Vu la procédure suivante :
Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés le 22 février et le 25 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la CIMADE, le Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI) et la Ligue des droits de l'homme demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur requête dirigée contre la décision implicite de rejet du Premier ministre sur leur demande tendant à l'abrogation de l'article R. 513-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 214-1 à L. 214-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, telles qu'issues de l'article 2 de la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, et des dispositions de l'article L. 214-8 telles qu'issues de l'article 2 de l'ordonnance n° 2015-124 du 5 février 2015 relative aux conditions d'application outre-mer de l'interdiction administrative du territoire et de l'assignation à résidence des étrangers faisant l'objet d'une mesure d'éloignement.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,
- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Cimade, du Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI) et de la Ligue des droits de l'homme ;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
2. Considérant que l'article 2 de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a créé, au sein du titre Ier du livre II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, un chapitre IV ainsi rédigé : " Chapitre IV / Interdiction administrative du territoire / Article L. 214-1.- Tout ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse ou tout membre de la famille d'une telle personne peut, dès lors qu'il ne réside pas habituellement en France et ne se trouve pas sur le territoire national, faire l'objet d'une interdiction administrative du territoire lorsque sa présence en France constituerait, en raison de son comportement personnel, du point de vue de l'ordre ou de la sécurité publics, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. / Article L. 214-2.- Tout ressortissant étranger non mentionné à l'article L. 214-1 peut, dès lors qu'il ne réside pas habituellement en France et ne se trouve pas sur le territoire national, faire l'objet d'une interdiction administrative du territoire lorsque sa présence en France constituerait une menace grave pour l'ordre public, la sécurité intérieure ou les relations internationales de la France. / Article. L. 214-3.- L'interdiction administrative du territoire fait l'objet d'une décision du ministre de l'intérieur écrite et rendue après une procédure non contradictoire. Elle est motivée, à moins que des considérations relevant de la sûreté de l'Etat ne s'y opposent. / Si l'étranger est entré en France alors que la décision d'interdiction administrative du territoire prononcée antérieurement ne lui avait pas déjà été notifiée, il est procédé à cette notification sur le territoire national. / Lorsque la décision a été prise en application de l'article L. 214-1 et que l'intéressé est présent en France à la date de sa notification, il bénéficie à compter de cette date d'un délai pour quitter le territoire qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à un mois. / Article L. 214-4.- L'étranger qui fait l'objet d'une interdiction administrative du territoire et qui s'apprête à entrer en France peut faire l'objet d'un refus d'entrée, dans les conditions prévues au chapitre III du présent titre. / Lorsque l'étranger qui fait l'objet d'une interdiction administrative du territoire est présent sur le territoire français, il peut être reconduit d'office à la frontière, le cas échéant à l'expiration du délai prévu à l'article L. 214-3. L'article L. 513-2, le premier alinéa de l'article L. 513-3 et les titres V et VI du livre V sont applicables à la reconduite à la frontière des étrangers faisant l'objet d'une interdiction administrative du territoire. / Article L. 214-5. - L'autorité administrative peut à tout moment abroger l'interdiction administrative du territoire. L'étranger peut introduire une demande de levée de la mesure après un délai d'un an à compter de son prononcé. Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur la demande de levée vaut décision de rejet. / Article L. 214-6.- Sans préjudice des dispositions de l'article L. 214-5, les motifs de l'interdiction administrative du territoire donnent lieu à un réexamen tous les cinq ans à compter de la date de la décision. / Article L. 214-7.-Le second alinéa de l'article L. 214-4 n'est pas applicable à l'étranger mineur " ; qu'aux termes de l'article L. 214-8 de ce même code : " Les articles L. 214-1, L. 214-2, L. 214-3, L. 214-5 et L. 214-6 sont applicables sur l'ensemble du territoire de la République. / Au sens des dispositions des articles L. 214-1 à L. 214-3, les expressions : " en France " et " territoire national " s'entendent de l'ensemble du territoire de la République " ;
3. Considérant que les associations requérantes soutiennent que les dispositions précitées des articles L. 214-1 à L. 214-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile portent une atteinte disproportionnée au droit constitutionnel d'asile, au droit au respect de la vie privée et familiale, méconnaissent le droit au recours effectif et sont entachées d'incompétence négative ;
4. Considérant, toutefois, que l'instance à l'occasion de laquelle la présente question prioritaire de constitutionnalité est posée a pour objet l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur la demande des associations requérantes, tendant à l'abrogation des dispositions de l'article R. 513-1-1 du code précité, en vertu desquelles : " L'autorité administrative compétente pour prononcer la décision fixant le pays de renvoi dans le cas prévu au deuxième alinéa de l'article L. 214-4 est le ministre de l'intérieur " ; que ces dispositions réglementaires se bornent à désigner l'autorité administrative chargée de fixer le pays de renvoi, dans le cas d'une reconduite à la frontière d'un étranger faisant l'objet d'une interdiction administrative du territoire ; qu'il s'ensuit que, parmi les dispositions législatives contestées au regard de la Constitution, seules celles relatives d'une part aux modalités d'interdiction administrative du territoire, d'autre part celles relatives aux conséquences à en tirer s'agissant d'étrangers déjà présents sur le territoire national, peuvent être regardées comme applicables au litige, au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ; que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 214-4 et celles des articles L. 214-3, L. 214-5, L. 214-6, L. 214-7, L. 214-8 ne sont, par conséquent, pas applicables au litige ;
5. Considérant, en premier lieu, que les dispositions des articles L. 214-1, L. 214-2 et du second alinéa de l'article L. 214-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne font pas obstacle à ce que l'étranger visé par une interdiction administrative du territoire alors qu'il est présent sur le territoire national au moment où cette interdiction lui est notifiée, puisse solliciter, en France, la qualité de réfugié ; que, par suite, elles ne soulèvent aucune question sérieuse au regard du droit d'asile garanti par la Constitution ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que les interdictions administratives du territoire, qui sont des mesures de police administrative, peuvent être contestées devant le juge administratif, y compris par la voie des référés ouverts aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative ; qu'il appartient alors au juge d'apprécier, au regard des éléments débattus contradictoirement devant lui, si cette mesure d'interdiction est justifiée par la nécessité de prévenir les menaces visées aux articles L. 214-1 et L. 214-2 précités et, le cas échéant, de vérifier qu'elle ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé ; qu'il suit de là qu'il ne peut être sérieusement soutenu que les dispositions législatives en cause méconnaîtraient le droit au recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ou qu'elles porteraient, par elles-mêmes, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale ;
7. Considérant, enfin, que la loi définit de façon suffisamment précise, au regard des exigences de l'article 34 de la Constitution, les menaces qui justifient la prise, par le ministre de l'intérieur, d'une décision d'interdiction administrative du territoire à l'encontre de l'étranger qui, par son comportement personnel, en est l'auteur ; que, dans ces conditions, la question de l'incompétence négative du législateur dont seraient entachées ces dispositions, affectant les droits constitutionnels déjà évoqués, ne revêt pas un caractère sérieux ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, qui n'est pas nouvelle et ne présente pas de caractère sérieux ;
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la CIMADE et autres.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la CIMADE, première requérante dénommée, au Premier ministre et au ministre de l'intérieur. Les autres requérantes seront informées de la présente décision par la SCP Spinosi et Sureau, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.