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02/05/2016 | FRANCE | N°383044

France | France, Conseil d'État, 5ème - 4ème chambres réunies, 02 mai 2016, 383044


Vu la procédure suivante :

M. D...H..., agissant en son nom et au nom de sa fille mineureA..., Mme E...F..., Mme K...B..., M. J...B...et M. C... B...ont demandé au tribunal administratif de Saint-Denis de condamner le centre hospitalier Félix Guyon de La Réunion à réparer le préjudice subi du fait du décès de Mme G...H.... Par un jugement n° 0801297 du 22 mars 2012, le tribunal administratif a fait droit à leur demande.

Par un arrêt n° 12BX01898 du 6 mai 2014, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel du centre hospitalier Félix Guyon, annulé ce jugem

ent en tant qu'il condamne cet établissement, d'une part, à verser à l'ens...

Vu la procédure suivante :

M. D...H..., agissant en son nom et au nom de sa fille mineureA..., Mme E...F..., Mme K...B..., M. J...B...et M. C... B...ont demandé au tribunal administratif de Saint-Denis de condamner le centre hospitalier Félix Guyon de La Réunion à réparer le préjudice subi du fait du décès de Mme G...H.... Par un jugement n° 0801297 du 22 mars 2012, le tribunal administratif a fait droit à leur demande.

Par un arrêt n° 12BX01898 du 6 mai 2014, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel du centre hospitalier Félix Guyon, annulé ce jugement en tant qu'il condamne cet établissement, d'une part, à verser à l'ensemble des ayants droit de Mme H... des indemnités en réparation des souffrances endurées par la victime et des frais d'obsèques et, d'autre part, à verser à M. H...une indemnité d'un montant excédant la somme de 19 762,30 euros et à sa fille une indemnité d'un montant excédant la somme de 5 335 euros au titre de leurs pertes de revenus.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 24 juillet et 23 octobre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. H...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il réduit les indemnités qui avaient été accordées par le tribunal administratif ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier Félix Guyon la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Manon Perrière, auditeur,

- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de M. H...et à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier Félix Guyon ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'après avoir consulté des médecins libéraux pour des métrorragies, Mme G... H...a subi, le 17 septembre 2003, un curetage dans une clinique privée, à la suite duquel les médecins de cet établissement ont estimé être en présence d'une fausse couche et n'ont recommandé aucune mesure particulière ; qu'en raison de nouvelles métrorragies, Mme H... a été admise, le 25 janvier et le 28 janvier 2004, au centre hospitalier Félix Guyon de La Réunion, où elle a été traitée pour un avortement spontané ; que des examens réalisés en mai 2004 ont révélé la présence d'un carcinome et de métastases pulmonaires et cérébrales ; que Mme H...est décédée le 10 juin 2004 des suites de cette maladie ;

2. Considérant qu'il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un jugement du 6 mars 2009 intégralement confirmé par un arrêt du 2 décembre 2010 de la cour d'appel de Versailles, le tribunal de grande instance de Nanterre, saisi d'une action en responsabilité introduite par les proches de Mme H...contre deux praticiens libéraux qui avaient pris en charge la patiente en septembre 2003, a retenu que les défendeurs avaient commis des erreurs fautives de diagnostic ayant entraîné une perte de chance de guérison évaluée à 90 % et les a condamnés, compte tenu de la faute commise ultérieurement par les médecins du centre hospitalier Félix Guyon, à verser aux demandeurs des indemnités réparant 45 % des préjudices subis ; que, par un jugement du 22 mars 2012, le tribunal administratif de Saint-Denis, saisi d'une action dirigée contre le centre hospitalier, a retenu l'existence d'une erreur fautive de diagnostic ayant entraîné une perte de chance de guérison qu'il a évaluée à 40 % et a condamné l'établissement à verser aux requérants des indemnités calculées sur cette base ; que le centre hospitalier ayant fait appel de ce jugement, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, par un arrêt du 6 mai 2014, confirmé l'existence d'une faute du centre hospitalier et maintenu le taux de perte de chance de 40 % ainsi que l'évaluation des préjudices retenue par les premiers juges ; que, pour tenir compte des indemnités allouées par le juge judiciaire, la cour a toutefois diminué les indemnités qui leur avait été allouées en première instance ; que M. H... se pourvoit en cassation contre cet arrêt en son nom propre et en sa qualité de représentant légal de sa fille mineure ; que le centre hospitalier Félix Guyon présente un pourvoi incident ;

Sur le taux de perte de chance retenu et l'évaluation du préjudice patrimonial subi par M.H... :

