La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/02/2016 | FRANCE | N°382644

France | France, Conseil d'État, 1ère - 6ème ssr, 24 février 2016, 382644


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 juillet 2014 et 4 septembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération SUD santé sociaux demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, le I de l'article 1er de l'arrêté du 18 avril 2014 du ministre des affaires sociales et de la santé relatif à l'agrément de certains accords de travail applicables dans les établissements et services du secteur social et médico-social privé à but non lucratif et, d'autre part, l'arr

té du 19 juin 2014 du ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social po...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 juillet 2014 et 4 septembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération SUD santé sociaux demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, le I de l'article 1er de l'arrêté du 18 avril 2014 du ministre des affaires sociales et de la santé relatif à l'agrément de certains accords de travail applicables dans les établissements et services du secteur social et médico-social privé à but non lucratif et, d'autre part, l'arrêté du 19 juin 2014 du ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social portant extension d'un accord professionnel conclu dans le secteur sanitaire, social et médico-social à but non lucratif ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 ;

- la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yannick Faure, auditeur,

- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, avocat de l'Union des fédérations et syndicats nationaux d'employeurs du secteur sanitaire, médico-social et social privé à but non lucratif (UNIFED) ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 5 février 2016, présentée par le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes ;

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 314-6 du code de l'action sociale et des familles : " Les conventions collectives de travail (...) applicables aux salariés des établissements et services sociaux et médico-sociaux à but non lucratif dont les dépenses de fonctionnement sont, en vertu de dispositions législatives ou réglementaires, supportées, en tout ou partie, directement ou indirectement, soit par des personnes morales de droit public, soit par des organismes de sécurité sociale, ne prennent effet qu'après agrément donné par le ministre compétent (...) " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 2261-15 du code du travail : " Les stipulations d'une convention de branche (...) peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective " ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'Union des fédérations et syndicats nationaux d'employeurs du secteur sanitaire, médico-social et social privé à but non lucratif (UNIFED) a conclu le 22 novembre 2013 avec la Fédération nationale des syndicats des services de santé et services sociaux CFDT, la CFTC santé et sociaux et la Fédération française de la santé, de la médecine et de l'action sociale CFE-CGC un accord de branche relatif au travail à temps partiel ; que cet accord a été agréé, en application de l'article L. 314-6 du code de l'action sociale et des familles, par arrêté du 18 avril 2014 du ministre des affaires sociales et de la santé, puis étendu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 2261-15 du code du travail, par arrêté du 19 juin 2014 du ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social ; que la Fédération SUD santé sociaux demande l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, de l'arrêté du 18 avril 2014 en tant qu'il agrée cet accord et, d'autre part, de l'arrêté du 19 juin 2014 ;

3. Considérant qu'existe un lien de connexité entre des conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'un arrêté agréant une convention collective et des conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'un arrêté étendant cette même convention, lequel présente un caractère réglementaire ; que le Conseil d'Etat est, par suite, compétent, en vertu des dispositions de l'article R. 341-1 du code de justice administrative, pour connaître, en premier et dernier ressort, de l'ensemble des conclusions de la requête de la Fédération SUD santé sociaux ;

4. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions du III de l'article 11 de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail que, jusqu'à la première détermination des organisations syndicales de salariés reconnues représentatives au niveau d'une branche professionnelle conformément aux critères posés par l'article L. 2122-5 du code du travail, sont présumés représentatifs à ce niveau, d'une part, les syndicats affiliés aux organisations syndicales de salariés présumées représentatives au niveau national et interprofessionnel à la date de publication de cette loi ou dont la représentativité est fondée sur les critères mentionnés à l'article L. 2121-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à cette même loi, et, d'autre part, les organisations syndicales de salariés déjà représentatives au niveau de la branche à cette même date ; que, par ailleurs, en vertu du I de l'article 12 de cette même loi, jusqu'à cette échéance, la validité d'un accord de branche est, en l'absence de l'accord étendu mentionné par l'article L. 2232-6 du même code, dans sa rédaction antérieure à cette même loi, subordonnée au respect des conditions posées par l'article L. 2232-7 du code du travail, dans sa rédaction également antérieure à cette même loi ; qu'aux termes de l'article L. 2232-7 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à cette même loi : " (...) la validité d'une convention de branche ou d'un accord professionnel est soumise à l'absence d'opposition de la majorité des organisations syndicales de salariés représentatives dans le champ d'application de la convention ou de l'accord " ; que si le I de l'article 11 de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail a prévu que la première mesure de l'audience au niveau des branches professionnelles serait réalisée au plus tard cinq ans après la publication de cette loi, il résulte toutefois des dispositions citées ci-dessus du III du même article et du I de l'article 12 de cette loi que le législateur a entendu subordonner l'entrée en vigueur, dans chaque branche, du régime nouveau qu'il instaurait à l'intervention de l'arrêté du ministre chargé du travail déterminant, sur le fondement des dispositions de l'article L. 2122-11 du code du travail et selon les nouveaux critères posés par l'article L. 2122-5 du même code, la liste des organisations syndicales de salariés représentatives au niveau de cette branche ;

