Vu la procédure suivante :
La société Danish Crown France, qui vient aux droits et obligations de la société Ess-Food France, a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler dix-sept titres de recettes, numérotés 2011000046 à 2011000062, émis le 26 avril 2011 à son encontre par l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) pour un montant global de 526 909,88 euros, incluant des demandes de reversement de restitutions à l'exportation à hauteur de 337 597,93 euros, des sanctions pécuniaires à hauteur de 168 799,06 euros et des majorations de 10 % à hauteur de 20 512,89 euros. Par un jugement n° 11-3812 du 7 février 2013, le tribunal administratif d'Orléans a fait droit à sa demande et déchargé la société de l'obligation de payer les sommes en cause.
Par un arrêt n° 13NT00996 du 18 septembre 2014, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel que FranceAgriMer a formé contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 novembre 2014 et 19 février 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, FranceAgriMer demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la société Danish Crown France la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (CEE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 ;
- le règlement (CE) n° 800/1999 de la Commission du 15 avril 1999 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Romain Victor, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Meier-Bourdeau, Lecuyer, avocat de l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Danish Crown France ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du règlement (CEE, Euratom) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes : " 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire. / 2. Est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue " ; qu'aux termes de l'article 3 du même règlement : " 1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l'irrégularité visée à l'article 1er paragraphe 1. Toutefois, les réglementations sectorielles peuvent prévoir un délai inférieur qui ne saurait aller en deçà de trois ans. / (...). / La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l'autorité compétente et visant à l'instruction ou à la poursuite de l'irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif (...) " ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du règlement n° 800/1999 de la Commission du 15 avril 1999 portant modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles : " Le présent règlement établit (...) les modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation, ci-après dénommées " restitutions ", prévu par : / (...) - l'article 13 du règlement (CEE) n° 805/68 du Conseil (viande bovine) (...) " ; que l'article 24, paragraphe 1, du même règlement prévoit que, sur demande de l'exportateur, les Etats membres avancent tout ou partie du montant de la restitution, à condition que soit constituée une garantie dont le montant est égal au montant de l'avance, majoré de 10 % ; que son article 25, paragraphe 1, prévoit que lorsque le montant avancé est supérieur au montant effectivement dû, l'autorité compétente demande à l'exportateur le remboursement de la différence, augmentée de 10 % ; qu'aux termes de son article 51, paragraphe 1 : " Lorsqu'il est constaté que, en vue de l'octroi d'une restitution à l'exportation, un exportateur a demandé une restitution supérieure à la restitution applicable, la restitution due pour l'exportation en question est la restitution applicable à l'exportation effectivement réalisée, diminuée d'un montant correspondant : / a) à la moitié de la différence entre la restitution demandée et la restitution applicable à l'exportation effectivement réalisée ; / b) au double de la différence entre la restitution demandée et la restitution applicable si l'exportateur a fourni intentionnellement des données fausses " ; que son article 52, paragraphe 1, prévoit que, le bénéficiaire de la restitution est tenu de rembourser les montants indûment perçus, y compris toute sanction applicable conformément à l'article 51, paragraphe 1, augmentés d'intérêts ; qu'aux termes du paragraphe 4 de l'article 52 : " L'obligation de remboursement visée au paragraphe 1 ne s'applique pas : / (...) b) si le délai qui s'est écoulé entre le jour de la notification au bénéficiaire de la décision définitive sur l'octroi de la restitution et celui de la première information du bénéficiaire par une autorité nationale ou communautaire concernant la nature indue du paiement concerné est supérieur à quatre ans. Cette disposition ne s'applique que si le bénéficiaire a agi de bonne foi. / (...) Les dispositions du présent paragraphe ne s'appliquent pas aux avances de restitutions (...) " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Ess-Food a procédé, au cours de l'année 2000, à des exportations de viande bovine à destination de la Russie, au titre desquelles elle a bénéficié de restitutions à l'exportation en application du règlement n° 800/1999, dont certaines