3. Considérant, d'une part, que, pour limiter à 40 % la perte de chance imputable au centre hospitalier Félix Guyon, le tribunal administratif de Saint-Denis avait estimé que Mme H...avait fait preuve de négligence en ne faisant pas procéder après sa sortie de l'établissement à des examens impérieusement recommandés par les médecins ; que, pour écarter le moyen du centre hospitalier tendant à ce que ce taux soit ramené à 25 %, la cour administrative d'appel de Bordeaux s'est fondée sur les chances de survie de MmeI..., évaluées par les experts à 80 % à la date de sa prise en charge par le centre hospitalier en janvier 2004, et a, pour sa part, écarté toute faute de MmeI... ; qu'en l'absence d'appel incident des demandeurs de première instance elle a toutefois maintenu le taux retenu par les premiers juges ; que, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier Félix Guyon, son arrêt est suffisamment motivé en ce qui concerne le taux de perte de chance ;

4. Considérant, d'autre part, qu'en jugeant que le centre hospitalier n'apportait aucun élément de nature à faire regarder comme excessive l'évaluation du préjudice patrimonial de M. H..., la cour administrative d'appel, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le pourvoi incident du centre hospitalier doit être rejeté en tant qu'il conteste le taux de perte de chance imputable aux fautes qu'il a commises et l'évaluation du préjudice patrimonial de M.H... ;

Sur la prise en compte des indemnités accordées par le juge judiciaire :

6. Considérant, d'une part, que lorsqu'un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes qui, commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante, portaient chacune en elle le dommage au moment où elles ont été commises, la victime peut rechercher la réparation de son préjudice par l'une de ces personnes, sans préjudice de la possibilité pour celle-ci de former une action récursoire contre le ou les co-auteurs du dommage ;

7. Considérant, d'autre part, qu'il appartient au juge administratif de prendre, en déterminant la quotité et la forme de l'indemnité par lui allouée, les mesures nécessaires en vue d'empêcher que sa décision n'ait pour effet de procurer à la victime, par suite des indemnités qu'elle a pu obtenir devant d'autres juridictions à raison des conséquences dommageables du même accident, une réparation supérieure au montant total du préjudice subi ;

8. Considérant que, pour respecter ces règles, il appartenait aux juges du fond, dès lors qu'ils estimaient qu'une erreur fautive de diagnostic commise en janvier 2004 par les médecins du centre hospitalier Félix Guyon avaient entraîné pour Mme H...une perte de chance de guérison évaluée à 40 %, de fixer les indemnités dont l'établissement était en principe redevable à 40 % du montant des préjudices subis par la victime et par ses proches ; que, toutefois, dès lors qu'il ressortait des pièces du dossier qui leur était soumis que la juridiction judiciaire avait condamné les praticiens libéraux qui avaient examiné la patiente en septembre 2003 à lui verser des indemnités, en retenant qu'ils avaient commis une erreur fautive de diagnostic de la même affection ayant entraîné pour elle une perte de chance de guérison de 90 %, il leur appartenait, afin d'éviter une double indemnisation, de limiter les sommes mises à la charge du centre hospitalier de telle sorte que l'indemnisation totale de chacune des victimes n'excède pas 90 % du montant des préjudices subis par elle, tels qu'ils les avaient eux-mêmes évalués ;

9. Considérant que la cour administrative d'appel de Bordeaux n'a pas procédé de la sorte mais a déduit des indemnités déterminées sur la base du taux de perte de chance de 40 % qu'elle retenait le montant des indemnités allouées aux intéressés par la juridiction judiciaire ; qu'elle a ainsi commis une erreur de droit ; qu'il suit de là, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par M. H...ni le dernier moyen du pourvoi incident du centre hospitalier Félix Guyon, que son arrêt doit être annulé en tant qu'il fixe les indemnités dues à M. H...et à Mlle A...H...tant en leur qualité d'ayants droit de Mme H...qu'au titre de leurs préjudices propres et statue sur les conclusions présentées par les parties au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans la limite de la cassation ainsi prononcée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

