Vu la procédure suivante :
La Polynésie française a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la délibération n° 2015-69 APF du 1er octobre 2015 de l'assemblée de la Polynésie française, portant création d'une commission d'enquête chargée de recueillir tous les éléments d'information sur la réforme fiscale y compris l'évolution de la fiscalité communale et le financement de la protection sociale généralisée.
Par une ordonnance n° 1500617 du 1er décembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté cette demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 15 et 30 décembre 2015 et le 4 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Polynésie française demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'assemblée de la Polynésie française la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,
- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de la Polynésie française et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de l'assemblée de la Polynésie française ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 mars 2016, présentée par l'assemblée de la Polynésie française ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.(...) " ;
2. Considérant que l'article 89 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française dispose : " Le conseil des ministres est chargé collégialement et solidairement des affaires de la compétence du gouvernement définies en application de la présente section./ Il arrête les projets d'actes prévus à l'article 140 dénommés " lois du pays " (...) ainsi que les autres projets de délibérations à soumettre à l'assemblée de la Polynésie française ou à sa commission permanente. (...) " ; qu'en vertu de l'article 102 de cette même loi : " L'assemblée de la Polynésie française règle par ses délibérations les affaires de la Polynésie française. Les compétences de la collectivité relevant du domaine de la loi sont exercées par l'assemblée de la Polynésie française./ Toutes les matières qui sont de la compétence de la Polynésie française relèvent de l'assemblée de la Polynésie française, à l'exception de celles qui sont attribuées par la présente loi organique au conseil des ministres ou au président de la Polynésie française./ L'assemblée (...) contrôle l'action du président et du gouvernement de la Polynésie française. " ; qu'enfin, son article 132 prévoit : " L'assemblée de la Polynésie française peut créer des commissions d'enquête composées à la représentation proportionnelle des groupes politiques qui la composent. / Le régime des commissions d'enquête est défini par une délibération de l'assemblée de la Polynésie française. " ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la délibération attaquée : " Il est créé, en application des dispositions de l'article 68 du règlement intérieur de l'assemblée de la Polynésie française, une commission d'enquête chargée de recueillir tous les éléments d'information sur la réforme fiscale en cours d'élaboration par le gouvernement, y compris sur l'évolution de la fiscalité communale, ainsi que tous les éléments de prospective visant à mettre en oeuvre le financement de la Protection Sociale Généralisée (PSG)/ La commission d'enquête doit notamment : - circonscrire le périmètre de la réforme fiscale, les moyens mis en oeuvre pour accroître les recettes fiscales (...)/ - déterminer avec précision la nature des assiettes des impositions et le quantum de l'imposition inhérente à chaque cédule, pour la réforme fiscale qui viendra se substituer au démantèlement de l'impôt sur les transactions (...)/ - se faire communiquer l'ensemble des simulations et/ou projets de barèmes d'imposition réalisés par les services (...)/ - se faire communiquer tout élément de nature prospective qui aurait pu être transmis à l'agence de notation ou aux bailleurs de fonds ou à tout acteur institutionnel y compris l'État (...)/ - identifier tous les intervenants associés aux différents groupes de travail constitués par le gouvernement et définir leurs qualités, les conditions de leur implication, leur rôle et les missions qui leur ont été confiées pour élaborer les pistes de réforme (...)/ - vérifier si une hypothèse de travail consisterait à mettre en place une TVA sociale ;/ - faire tous constats, toutes suggestions et propositions tendant à définir une orientation stratégique majeure pour envisager une réforme fiscale dans sa globalité " ; qu'en vertu de l'article 2 de cette même délibération, relatif aux prérogatives de la commission d'enquête : " Pour les besoins de sa mission, elle peut :/ - procéder à toutes les auditions qu'elle estimerait utiles ; (...)