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04/03/2016 | FRANCE | N°388354

France | France, Conseil d'État, 1ère ssjs, 04 mars 2016, 388354


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 27 février 2015, 18 septembre 2015 et 8 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des familles en Europe, le Mouvement mondial des mères France, Mme J...B...épouseH..., Mme M...R...épouseC..., Mme K...P...et M. L... D..., Mme N...I...épouseF..., M. et Mme O...et Mme E...A...épouse G...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-1708 du 30 décembre 2014 relatif à la prestation partagée d'é

ducation de l'enfant en tant que :

- le 12° de son article 1er remplace l'artic...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 27 février 2015, 18 septembre 2015 et 8 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des familles en Europe, le Mouvement mondial des mères France, Mme J...B...épouseH..., Mme M...R...épouseC..., Mme K...P...et M. L... D..., Mme N...I...épouseF..., M. et Mme O...et Mme E...A...épouse G...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-1708 du 30 décembre 2014 relatif à la prestation partagée d'éducation de l'enfant en tant que :

- le 12° de son article 1er remplace l'article D. 531-13 du code de la sécurité sociale, en ses troisième et quatrième alinéas ;

- le 14° de son article 1er insère un nouvel article D. 531-14-1 dans le même code ;

- et le a) du 17° de son article 1er remplace le premier alinéa de l'article D. 531-16-1 du même code ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Puigserver, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 531-4 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes : " I.-1. La prestation partagée d'éducation de l'enfant est versée à taux plein à la personne qui choisit de ne plus exercer d'activité professionnelle pour s'occuper d'un enfant ou qui suit une formation professionnelle non rémunérée. (...) / 2. La prestation est attribuée à taux partiel à la personne qui exerce une activité ou poursuit une formation professionnelle rémunérée, à temps partiel. (...) / 3. La prestation partagée d'éducation de l'enfant est versée pendant une durée, fixée par décret, en fonction du rang de l'enfant. A partir du deuxième enfant, cette durée comprend les périodes postérieures à l'accouchement donnant lieu à indemnisation par les assurances maternité des régimes obligatoires de sécurité sociale ou à maintien de traitement en application de statuts ainsi que les périodes indemnisées au titre du congé d'adoption. / Lorsque les deux membres du couple ont tous deux droit à la prestation, assument conjointement la charge de l'enfant au titre duquel la prestation partagée d'éducation de l'enfant est versée et que chacun d'entre eux fait valoir, simultanément ou successivement, son droit à la prestation, la durée totale de versement peut être prolongée jusqu'à ce que l'enfant atteigne un âge limite en fonction de son rang. Le droit à la prestation partagée d'éducation de l'enfant est ouvert jusqu'à ce que l'enfant ait atteint cet âge limite. L'âge limite de l'enfant, le montant de la prestation et les conditions dans lesquelles la durée de la prestation peut être prolongée sont fixés par décret. (...) / VI.- (...) / Par exception au 1 du I et dans des conditions définies par décret, la prestation partagée d'éducation de l'enfant à taux plein peut être attribuée, à un montant majoré et pendant une durée déterminée, à la personne qui choisit de ne pas exercer d'activité professionnelle pendant cette même durée. (...) La période de droit ouverte par cette option peut être partagée entre les deux parents. / (...) / Lorsque les deux membres du couple assument conjointement la charge de l'enfant au titre duquel le montant majoré de la prestation partagée d'éducation de l'enfant prévu au deuxième alinéa du présent VI est versé et que chacun d'entre eux fait valoir, successivement, son droit au montant majoré, la durée totale de versement peut être augmentée jusqu'à ce que l'enfant atteigne un âge limite fixé par décret. Cette demande peut être déposée jusqu'à ce que l'enfant ait atteint cet âge limite. Les conditions dans lesquelles la durée de versement du montant majoré peut être augmentée sont fixées par décret (...) ". Les requérants demandent l'annulation de certaines dispositions des 12°, 14° et 17° de l'article 1er du décret du 30 décembre 2014 relatif à la prestation partagée d'éducation de l'enfant, pris pour l'application de ces dispositions, qui remplacent l'article D. 531-13 du code de la sécurité sociale, créent un nouvel article D. 531-14-1 et modifient l'article D. 531-16-1 du même code pour fixer la durée de versement de la prestation partagée d'éducation de l'enfant dans différentes situations.

Sur la régularité des dispositions attaquées :

2. Il ressort des pièces du dossier que le décret du 30 décembre 2014 a fait l'objet, préalablement à son adoption, d'un avis du conseil central d'administration de la Mutualité sociale agricole et d'un avis du conseil d'administration de la Caisse nationale des allocations familiales, respectivement recueillis sur le fondement du II bis de l'article L. 723-12 du code rural et de la pêche maritime et de l'article L. 200-3 du code de la sécurité sociale. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à invoquer l'absence de ces consultations.

Sur le respect des engagements internationaux de la France :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

4. La circonstance que les dispositions de l'article L. 531-4 du code de la sécurité sociale issues de la loi du 4 août 2014 et les dispositions attaquées du décret du 30 décembre 2014, sans imposer ni exclure aucun choix parental particulier, subordonnent la prolongation des droits aux prestations en cause à la condition qu'elles soient partagées, pour une durée significative, entre les deux parents, afin d'inciter chacun d'entre eux à renoncer à l'exercice de son activité professionnelle et favoriser ainsi un partage plus équilibré des responsabilités parentales, ne saurait être regardée comme constituant une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale, au sens des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette circonstance ne saurait davantage témoigner de ce que le législateur et le pouvoir réglementaire n'auraient pas accordé une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants, au sens du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de ces stipulations doivent être écartés.

