Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 octobre et 30 décembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SARL D. Degueldre Gestion demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-890 du 1er août 2014 relatif au plafonnement des honoraires imputables aux locataires et aux modalités de transmission de certaines informations par les professionnels de l'immobilier ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code de commerce ;
- la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 ;
- la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 ;
- la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 ;
- le décret n° 2014-843 du 25 juillet 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Manon Perrière, auditeur,
- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lesourd, avocat de la société D. Degueldre Gestion ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, dans sa rédaction issue de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové : " I. - La rémunération des personnes mandatées pour se livrer ou prêter leur concours à l'entremise ou à la négociation d'une mise en location d'un logement, tel que défini aux articles 2 et 25-3, est à la charge exclusive du bailleur, à l'exception des honoraires liés aux prestations mentionnées aux deuxième et troisième alinéas du présent I. / Les honoraires des personnes mandatées pour effectuer la visite du preneur, constituer son dossier et rédiger un bail sont partagés entre le bailleur et le preneur. Le montant toutes taxes comprises imputé au preneur pour ces prestations ne peut excéder celui imputé au bailleur et demeure inférieur ou égal à un plafond par mètre carré de surface habitable de la chose louée fixé par voie réglementaire et révisable chaque année, dans des conditions définies par décret. Ces honoraires sont dus à la signature du bail./ Les honoraires des personnes mandatées pour réaliser un état des lieux sont partagés entre le bailleur et le preneur. Le montant toutes taxes comprises imputé au locataire pour cette prestation ne peut excéder celui imputé au bailleur et demeure inférieur ou égal à un plafond par mètre carré de surface habitable de la chose louée fixé par voie réglementaire et révisable chaque année, dans des conditions définies par décret. Ces honoraires sont dus à compter de la réalisation de la prestation./ Les trois premiers alinéas du présent I ainsi que les montants des plafonds qui y sont définis sont reproduits, à peine de nullité, dans le contrat de bail lorsque celui-ci est conclu avec le concours d'une personne mandatée et rémunérée à cette fin. (...) " ; que le décret attaqué du 1er août 2014 détermine les plafonds des montants qui peuvent être imputés aux locataires pour les prestations qui font l'objet d'une prise en charge partagée entre bailleur et propriétaire en application de ces dispositions ; que la société D. Degueldre Gestion demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret ;
Sur la légalité externe du décret attaqué :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 13-1 de la loi du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI) est consulté pour avis sur l'ensemble des projets de textes législatifs ou réglementaires relatifs à l'exercice des activités d'achat, vente, location et gestion immobilières ; qu'aux termes de l'article 2 du décret du 25 juillet 2014 relatif à la composition et au fonctionnement de cette instance : " La convocation et l'ordre du jour ainsi que les documents nécessaires à la préparation de la réunion sont adressés à chacun des membres du conseil par tout moyen, au moins une semaine avant la séance " ; qu'il ressort des pièces du dossier que les nouveaux membres du conseil, qui ont été installés lors d'une séance du 30 juillet 2014 et ont donné leur avis sur le projet de décret lors de cette même séance, avaient été rendus destinataires de la convocation à cette réunion et des documents nécessaires le 22 juillet 2014, dans le délai prévu aux dispositions précitées de l'article 2 du décret du 25 juillet 2014 ; que la circonstance qu'ils n'ont été officiellement nommés en qualité de membres de ce conseil que par un arrêté du 28 juillet 2014 est sans incidence sur la régularité de la procédure ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 410-2 du code de commerce : " Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 sont librement déterminés par le jeu de la concurrence. / Toutefois, dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d'Etat peut réglementer les prix après consultation de l'Autorité de la concurrence. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 462-2 du même code : " L'Autorité est obligatoirement consultée par le Gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet :/ 1° De soumettre l'exercice d'une profession ou l'accès à un marché à des restrictions quantitatives ; / 2° D'établir des droits exclusifs dans certaines zones ; / 3° D'imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente " ; que les dispositions attaquées n'ont pas pour objet de réglementer le prix des prestations des agences immobilières mais visent seulement à limiter le coût pris en charge par le locataire ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'Autorité de la concurrence aurait dû être consultée ne peut qu'être écarté ;
Sur la légalité interne du décret attaqué :
4. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précitées ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général " ; que l'encadrement des honoraires facturés aux locataires pour les prestations liées à la mise en location d'un logement est sans incidence sur le droit de propriété des bailleurs ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que les dispositions législatives dont le décret attaqué est une mesure d'application porteraient une atteinte disproportionnée aux droits de propriété des bailleurs doit être écarté ; qu'il en va de même, par voie de conséquence, du moyen tiré de ce que ces dispositions créeraient une rupture d'égalité entre bailleurs dans l'exercice de ce droit, en méconnaissance des dispositions combinées de l'article 1er du premier protocole à la convention cité ci-dessus et de l'article 14 de cette même convention ;
5. Considérant que, contrairement à ce que soutient la société requérante, les dispositions de l'article 5 de la loi du 6 juillet 1989, qui prévoient seulement un plafonnement des honoraires mis à la charge des locataires, ne sauraient être regardées comme portant une atteinte aux biens des professionnels de l'immobilier, en faisant peser sur eux une charge spéciale et exorbitante ;
6. Considérant qu'il résulte de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne que " les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation " ; que si le décret attaqué définit les limites dans lesquelles les frais d'honoraires liés à l'établissement d'un acte de location peuvent être mis à la charge des locataires, en fonction de la surface du logement et de sa localisation sur le territoire national, ses dispositions, d'une part, s'appliquent de manière indifférenciée et sans discrimination entre les entreprises concernées et, d'autre part, n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que des entreprises situées sur le territoire de l'Union et proposant des services de prestation immobilière offrant ces services sur le territoire national ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait contraire au principe de libre prestation de services garanti par l'article 56 relatif du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;
7. Considérant que, contrairement à ce que soutient la requérante, les catégories de " zone très tendue " ou " zone tendue ", auxquelles l'article 2 du décret attaqué recourt pour moduler les plafonds qu'il fixe, sont définies avec précision par les renvois qu'opère le II de l'article 1er du décret à d'autres dispositions réglementaires ; qu'ainsi le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 2 du décret attaqué méconnaîtraient l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme et le principe de sécurité juridique doit être écarté ; qu'il en va de même, par voie de conséquence, du moyen tiré de ce que, en ne définissant pas ces catégories, le pouvoir réglementaire aurait méconnu l'étendue de sa compétence pour déterminer les modalités d'application de la loi du 24 mars 2014 ;
8. Considérant que si la société requérante soutient que le décret attaqué imposerait des plafonds d'honoraires inadaptés à la réalité du marché locatif et incompatibles avec son bon fonctionnement, ce moyen n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ; qu'il en est de même du moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait le principe de sécurité juridique faute de comporter des dispositions transitoires ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité, que la société D. Degueldre Gestion n'est pas fondée à demander l'annulation du décret attaqué ; que, par suite, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la SARL D. Degueldre Gestion est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SARL Degueldre Gestion, au Premier ministre et à la ministre du logement et de l'habitat durable.