/ - se faire communiquer les documents archivés dans les services de la Polynésie française, notamment à la direction des impôts et des contributions publiques, et à la direction du budget et des finances ;/ - demander que soient diligentées toutes enquêtes, investigations, analyses ou études propres à éclairer les membres de la commission (...) " ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la commission d'enquête créée par la délibération litigieuse doit conduire ses travaux, alors même que la réforme fiscale qui constitue son objet essentiel est en cours d'élaboration par le gouvernement de la Polynésie française, compétent pour arrêter les projets de " lois du pays " ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la délibération attaquée porte atteinte à l'équilibre institutionnel de la Polynésie française, tel que résultant des dispositions rappelées au point 2, en raison, d'une part, de l'objet de la commission d'enquête qu'elle instaure et, d'autre part, des prérogatives accordées à cette commission, était, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur sa légalité ; que, dès lors, en relevant qu'aucun moyen n'était de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de cette délibération, le juge des référés a entaché son ordonnance d'une erreur de droit ; que, par suite, la requérante est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, à en demander l'annulation ;
5. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;
Sur la recevabilité de la demande :
6. Considérant, en premier lieu, que la décision portant création de cette commission d'enquête qui, eu égard à ses effets, ne constitue ni une mesure d'ordre intérieur ni une mesure préparatoire, peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif et par suite d'une demande de suspension de son exécution ;
7. Considérant, en second lieu, qu'en vertu du 25° de l'article 91 de la loi organique du 27 février 2004, le conseil des ministres " décide d'intenter les actions ou de défendre devant les juridictions au nom de la Polynésie française, y compris en ce qui concerne les actions contre les délibérations de l'assemblée de la Polynésie française ou de sa commission permanente " ; qu'en vertu du 3° de l'article 92 de cette même loi organique, le conseil des ministres peut déléguer à son président le pouvoir d'intenter ou de soutenir les actions en justice au nom de la Polynésie française ; que, par arrêté n° 750 CM du 23 mai 2013, le conseil des ministres a délégué au président de la Polynésie française le pouvoir d'intenter ou de soutenir toute action au nom de la Polynésie française ; qu'en vertu de ces dispositions, le président de la Polynésie française est recevable à demander l'annulation et, par suite, la suspension, d'une délibération de l'assemblée de la Polynésie française lorsque, comme en l'espèce, elle crée une commission d'enquête investie notamment de pouvoirs de contrainte à l'égard du gouvernement de la Polynésie française ;
8. Considérant qu'il s'ensuit que les fins de non-recevoir opposées par l'assemblée de la Polynésie française doivent être écartées ;
Sur le bien-fondé de la demande de suspension :
9. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 que, eu égard aux missions et prérogatives de la commission d'enquête créée par la délibération attaquée, lesquelles ne se limitent pas au contrôle ou à l'évaluation de l'action gouvernementale, le moyen tiré de ce que cette délibération constitue une immixtion de l'assemblée de la Polynésie française dans le domaine réservé, par la loi organique, au gouvernement, portant ainsi atteinte à l'équilibre institutionnel de la Polynésie française, doit être regardé, en l'état de l'instruction, comme propre à créer un doute sérieux sur sa légalité ;
10. Considérant, en second lieu, que la commission d'enquête litigieuse dispose, en vertu de l'article 4 de la délibération attaquée, d'un délai courant jusqu'au 9 avril 2016 pour déposer son rapport sur le bureau de l'assemblée de la Polynésie française ; qu'ainsi, à la date de la présente décision, la condition d'urgence posée par les dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme satisfaite ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de prononcer la suspension demandée ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la Polynésie française qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées à ce même titre par la Polynésie française ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance en date du 1er décembre 2015 du juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française est annulée.
Article 2 : L'exécution de la délibération n° 2015-69 APF du 1er octobre 2015 de l'assemblée de la Polynésie française est suspendue.
Article 3 : Les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Polynésie française et à l'assemblée de la Polynésie française.
Copie en sera adressée à la ministre des outre-mer et au haut-commissaire de la République en Polynésie française.