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09/03/2016 | FRANCE | N°382014

France | France, Conseil d'État, 3ème ssjs, 09 mars 2016, 382014


Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Basse-Terre, en premier lieu, d'annuler pour excès de pouvoir la note de service du 11 janvier 2010 par laquelle le maire de la commune de Goyave (Guadeloupe) lui a retiré ses fonctions de responsable du service technique de la commune ainsi que l'arrêté du 25 février 2010 par lequel le maire lui a infligé un blâme, en deuxième lieu, d'enjoindre au maire de retirer la décision lui infligeant un blâme de son dossier administratif et, en troisième lieu, de condamner la commune à lui verser la somme

de 5 000 euros en réparation du préjudice subi. Par un jugement n° ...

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Basse-Terre, en premier lieu, d'annuler pour excès de pouvoir la note de service du 11 janvier 2010 par laquelle le maire de la commune de Goyave (Guadeloupe) lui a retiré ses fonctions de responsable du service technique de la commune ainsi que l'arrêté du 25 février 2010 par lequel le maire lui a infligé un blâme, en deuxième lieu, d'enjoindre au maire de retirer la décision lui infligeant un blâme de son dossier administratif et, en troisième lieu, de condamner la commune à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi. Par un jugement n° 1000318 du 21 juin 2012, le tribunal administratif de Basse-Terre a annulé les décisions litigieuses, enjoint au maire de retirer la décision infligeant un blâme à M. B...du dossier administratif de l'intéressé et condamné la commune à lui verser une indemnité de 600 euros en réparation du préjudice subi.

Par un arrêt n° 12BX02071 du 6 mai 2014, la cour administrative d'appel de Bordeaux, faisant droit à l'appel de la commune de Goyave, a annulé ce jugement et rejeté les conclusions de l'appel incident ainsi que la demande de première instance de M.B....

Par un pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 juin et 30 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la commune de Goyave et de faire droit à son appel incident ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Goyave la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 88-547 du 6 mai 1988 ;

- le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Romain Victor, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de M. B...et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la commune de Goyave ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B..., agent de maîtrise territorial et responsable du service technique de la commune de Goyave depuis 1996, a été déchargé de ses fonctions par une note de service du 11 janvier 2010 du maire de cette commune, tout en étant provisoirement maintenu dans le service. Par arrêté du 25 février 2010, le maire lui a infligé un blâme à titre de sanction disciplinaire. Faisant partiellement droit aux conclusions de M. B... par un jugement du 21 juin 2012, le tribunal administratif de Basse-Terre a annulé les décisions litigieuses et condamné la commune à verser à l'intéressé la somme de 600 euros en réparation du préjudice subi. Statuant sur appel de la commune, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, par un arrêt du 6 mai 2014, annulé ce jugement et rejeté l'appel incident de M. B...ainsi que les conclusions de sa demande de première instance. M. B...se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Sur le pourvoi de M. B...:

En ce qui concerne la note de service du 11 janvier 2010 :

2. Si la commune de Goyave a fait valoir que la mesure privant M. B...de ses fonctions de responsable du service technique communal répondait aux nécessités du service, elle n'a versé au dossier soumis aux juges du fond aucune pièce établissant la réalité de cette allégation. Figure en outre dans ce même dossier une lettre adressée par le maire à l'intéressé dès le 12 janvier 2010, soit le lendemain de la note de service litigieuse, et l'informant de ce qu'il avait d'ores et déjà décidé de le sanctionner d'un blâme. Ainsi, en jugeant que la mesure privant M. B...des fonctions qu'il exerçait depuis 1996 était dépourvue de caractère disciplinaire et avait été prise dans l'intérêt du service, la cour a inexactement qualifié les faits soumis à son appréciation.