lui ont été versées sous forme d'avances ; qu'un contrôle de l'administration des douanes, réalisé au cours des années 2003, 2004 et 2005, ayant conclu à l'invalidité de certaines preuves d'arrivée à destination des denrées exportées, l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) a notifié à la société Ess-Food, par un courrier du 30 août 2011, dix-sept titres de recettes émis le 26 avril 2011 pour un montant global de 526 909,88 euros, par lesquels il lui a demandé le remboursement du montant des restitutions indument payées ou avancées, augmenté de la sanction prévue par les dispositions de l'article 51, paragraphe 1, sous a) du règlement n° 800/1999 et, pour les restitutions ayant fait l'objet d'avances, de la majoration de 10 % prévue à l'article 25, paragraphe 1 du même règlement ; que, par un jugement du 7 février 2013, le tribunal administratif d'Orléans, saisi par la société Danish Crown France, laquelle vient aux droits de la société Ess-Food, a annulé ces titres de recettes au motif que les créances correspondantes étaient prescrites ; que FranceAgriMer se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 septembre 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'il a formé contre ce jugement ;
Sur les conclusions du pourvoi de FranceAgriMer dirigé contre l'arrêt en tant qu'il a statué sur les titres de recettes nos 2011000052 à 2011000062 relatifs à des avances de restitutions à l'exportation :
4. Considérant qu'il résulte clairement de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 que sont seuls de nature à interrompre valablement la prescription des poursuites tendant à l'application d'une mesure administrative ou d'une sanction au titre d'une irrégularité au sens de l'article 1er du même règlement, les actes, portés à la connaissance de la personne en cause, pris par une autorité nationale compétente pour adopter des mesures tendant à l'instruction ou à la poursuite de l'irrégularité ; que, dès lors, en jugeant que le procès-verbal établi le 12 décembre 2005 par les agents de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières ne pouvait être regardé " comme émanant de l'autorité compétente, au sens de l'article 3 du règlement n° 2988/95, pour prononcer les sanctions prévues par ce texte ", pour en déduire que cet acte n'avait pu interrompre valablement la prescription des poursuites au titre des irrégularités imputées à la société Ess-Food, la cour a commis une erreur de droit ;
Sur les conclusions du pourvoi de FranceAgriMer dirigé contre l'arrêt en tant qu'il a statué sur les titres de recettes nos 2011000046 à 2011000051 relatifs à des restitutions à l'exportation n'ayant pas donné lieu au versement d'avances :
5. Considérant que, pour écarter le moyen de FranceAgriMer tiré de ce que le tribunal administratif d'Orléans avait, en faisant application de la règle de prescription prévue à l'article 52 du règlement n° 800/1999, irrégulièrement soulevé d'office un moyen d'ordre public sans le communiquer aux parties en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, la cour administrative d'appel a jugé que si la société Danish Crown France avait uniquement invoqué le bénéfice des dispositions de l'article 3 du règlement n° 2988/1995, sans citer l'article 52 du règlement n° 800/1999, il était de l'office des premiers juges, qui étaient saisis du moyen tiré de la prescription, et dès lors que les dispositions du règlement n° 2988/95 renvoient expressément aux règlementations sectorielles prévoyant un délai spécifique de prescription, de statuer au regard des dispositions de l'article 52 du règlement n° 800/1999, seul applicable aux restitutions en matière d'exportation de produits agricoles ;
6. Considérant, toutefois, que le moyen tiré de ce que la créance de l'administration est prescrite n'est pas d'ordre public ; que si un requérant invoque, au soutien de sa demande, un régime de prescription qui n'est pas applicable, il n'appartient pas au juge de rechercher, d'office, si une autre règle de prescription, n'ayant pas été invoquée par le débiteur, est de nature à faire obstacle au recouvrement de la créance de l'administration et, le cas échéant, de faire application de cette autre règle de prescription ; que, par suite, FranceAgriMer est fondé à soutenir qu'en écartant son moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que FranceAgriMer est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque, dans toutes ses dispositions ;
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Danish Crown France la somme de 3 000 euros à verser à FranceAgriMer au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de FranceAgriMer, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 18 septembre 2014 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : La société Danish Crown France versera à FranceAgriMer une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la société Danish Crown France présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) et à la société Danish Crown France.