Vu la procédure suivante :
La SNC Champ de la Foux a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Grimaud à lui verser une indemnité de 2 200 400 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison du caractère inconstructible de lots du lotissement Les Hauts du Clos de l'Avelan à Grimaud (Var). Par un jugement n° 0900719 du 12 mai 2011, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
La SNC Champ de la Foux a demandé à ce même tribunal de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de même montant, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation de ces mêmes préjudices. Par un jugement n° 0900716 du 12 mai 2011, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Par un arrêt n°s 11MA02598, 11MA02599 du 20 mars 2014, la cour administrative d'appel de Marseille a, à la demande de la SNC Champ de la Foux :
- annulé ces jugements du tribunal administratif de Toulon du 12 mai 2011 ;
- condamné la commune de Grimaud à verser à la SNC Champ de la Foux la somme de 108 498,47 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;
- condamné l'Etat à verser à cette société la somme de 216 996,93 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 mai 2014, 8 août 2014 et 6 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Grimaud demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 20 mars 2014 en tant qu'il statue sur la réparation des préjudices qui lui ont été imputés ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel n° 11MA02598 de la SNC Champ de la Foux ;
3°) de mettre à la charge de la SNC Champ de la Foux la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Yannick Faure, auditeur,
- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la commune de Grimaud, et à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la SNC Champ de la Foux ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 24 décembre 1992, le maire de Grimaud a délivré à la société Alligator une autorisation de lotir, ultérieurement transférée à la SNC Champ de la Foux par un arrêté du 10 mai 2001, en vue de la création au lieu-dit La Haute-Bagarède d'un ensemble immobilier dénommé Les Hauts du Clos de l'Avelan. Par un arrêté du 2 août 2002, le maire a autorisé la SNC Champ de la Foux à procéder à la vente des lots en l'état futur d'achèvement, avant l'exécution des travaux prescrits par ce permis de lotir. Par un arrêté du 9 août 2004, le maire a retiré un permis de construire antérieurement accordé à l'un des acquéreurs sur le lot n° 12 puis, le 25 novembre 2008, a délivré à la SNC Champ de la Foux trois certificats d'urbanisme négatifs pour les lots nos 10, 14 et 15, dont elle était demeurée propriétaire, en raison du risque d'incendie auquel étaient exposés ces quatre lots. La SNC Champ de la Foux a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Grimaud et l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'elle estimait avoir subis. Par deux jugements du 12 mai 2011, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes. Par un arrêt du 20 mars 2014, contre lequel la commune de Grimaud se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Marseille, après avoir joint les appels de la SNC Champ de la Foux, a déclaré la commune de Grimaud et l'Etat responsables, à hauteur d'un tiers pour la première et des deux tiers pour le second, de certains préjudices que la SNC avait subis et condamné la commune de Grimaud et l'Etat à lui verser les sommes de respectivement 108 498,47 euros et 216 996,93 euros, assorties des intérêts légaux capitalisés.
Sur les fautes imputées à la commune de Grimaud :
2. L'article L. 315-8 du code de l'urbanisme, alors en vigueur, disposait que " dans les cinq ans à compter de l'achèvement d'un lotissement, constaté dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme intervenues postérieurement à l'autorisation du lotissement. Toutefois, les dispositions résultant des modifications des documents du lotissement en application des articles L. 315-3, L. 315-4 et L. 315-7 sont opposables ". Si ces dispositions conféraient au bénéficiaire d'une autorisation de lotir, sauf modification du règlement du lotissement dans les conditions qu'elles prévoyaient, une garantie de stabilité des règles d'urbanisme en vigueur à la date de la délivrance de cette autorisation, elles ne faisaient en revanche aucunement obstacle à l'application, à des demandes de permis de construire dans un lotissement autorisé le 24 décembre 1992, de l'article R. 111-2 du même code, codifiant l'article 2 du décret du 30 novembre 1961, qui disposait alors que " le permis de construire peut être refusé (...) si les constructions, par leur situation ou leurs dimensions, sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique (...) ". Par suite, et alors même que la SNC Champ de la Foux se prévalait de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour a commis une erreur de droit en jugeant que le maire de Grimaud avait commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune en opposant avant l'expiration du délai de cinq ans prévu par l'article L. 315-8 du code de l'urbanisme une impossibilité de construction sur certains lots sur le fondement de l'article R. 111-2 du même code.
3. Contrairement à ce que soutient la SNC Champ de la Foux, les motifs par lesquels la cour a jugé que la commune avait ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité sont nécessaires à son raisonnement, alors même que la cour a également retenu l'existence d'une autre faute de la commune. Par suite, la SNC n'est pas fondée à soutenir que l'erreur de droit relevée au point 2 serait sans incidence sur le bien-fondé de l'arrêté attaqué.
Sur l'existence d'une faute de la SNC Champ de la Foux :
4. Pour estimer que la SNC Champ de la Foux n'avait pas commis d'imprudence fautive, de nature à atténuer la responsabilité de la commune, en s'abstenant de tenir compte du risque d'incendie lié aux feux de forêts dans l'élaboration de son projet, la cour s'est fondée sur le seul motif que l'appréciation de ce risque relevait d'études menées par les services de l'Etat à l'initiative du préfet ou sur la demande du maire. En se prononçant ainsi, alors même qu'elle avait relevé, par une appréciation souveraine qui n'est pas entachée de dénaturation, que la SNC Champ de la Foux avait la qualité de professionnel et que le terrain d'assiette du lotissement, entouré de collines boisées, était de façon notoire, dès 1992, particulièrement exposé au risque de feu de forêt, la cour a inexactement qualifié le comportement de cette société.
5. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Grimaud est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il statue sur sa responsabilité. Les moyens retenus suffisant à entraîner cette annulation, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens du pourvoi.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SNC Champ de la Foux une somme de 3 000 euros à verser à la commune de Grimaud, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Grimaud, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 20 mars 2014 est annulé en tant qu'il statue sur la responsabilité de la commune de Grimaud.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la limite de la cassation ainsi prononcée, à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : La SNC Champ de la Foux versera une somme de 3 000 euros à la commune de Grimaud au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la SNC Champ de la Foux présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Grimaud et à la SNC Champ de la Foux.
Copie en sera adressée à la ministre du logement et de l'habitat durable.