En ce qui concerne l'arrêté du 25 février 2010 :

3. Pour justifier le blâme infligé à M.B..., la commune s'est fondée sur le fait que l'intéressé était arrivé en retard le 11 janvier 2010, ce qui ne lui avait pas permis de prendre les dispositions nécessaires en vue d'assurer le nettoyage des deux classes de l'école maternelle de la ZAC de l'Aiguille, notamment en ne donnant pas les instructions nécessaires aux agents placés sous ses ordres afin qu'ils effectuent les opérations requises. Il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'une part, qu'alors que M. B...se rendait à son travail, son véhicule a subi une crevaison vers 6h20 et s'est trouvé de ce fait momentanément immobilisé, incident dont il a immédiatement informé par téléphone son plus proche collaborateur et, d'autre part, que ce dernier avait reçu de M. B...la consigne de veiller à ce que les deux agents chargés de ces opérations de nettoyage s'acquittent de leur tâche. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la manière de servir de M. B...aurait jusque-là fait l'objet d'une quelconque critique. Compte-tenu de l'ensemble de ces circonstances, la cour a inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que M. B...avait commis une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire.

4. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que l'arrêt attaqué doit être annulé.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur l'appel de la commune de Goyave :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

6. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". L'article R. 613-2 de ce code dispose : " Si le président de la formation de jugement n'a pas pris une ordonnance de clôture, l'instruction est close trois jours francs avant la date de l'audience indiquée dans l'avis d'audience prévu à l'article R. 711-2. Cet avis le mentionne ". Selon l'article R. 613-3 du même code : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction. / Si les parties présentent avant la clôture de l'instruction des conclusions nouvelles ou des moyens nouveaux, la juridiction ne peut les adopter sans ordonner un supplément d'instruction ". L'article R. 613-4 du même code dispose : " Le président de la formation de jugement peut rouvrir l'instruction par une décision qui n'est pas motivée et ne peut faire l'objet d'aucun recours. (...) / La réouverture de l'instruction peut également résulter d'un jugement ou d'une mesure d'investigation ordonnant un supplément d'instruction. / Les mémoires qui auraient été produits pendant la période comprise entre la clôture et la réouverture de l'instruction sont communiqués aux parties ".

7. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il décide de verser au contradictoire après la clôture de l'instruction un mémoire qui a été produit par les parties avant ou après celle-ci, le président de la formation de jugement du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel doit être regardé comme ayant rouvert l'instruction. Il lui appartient dans tous les cas de clore l'instruction ainsi rouverte et, le cas échéant, de fixer une nouvelle date d'audience.

8. Il ressort des pièces du dossier de la procédure suivie devant les premiers juges que le greffe du tribunal administratif a avisé les parties par lettre du 11 mai 2012 que l'audience était fixée au jeudi 7 juin 2012. En l'absence d'ordonnance de clôture de l'instruction, cette clôture intervenait trois jours francs avant la date de l'audience, conformément à l'article R. 613-2 du code de justice administrative. Postérieurement à cette clôture, le 4 juin 2012, M. B... a produit un mémoire en réplique, qui a été sans délai communiqué à la commune de Goyave. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que cette communication a eu pour effet de rouvrir l'instruction et que, par suite, en s'abstenant de clore à nouveau l'instruction et le cas échéant de fixer une nouvelle date d'audience, le tribunal administratif a statué dans des conditions irrégulières. La commune de Goyave est ainsi fondée, pour ce motif, à demander l'annulation du jugement attaqué.

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif.

En ce qui concerne la note de service du 11 janvier 2010 :

10. Ainsi qu'il a été dit au point 2, la commune de Goyave n'a fait état d'aucun élément de nature à établir que la mesure privant M. B...de ses fonctions de responsable du service technique était justifiée par l'intérêt du service. La lettre adressée à M. B...par le maire dès le lendemain, le 12 janvier 2010, annonçant qu'il avait décidé de lui infliger un blâme, a révélé le véritable motif de la mesure d'éviction critiquée, lequel était disciplinaire. Cette sanction disciplinaire déguisée, ayant été édictée en méconnaissance du contradictoire et des droits de la défense, est entachée d'illégalité. M. B...est par suite fondé à en demander l'annulation.