11. Considérant qu'il résulte du jugement du 22 mars 2012 du tribunal administratif de Saint-Denis, confirmé par l'arrêt du 6 mai 2014 de la cour administrative d'appel de Bordeaux, devenu définitif sur ce point, qu'une erreur fautive de diagnostic engageant la responsabilité du centre hospitalier Félix Guyon a entraîné pour Mme H...une perte de chance de guérison de 40 % ; que, par suite, le centre hospitalier doit normalement verser des indemnités réparant 40 % des préjudices subis, d'une part, par la victime, dont le droit à réparation a été transmis à ses ayants droit, et, d'autre part, par chacun de ses proches à titre personnel, tels qu'ils ont été définitivement évalués par ce jugement et confirmés par cet arrêt ; que, toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 2, la juridiction judiciaire a retenu qu'une erreur fautive de diagnostic engageant la responsabilité de deux praticiens libéraux a entraîné une perte de chance de guérison estimée à 90 % ; que, dès lors, conformément à ce qui a été dit au point 8, les indemnités mises à la charge du centre hospitalier doivent, le cas échéant, être réduites afin que le total des sommes allouées à chacun des bénéficiaires par les juridictions judiciaire et administrative n'excède pas un montant égal à 90 % des préjudices tels qu'ils ont été évalués par la juridiction administrative ;

12. Considérant que les préjudices dont les ayants droit de la victime peuvent demander réparation ont été évalués par le jugement du tribunal administratif et l'arrêt de la cour administrative d'appel à un montant total de 22 306 euros, dont 7 500 euros au titre des souffrances endurées par Mme H...et 14 806 euros au titre des frais d'obsèques ; que compte tenu du taux de perte de chance de 40 % l'indemnité incombant à ce titre au centre hospitalier s'élève normalement à 8 922,40 euros ; que, toutefois, le total des indemnités allouées par les juridictions judiciaire et administrative ne saurait excéder 20 075,40 euros ; que la juridiction judiciaire ayant indemnisé les préjudices en cause à hauteur de 11 162,90 euros, il y a lieu de fixer à la somme de 8 912,50 euros l'indemnité due par le centre hospitalier à M. D...H...et à Mlle A...H...en leur qualité d'ayants droit de la victime ;

13. Considérant que les préjudices propres de M. D...H..., mari de la victime, ont été évalués à un montant total de 425 000 euros, dont 400 000 euros au titre des pertes de revenus et 25 000 euros au titre de la douleur morale ; que, compte tenu du taux de chance de 40 %, l'indemnité incombant à ce titre au centre hospitalier s'élève normalement à 170 000 euros ; que ce montant, cumulé avec l'indemnité de 150 587,70 euros allouée à l'intéressé par la juridiction judiciaire, n'excède pas le montant maximal de l'indemnisation qui est de 382 500 euros ;

14. Considérant que les préjudices propres de Mlle A...H..., fille de la victime, ont été définitivement évalués à un montant total de 100 000 euros, dont 75 000 euros au titre des pertes de revenus et 25 000 euros au titre de la douleur morale ; que, compte tenu du taux de perte de chance de 40 %, l'indemnité incombant à ce titre au centre hospitalier s'élève normalement à 40 000 euros ; que ce montant, cumulé avec l'indemnité de 35 915 euros allouée à l'intéressée par la juridiction judiciaire, n'excède pas le montant maximal de l'indemnisation qui est de 90 000 euros ;

15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier Félix Guyon est seulement fondé à demander que le jugement du 22 mars 2012 du tribunal administratif de Saint-Denis soit réformé afin de ramener à 8 912, 50 euros l'indemnité allouée à M. D...H...et à Mlle A...H...en leur qualité d'ayants droit de Mme H...;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier Félix Guyon, au titre des dispositions de cet article, la somme de 6 000 euros à verser à M. H...pour les instances qui se sont déroulées devant la cour administrative d'appel de Bordeaux et le Conseil d'Etat ; que M. H...ne pouvant être regardé comme la partie perdante, les conclusions présentées au même titre par le centre hospitalier Félix Guyon devant la cour administrative d'appel de Bordeaux ne sauraient être accueillies ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 6 mai 2014 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé en tant qu'il fixe les indemnités dues à M. H...et à Mlle A...H...tant en leur qualité d'ayants droit de Mme H...qu'au titre de leurs préjudices propres et statue sur les conclusions présentées par les parties au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 2 : La somme de 8 922,40 euros que le jugement du 22 mars 2012 du tribunal administratif de Saint-Denis a allouée à M. D...H...et à Mlle A...H...en leur qualité d'ayants droit de Mme H...est ramenée à 8 912, 50 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par le centre hospitalier Félix Guyon devant le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel de Bordeaux est rejeté.

Article 4 : Le centre hospitalier Félix Guyon versera la somme de 6 000 euros à M. H... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. D...H..., à Mme A... H...et au centre hospitalier Félix Guyon de la Réunion.


Synthèse
Formation : 5ème - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 383044
Date de la décision : 02/05/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 02 mai. 2016, n° 383044
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Manon Perrière
Rapporteur public ?: Mme Laurence Marion
Avocat(s) : LE PRADO ; SCP ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:383044.20160502
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