents auraient apprécié le service médical rendu de ces spécialités de façon partielle et ainsi commis une erreur de droit.

16. En quatrième lieu, la société Rottapharm conteste, pour la spécialité Osaflexan qu'elle exploite, la méthodologie de l'étude dite Pegase, en ce que la période d'observation aurait été insuffisante et n'aurait pas permis de retenir un échantillon de patients suffisamment représentatifs, et soutient que, selon les critères d'analyse initialement fixés par le protocole de recherche, une diminution significative de la consommation d'anti-inflammatoires non stéroïdiens a été constatée. D'une part, il est vrai qu'en raison de la faible part de marché de cette spécialité, l'objectif de 500 bimestres d'observation fixé par le protocole de recherche n'a pu être atteint. Toutefois, des patients auxquels la spécialité Osaflexan était prescrite ont pu être inclus dans l'étude à compter de 2011 et celle-ci a pu prendre en compte 481 bimestres d'observation. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la faiblesse relative de cet échantillon ait affecté, en ce qui concerne l'Osaflexan, la pertinence de l'étude, qui, au demeurant, n'a pas fait apparaître de résultats plus favorables pour les autres anti-arthrosiques symptomatiques d'action lente à base de glucosamine. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que le protocole de l'étude a été amendé pour poursuivre, au-delà du 4 octobre 2012, le recrutement de patients sous glucosamine et que, de ce fait, trois modes de comparaison avec le groupe témoin ont été retenus, selon la date d'inclusion des patients dans ce dernier groupe. S'il est exact que l'écart dans la consommation d'anti-inflammatoires non stéroïdiens, selon que la spécialité Osaflexan a été ou non administrée, varie en fonction du mode de comparaison retenu et si l'écart est statistiquement significatif pour l'un de ces trois modes, il ressort toutefois des pièces du dossier que ce mode de comparaison est affecté, sur le plan méthodologique, par le décalage existant dans les périodes de recrutement des patients inclus dans l'étude. Dans ces conditions, et compte tenu de la nature de l'affection traitée, du caractère symptomatique du traitement, de l'efficacité modeste de la spécialité et de sa place limitée dans la stratégie thérapeutique, il ne ressort pas des pièces du dossier que les ministres auraient commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que la spécialité Osaflexan présentait un service médical rendu insuffisant.

17. En cinquième lieu, les décisions de radiation attaquées sont justifiées par l'insuffisance du service médical rendu par ces spécialités. Dès lors, la circonstance, à la supposer avérée, qu'elles conduiraient à une augmentation des dépenses à la charge de l'assurance maladie et entraîneraient un report de prescription vers d'autres spécialités, qui présenteraient plus d'effets indésirables, est sans incidence sur leur légalité. Au demeurant, l'étude dite Pegase ayant montré que la prescription d'anti-arthrosiques symptomatiques d'action lente à base de glucosamine n'avait pas d'effet significatif sur la consommation d'anti-inflammatoires non stéroïdiens, le risque d'un report de prescription vers ces spécialités du fait des décisions attaquées, allégué par l'Association française de lutte antirhumatismale, n'apparaît pas avéré.

18. En sixième lieu, si le juge des référés du Conseil d'Etat a, par des décisions des 11 juillet, 25 juillet et 7 août 2013, prononcé la suspension de l'exécution d'arrêtés, pris antérieurement aux arrêtés attaqués, radiant des listes mentionnées au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique des anti-arthrosiques symptomatiques d'action lente à base d'autres principes actifs, ces décisions prévoyaient que cette suspension prendrait fin à la date d'effet de la décision des ministres concernant les anti-arthrosiques symptomatiques d'action lente à base de glucosamine. Par suite, les sociétés requérantes ne peuvent, en tout état de cause, se prévaloir d'une rupture d'égalité vis-à-vis des laboratoires qui ont bénéficié des décisions de suspension.

19. En dernier lieu, la circonstance qu'à la date des arrêtés attaqués, certaines des spécialités radiées étaient considérées comme soumises à prescription médicale obligatoire, alors que d'autres en étaient dispensées, est sans effet sur la légalité des arrêtés attaqués, qui procèdent à la radiation de spécialités relevant d'une même classe pharmaco-thérapeutique et ne créent, par eux-mêmes, aucune différence dans leurs conditions d'inscription sur les listes des médicaments remboursables aux assurés sociaux et agréés à l'usage des collectivités publiques, de nature à porter atteinte aux principes d'égalité et de libre concurrence. Au demeurant, par des décisions du 22 avril 2015, le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a modifié l'autorisation de mise sur le marché des spécialités en cause, afin de supprimer la mention de cette condition dans le résumé des caractéristiques du produit.

20. Il résulte de tout ce qui précède que ni l'Association française de lutte antirhumatismale ni, en tant qu'elles concernent les spécialités qu'elles exploitent, les sociétés Rottapharm, Laboratoires Expanscience et Pierre Fabre Médicament ne sont fondées à demander l'annulation des décisions attaquées.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

21. Ces dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans les présentes instances la partie perdante, les sommes que demandent l'Association française de lutte antirhumatismale et les sociétés Rottapharm, Laboratoires Expanscience et Pierre Fabre Médicament au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de la société Rottapharm, de la société Laboratoires Expanscience, de la société Pierre Fabre Médicament et de l'Association française de lutte antirhumatismale sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Rottapharm, à la société Laboratoires Expanscience, à la société Pierre Fabre Médicament, à l'Association française de lutte antirhumatismale et à la ministre des affaires sociales et de la santé.

Copie en sera adressée à la Haute Autorité de santé.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 388174
Date de la décision : 06/05/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 06 mai. 2016, n° 388174
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Yannick Faure
Rapporteur public ?: M. Jean Lessi

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:388174.20160506
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