Vu la procédure suivante :
Par un mémoire, enregistré le 4 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, l'Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs, M. B... A...et M. C...A...demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur pourvoi tendant à l'annulation de la décision de la Commission centrale d'aide sociale n° 140435 du 19 juin 2015, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions combinées des articles L. 121-1 et L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- les articles L. 121-1 et L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Sirinelli, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Balat, avocat de l'Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs (ANPIHM), de M. B...A...et de M. C...A...et à la SCP Gaschignard, avocat du conseil départemental de l'Eure-et-Loir ;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 121-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le département définit et met en oeuvre la politique d'action sociale, en tenant compte des compétences confiées par la loi à l'Etat, aux autres collectivités territoriales ainsi qu'aux organismes de sécurité sociale. Il coordonne les actions menées sur son territoire qui y concourent. / Il organise la participation des personnes morales de droit public et privé mentionnées à l'article L. 116-1 à la définition des orientations en matière d'action sociale et à leur mise en oeuvre. / Les prestations légales d'aide sociale sont à la charge du département dans lequel les bénéficiaires ont leur domicile de secours, à l'exception des prestations énumérées à l'article L. 121-7 " ; qu'il résulte des dispositions de l'article L. 122-2 de ce code que le domicile de secours s'acquiert par une résidence habituelle de trois mois dans un département postérieurement à la majorité ou à l'émancipation, " sauf pour les personnes admises dans des établissements sanitaires ou sociaux, ou accueillies habituellement, à titre onéreux ou au titre de l'aide sociale au domicile d'un particulier agréé ou faisant l'objet d'un placement familial en application des articles L. 441-1, L. 442-1 et L. 442-3, qui conservent le domicile de secours qu'elles avaient acquis avant leur entrée dans l'établissement et avant le début de leur séjour chez un particulier (...) " ; qu'enfin, aux termes du premier alinéa de l'article L. 121-4 du même code, le conseil général, devenu conseil départemental, " peut décider de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements applicables aux prestations mentionnées à l'article L. 121-1. Le département assure la charge financière de ces décisions " ;
3. Considérant que les requérants soutiennent que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles, combinées avec celles du dernier alinéa de l'article L. 121-1 du même code, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant les charges publiques, respectivement garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dans la mesure où, en prévoyant la possibilité de prestations plus favorables dans les départements où le conseil général le décide, tout en mettant le financement des prestations d'aide sociale à la charge du département où se trouve le domicile de secours du bénéficiaire, qui ne peut se voir opposer les règles définies dans un autre département, elles peuvent entraîner une prise en charge différente des bénéficiaires des prestations résidant dans un même département, selon que ceux-ci y disposent également, ou non, de leur domicile de secours ;
4. Considérant notamment qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse " ; que pour assurer le respect du principe constitutionnel d'égalité, il incombe en particulier au législateur de prévenir, par des dispositions appropriées, la survenance de ruptures caractérisées d'égalité dans l'attribution de prestations qui, suivant le principe de libre administration des collectivités territoriales, sont décidées par les départements, lorsque celles-ci répondent à une exigence de solidarité nationale ; qu'en outre, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ;
5. Considérant, d'une part, qu'en vertu des dispositions précitées du dernier alinéa de l'article L. 121-1 du code de l'action sociale et des familles, le département dans lequel le bénéficiaire de l'aide sociale a son domicile de secours est tenu à la prise en charge des prestations légales d'aide sociale ; que, d'autre part, il résulte, des dispositions du premier alinéa de l'article L. 121-4 du même code, eu égard notamment à l'objet même de la mesure, que dans l'hypothèse où un département décide de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements applicables, il doit assurer la charge financière du surcoût né de cette décision, au profit de toutes les personnes qui résident sur son territoire, y compris celles dont le domicile de secours se situe dans un autre département ; que, dans ce cas, le département de résidence doit ainsi prendre en charge le différentiel résultant des conditions ou montants de prestations plus favorables qu'il a décidées ; que, par suite, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, aucune différence de traitement des bénéficiaires de l'aide sociale résidant dans un même département ne saurait découler de l'application des dispositions critiquées, selon que leur département de résidence coïncide, ou non, avec le département où ils ont leur domicile de secours ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; que, par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs, M. B...A...et M. C...A....
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs, à M. B...A..., à M. C...A..., à la ministre des affaires sociales et de la santé et au département d'Eure-et-Loir.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.