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02/05/2016 | FRANCE | N°386883

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 02 mai 2016, 386883


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 5 janvier, 7 avril et 7 août 2015 et 22 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C...A...et M. D...A..., agissant tant en leur nom personnel qu'au nom de leur enfant mineur B...A..., demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 2 octobre 2014 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté leur demande tendant au versement d'une somme d'un montant total de 105 000 euros en réparation des pr

judices subis du fait de la durée excessive de procédure ;

2°) de conda...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 5 janvier, 7 avril et 7 août 2015 et 22 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C...A...et M. D...A..., agissant tant en leur nom personnel qu'au nom de leur enfant mineur B...A..., demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 2 octobre 2014 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté leur demande tendant au versement d'une somme d'un montant total de 105 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la durée excessive de procédure ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser, en réparation du préjudice subi en raison de cette durée excessive et des fautes commises par la juridiction administrative, une indemnité de 8 372 189 euros avec les intérêts capitalisés à compter du 17 novembre 2003 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 29 420,90 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

- la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 ;

- la décision n° 2010-2 QPC du Conseil constitutionnel en date du 11 juin 2010 ;

- la décision n° 345812, 346767 du Conseil d'Etat du 31 mars 2014 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-François de Montgolfier, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de Mme A...et autres ;

Sur les conclusions relatives à la durée excessive de la procédure suivie devant les juridictions administratives :

1. Considérant qu'il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable ; que, si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect ; qu'ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation de l'ensemble des dommages, tant matériels que moraux, directs et certains, ainsi causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ;

2. Considérant que le caractère raisonnable du délai de jugement d'une affaire doit s'apprécier de manière à la fois globale, compte tenu, notamment, de l'exercice des voies de recours, particulière à chaque instance et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement ; que lorsque la durée globale du jugement n'a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l'Etat est néanmoins susceptible d'être engagée si la durée de l'une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, le 22 janvier 2003, M. et Mme A... ont saisi le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens d'une demande d'expertise à la suite de la naissance, le 30 décembre 2001 au centre hospitalier de Senlis, de leur fils B...dont les malformations n'avaient pas été détectées pendant la grossesse ; qu'après le dépôt du rapport d'expertise en août 2004, ils ont adressé en février 2006 une demande d'indemnisation au centre hospitalier de Senlis puis ont saisi le tribunal administratif d'Amiens aux fins d'obtenir la condamnation de l'établissement public de santé à indemniser leur préjudice ; que ce tribunal a statué par un jugement du 30 décembre 2008 ; que, sur appel du centre hospitalier de Senlis, la cour administrative d'appel de Douai a réformé ce jugement par un arrêt du 16 novembre 2010 ; que statuant sur le pourvoi de M. et Mme A...et du centre hospitalier de Senlis, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, le 31 mars 2014, annulé cet arrêt et réglé définitivement l'affaire au fond ;

4. Considérant que la durée globale d'une procédure en responsabilité médicale doit s'apprécier, contrairement à ce que soutient le garde des sceaux, à compter de la date de la saisine du juge administratif par la personne qui s'estime victime d'une faute médicale aux fins de voir ordonner une expertise ; qu'ainsi, la durée totale de la procédure a été de onze ans et deux mois ; que, toutefois, tant le délai mis par M. et Mme A...pour adresser une demande au centre hospitalier de Senlis après le dépôt du rapport d'expertise que le délai dans lequel ils ont, en cours d'instance devant le Conseil d'Etat, donné suite à l'invitation à produire qui leur a été adressée le 30 novembre 2012, doivent leur être imputés ; qu'ainsi, la durée de la procédure imputable au service public de la justice est de neuf ans et quatre mois ; que, contrairement à ce que soutient le garde des sceaux, les modifications intervenues dans la jurisprudence en cours de procédure ne peuvent justifier une telle durée ; que les requérants sont, par suite, fondés à soutenir que leur droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu et à demander la réparation par l'Etat des préjudices qu'ils ont subis pour ce motif ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'en l'espèce, M.A..., Mme A... et leur fils B...ont subi, du fait du délai excessif de la procédure de jugement, des désagréments allant au-delà de ceux provoqués habituellement par un procès ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice moral en le fixant à 2 000 euros pour chacun des requérants, tous intérêts compris au jour de la présente décision ; qu'en revanche, il ne résulte pas de l'instruction que le préjudice matériel qu'invoquent les requérants, résultant de la prise en charge du handicap tout au long de la vie de l'enfant, soit en lien direct avec la durée de la procédure ;

Sur les conclusions relatives aux fautes lourdes qu'aurait commises la juridiction administrative :

6. Considérant que les requérants n'établissent pas, en tout état de cause, le préjudice que leur aurait directement causé l'absence de recours, par le tribunal administratif d'Amiens, à la faculté de saisir le Conseil d'Etat sur une question de droit nouvelle qui lui est ouverte par l'article L. 113-1 du code de justice administrative ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de ces dispositions ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme C...A..., à M. D...A...et à M. B... A...une somme de 2 000 euros à chacun.

Article 2 : L'Etat versera à Mme C...A..., à M. D...A...et à M. B...A...la somme de 1 000 euros à chacun au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme A...est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme C...A...et à M. D...A..., tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leur fils B...A..., ainsi qu'au garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 386883
Date de la décision : 02/05/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 02 mai. 2016, n° 386883
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-François de Montgolfier
Rapporteur public ?: Mme Sophie-Justine Lieber
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:386883.20160502
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