En ce qui concerne l'arrêté du 25 février 2010 :

11. Ainsi qu'il a été dit au point 2, il résulte des pièces du dossier que, si M. B... est arrivé en retard à son travail en raison d'une crevaison, il en a immédiatement informé son plus proche collaborateur. Celui-ci, ainsi que le fait apparaître un rapport en date du 13 janvier 2010, a admis qu'il avait reçu de M. B... les consignes relatives au nettoyage des deux classes de l'école maternelle de la ZAC de l'Aiguille, mais avait ce jour-là négligé de veiller à leur mise en oeuvre par les deux agents désignés à cet effet. Par ailleurs, il n'est ni établi ni même allégué que la manière de servir de M. B...depuis 1996 aurait donné matière à critique. Compte-tenu de l'ensemble de ces circonstances, l'intéressé ne saurait être regardé comme ayant commis le 11 janvier 2010 une faute de nature à justifier une quelconque sanction disciplinaire. Par suite, M. B...est également fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 25 février 2010 lui infligeant un blâme.

Sur les conclusions à fins d'injonction :

12. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". M. B...demande au juge administratif de faire application de ces dispositions et d'enjoindre au maire de retirer de son dossier la mention du blâme dont il a fait l'objet.

13. Toutefois, aux termes du deuxième alinéa de l'article 89 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Parmi les sanctions du premier groupe, seuls le blâme et l'exclusion temporaire de fonctions sont inscrits au dossier du fonctionnaire. Ils sont effacés automatiquement au bout de trois ans si aucune sanction n'est intervenue pendant cette période ". Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B...aurait fait l'objet d'une autre sanction dans le délai de trois ans ayant couru à compter du blâme qui lui a été infligé le 25 février 2010. Dès lors que ce blâme s'est trouvé effacé au terme de ce délai par le seul effet de la disposition législative précitée, il n'y a pas lieu d'enjoindre au maire d'en retirer la mention du dossier administratif de l'intéressé.

Sur les conclusions indemnitaires :

14. Les décisions litigieuses sont entachées d'une illégalité de nature à engager la responsabilité de la commune de Goyave et ont occasionné à M. B...un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence. Il sera fait une juste appréciation de l'entier préjudice subi par l'intéressé en lui allouant une indemnité d'un montant de 1 000 euros, mise à la charge de la commune de Goyave.

Sur les conclusions de la commune de Goyave tendant à ce que M. B... soit condamné au paiement d'une amende pour recours abusif :

15. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 3 000 euros ". La faculté ouverte par ces dispositions constitue un pouvoir propre du juge. Par suite, les conclusions de la commune de Goyave tendant à ce que M. B...soit condamné au paiement d'une amende en application de ces dispositions sont irrecevables.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Goyave la somme de 5 000 euros à verser à M. B...en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre de l'ensemble de la procédure. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M.B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 6 mai 2014 et le jugement du tribunal administratif de Basse-Terre du 21 juin 2012 sont annulés.

Article 2 : La note de service du 11 janvier 2010 et l'arrêté du 25 février 2010 du maire de la commune de Goyave sont annulés.

Article 3 : La commune de Goyave est condamnée à verser à M. B...une somme de 1 000 euros en réparation du préjudice subi par celui-ci.

Article 4 : La commune de Goyave versera à M. B...une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par M. B...est rejeté.

Article 6 : Les conclusions de la commune de Goyave tendant à l'application des articles L. 761-1 et R. 741-12 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et à la commune de Goyave.


Synthèse
Formation : 3ème ssjs
Numéro d'arrêt : 382014
Date de la décision : 09/03/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 09 mar. 2016, n° 382014
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Romain Victor
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SCP ROUSSEAU, TAPIE ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:382014.20160309
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