5. En second lieu, aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens (...) ". Les dispositions critiquées pouvaient, sans méconnaître ces stipulations, pour inciter chacun des membres du couple à faire valoir son droit à prestation, fixer de manière uniforme les durées initiales et prolongées de versement de la prestation partagée d'éducation de l'enfant, quand bien même existent des inégalités entre couples quant à la faculté de chacun de leurs membres de renoncer à son activité professionnelle afin de bénéficier de la durée maximale de versement de la prestation. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que ces stipulations auraient été méconnues.

Sur le respect du droit interne, notamment des dispositions issues de la loi du 4 août 2014 :

En ce qui concerne la durée totale de la prestation partagée d'éducation de l'enfant :

6. Les dispositions de l'article L. 531-4 du code de la sécurité sociale citées ci-dessus renvoient expressément au décret le soin de fixer les conditions dans lesquelles la durée de versement de la prestation partagée d'éducation de l'enfant peut être prolongée, et celle de la prestation majorée augmentée, dans l'hypothèse où les deux membres du couple font valoir leur droit à la prestation.

7. Les dispositions attaquées du décret du 30 décembre 2014 prévoient que la durée de versement de la prestation partagée d'éducation de l'enfant est fixée à " vingt-quatre mois pour chacun des membres du couple lorsque le ménage assume la charge d'au moins deux enfants, dans la limite du troisième anniversaire de l'enfant ", qu'en cas de naissances multiples d'au moins trois enfants, la durée de versement de cette prestation " est fixée à quarante-huit mois pour chacun des membres du couple, dans la limite du sixième anniversaire des enfants " et qu'enfin, la durée de versement de la prestation majorée prévue au deuxième alinéa du VI de l'article L. 531-4 " est fixée à huit mois pour chacun des membres du couple, dans la limite du premier anniversaire de l'enfant ".

8. Ces dispositions fixent ainsi des durées de versement de la prestation partagée d'éducation de l'enfant ou de son montant majoré plus longues lorsque les deux membres du couple font valoir leur droit à la prestation. Si les durées de versement ainsi prévues lorsque l'un seulement des membres du couple fait valoir son droit à la prestation sont inférieures à celles qui existaient dans le cadre du dispositif antérieurement en vigueur du complément de libre choix d'activité, il n'en résulte pas qu'elles méconnaîtraient le texte législatif qu'elles ont pour objet de mettre en oeuvre ni qu'elles seraient entachées d'un détournement de pouvoir.

En ce qui concerne la prise en considération des périodes d'indemnisation des congés de maternité, de paternité et d'accueil de l'enfant ou d'adoption :

9. Il résulte des dispositions du premier alinéa du 3 du I de l'article L. 531-4 du code de la sécurité sociale qu'à partir du deuxième enfant, la durée de versement de la prestation " comprend " les périodes postérieures à l'accouchement donnant lieu à indemnisation par les assurances maternité des régimes obligatoires de sécurité sociale ou à maintien de traitement en application de statuts ainsi que les périodes indemnisées au titre du congé d'adoption. Toutefois, il résulte également des II et III de l'article L. 532-2 du même code que la prestation partagée d'éducation de l'enfant, à taux plein ou à taux partiel, n'est pas cumulable avec l'indemnisation des congés de maternité, de paternité et d'accueil de l'enfant ou d'adoption, sauf, pour les bénéficiaires dont le droit à la prestation à taux partiel est déjà en cours, avec les indemnisations perçues au titre de l'activité à temps partiel qu'ils exercent ou ont exercée.

10. Par suite, c'est par une exacte application de ces dispositions combinées que les dispositions attaquées du décret du 30 décembre 2014, qui ne sont susceptibles de s'appliquer qu'à l'ouverture du droit à la prestation au bénéfice de couples assumant la charge d'au moins deux enfants, ont prévu que la durée de versement de celle-ci " est réduite du nombre de mois ayant donné lieu au versement d'une indemnité ou à un maintien de traitement dans les conditions prévues au premier alinéa du 3 du I de l'article L. 351-4 ". Le décret s'étant borné, sur ce point, à expliciter les dispositions législatives, il ne peut être utilement soutenu qu'il méconnaîtrait l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme.

11. Il résulte de tout ce qui précède que l'Union des familles en Europe et les autres requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des dispositions contestées des 12°, 14° et 17° de l'article 1er du décret du 30 décembre 2014. Il n'est, dès lors, pas nécessaire de vérifier l'intérêt à agir de tous les requérants, alors même qu'il est contesté par le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par l'Union des familles en Europe et les autres requérants.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'Union des familles en Europe et des autres requérants est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union des familles en Europe, au Mouvement mondial des mères France, à Mme J...B..., épouseH..., à Mme M...R..., épouseC..., à Mme K...P...et M. L...D..., à Mme N...I..., épouseF..., à M. et MmeO..., à Mme E...A..., épouseG..., au Premier ministre et à la ministre des affaires sociales et de la santé.


Synthèse
Formation : 1ère ssjs
Numéro d'arrêt : 388354
Date de la décision : 04/03/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 mar. 2016, n° 388354
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Frédéric Puigserver
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:388354.20160304
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