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06/04/2016 | FRANCE | N°396247

France | France, Conseil d'État, 1ère - 6ème chambres réunies, 06 avril 2016, 396247


Vu la procédure suivante :

M. A...B..., à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 10 juin 2015 de la chambre de discipline du conseil régional de l'ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon prononçant à son encontre une sanction d'interdiction d'exercer la profession de pharmacien pendant une durée de trois ans, a produit un mémoire, enregistré le 2 septembre 2015 au greffe de la chambre de discipline du conseil national de l'ordre des pharmaciens, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève

une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une décisio...

Vu la procédure suivante :

M. A...B..., à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 10 juin 2015 de la chambre de discipline du conseil régional de l'ordre des pharmaciens du Languedoc-Roussillon prononçant à son encontre une sanction d'interdiction d'exercer la profession de pharmacien pendant une durée de trois ans, a produit un mémoire, enregistré le 2 septembre 2015 au greffe de la chambre de discipline du conseil national de l'ordre des pharmaciens, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une décision n° AD 3872 du 15 décembre 2015, enregistrée le 20 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la chambre de discipline du conseil national de l'ordre des pharmaciens, avant qu'il soit statué sur la demande de M. B..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du dernier alinéa de l'article L. 5125-20 du code de la santé publique.

Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise et dans deux mémoires enregistrés les 15 février et 23 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...soutient que le dernier alinéa de l'article L. 5125-20 du code de la santé publique, qui est applicable au litige :

- méconnaît le principe de la liberté d'entreprendre, dès lors que ses dispositions ne sont justifiées par aucun but d'intérêt général et ne sont pas proportionnées au but qu'elles poursuivent ;

- porte atteinte au principe d'égalité, dès lors qu'il introduit une différence de traitement ne reposant sur aucune différence de situation et sans rapport direct avec l'objet de la loi entre les pharmaciens d'officine et les vendeurs de parapharmacie.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- l'article L. 5125-20 du code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Puigserver, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de M. A...B...;

1. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant qu'en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 5125-20 du code de la santé publique : " Le pharmacien titulaire d'une officine doit exercer personnellement sa profession. / En toutes circonstances, les médicaments doivent être préparés par un pharmacien, ou sous la surveillance directe d'un pharmacien. / Un arrêté du ministre chargé de la santé fixe, après avis du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, le nombre des pharmaciens dont les titulaires d'officine doivent se faire assister en raison de l'importance de leur chiffre d'affaires " ; que, selon une interprétation jurisprudentielle constante du Conseil d'Etat statuant au contentieux, le chiffre d'affaires à prendre en compte pour l'application de ces dispositions est le chiffre d'affaires total réalisé par l'officine, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre les activités liées à la préparation et à la vente de médicaments et les activités commerciales annexes ;

4. Considérant que M. B...soutient que la portée effective donnée par la jurisprudence constante du Conseil d'Etat aux dispositions du dernier alinéa de l'article L. 5125-20 du code de la santé publique méconnaît la liberté d'entreprendre, dès lors qu'en incluant le produit des activités commerciales annexes réalisées par les officines de pharmacies dans le chiffre d'affaires pris en considération pour déterminer le nombre de pharmaciens par lesquels les titulaires d'officine doivent obligatoirement se faire assister, elles leur imposent, sans motif d'intérêt général, le recrutement de pharmaciens assistants pour ces activités, et entraînent une aggravation de leurs charges disproportionnée au regard du but poursuivi ; que ces dispositions, ainsi interprétées, porteraient également atteinte au principe d'égalité en ce qu'elles traitent différemment, sans motif d'intérêt général, les officines de pharmacie exerçant des activités commerciales annexes et les autres opérateurs économiques exerçant les mêmes activités commerciales ;

5. Considérant, en premier lieu, qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ; que la liberté d'entreprendre comprend non seulement la liberté d'accéder à une profession ou à une activité économique mais également la liberté dans l'exercice de cette profession ou de cette activité ;

6. Considérant que les dispositions contestées ont pour objet de garantir, dans un but d'intérêt général de protection de la santé publique, que, dans chaque officine de pharmacie, les activités liées à la préparation et à la vente de médicaments, qui relèvent d'un monopole légal et répondent à la finalité des officines de pharmacie, soient exercées par un pharmacien ou sous la surveillance directe d'un pharmacien ; que cette obligation, pour chaque titulaire d'officine de pharmacie, membre d'une profession réglementée, de se faire assister par un nombre de pharmaciens fonction de son chiffre d'affaires, si elle entraîne un alourdissement de ses charges, notamment de personnel, ne méconnaît pas, par elle-même, la liberté d'entreprendre ; que la prise en compte, dans le chiffre d'affaires retenu pour déterminer le nombre minimal de pharmaciens assistants, du produit des activités commerciales annexes que le titulaire de l'officine fait, le cas échéant, le choix d'adjoindre à son activité sous monopole légal, ainsi qu'il y est autorisé par la loi, et qui sont nécessairement exercées au sein de la même entreprise et dans un même lieu, n'a pas davantage pour effet d'entraîner des sujétions constituant une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre des pharmaciens d'officine au regard de l'objectif de protection de la santé publique poursuivi ;

7. Considérant, en second lieu, que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ;

8. Considérant qu'au regard de l'objet de la disposition contestée, qui est la protection de la santé publique, les officines de pharmacies, d'une part, qui disposent d'un monopole légal pour les activités liées à la préparation et à la vente de médicaments et qui décident d'entreprendre des activités commerciales annexes et, d'autre part, les autres opérateurs économiques qui exercent ces mêmes activités commerciales ne sont pas dans la même situation ; qu'en les traitant différemment, le législateur, qui s'est fondé sur un critère objectif et rationnel, en rapport direct avec l'objet de la loi, n'a pas méconnu le principe d'égalité ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; que, par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.B....

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et à la ministre des affaires sociales et de la santé.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre ainsi qu'à la chambre de discipline du conseil national de l'ordre des pharmaciens.


Synthèse
Formation : 1ère - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 396247
Date de la décision : 06/04/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 06 avr. 2016, n° 396247
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Frédéric Puigserver
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini
Avocat(s) : SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:396247.20160406
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