5. Considérant que l'accord du 22 novembre 2013 relatif au travail à temps partiel se donne pour champ d'application la branche professionnelle délimitée par l'accord du 18 février 2005 relatif au champ d'application des accords conclus dans la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif ; qu'il est constant que, à la date de signature de l'accord du 22 novembre 2013, la première détermination des organisations syndicales de salariés reconnues représentatives au niveau de cette branche n'était pas intervenue, en l'absence de l'arrêté y procédant sur le fondement de l'article L. 2122-11 du code du travail ; que si la fédération requérante soutient que plusieurs arrêtés avaient, à cette même date et sur le même fondement, d'ores et déjà procédé à la première détermination des organisations syndicales de salariés reconnues représentatives dans le champ de certaines conventions collectives, lui-même inclus dans le champ d'application de l'accord du 22 novembre 2013, cette circonstance était sans incidence pour l'application des dispositions précitées du III de l'article 11 de la loi du 20 août 2008 à la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif ; que la validité de ce même accord était, dès lors, subordonnée à l'absence d'opposition de la majorité des organisations syndicales représentatives dans le champ d'application de l'accord ; qu'à supposer même que la fédération requérante constituait à la date de signature de l'accord, ainsi qu'elle le soutient, une organisation syndicale de salariés représentative dans le champ de celui-ci en application des critères mentionnés à l'article L. 2121-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi du 20 août 2008, il ne ressort pas des pièces du dossier que cet accord aurait donné lieu à l'opposition d'une majorité de ces organisations syndicales ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les ministres auteurs des arrêtés attaqués auraient agréé puis étendu un accord ayant fait l'objet d'une telle opposition, qui ne soulève pas de contestation sérieuse, doit être écarté ;

6. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 2261-27 du code du travail : " Quand l'avis motivé favorable de la Commission nationale de la négociation collective a été émis sans opposition écrite et motivée soit de deux organisations d'employeurs, soit de deux organisations de salariés représentées à cette commission, le ministre chargé du travail peut étendre par arrêté une convention ou un accord ou leurs avenants ou annexes : / 1° Lorsque le texte n'a pas été signé par la totalité des organisations les plus représentatives intéressées ; / 2° Lorsque la convention ne comporte pas toutes les clauses obligatoires énumérées à l'article L. 2261-22 ; / 3° Lorsque la convention ne couvre pas l'ensemble des catégories professionnelles de la branche, mais seulement une ou plusieurs d'entre elles. / En cas d'opposition dans les conditions prévues au premier alinéa, le ministre chargé du travail peut consulter à nouveau la commission sur la base d'un rapport précisant la portée des dispositions en cause ainsi que les conséquences d'une éventuelle extension. / Le ministre chargé du travail peut décider l'extension, au vu du nouvel avis émis par la commission. Cette décision est motivée " ; qu'il résulte des dispositions de l'article R. 2272-2 du même code que l'organisation syndicale requérante n'est pas au nombre des organisations de salariés représentées à la Commission nationale de la négociation collective ; que, par suite, le ministre a légalement pu procéder à l'extension de l'accord au vu d'un nouvel avis émis par cette commission faisant suite à l'opposition de deux syndicats de salariés qui y étaient représentés, sans être tenu de prendre en considération dans la motivation de sa décision les critiques formulées au sujet de l'accord par l'organisation syndicale requérante ;

7. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'article L. 2261-19 du code du travail, dans sa rédaction alors en vigueur, que, pour qu'une convention de branche ou un accord professionnel puisse être étendu, les représentants de l'ensemble des organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives dans le champ d'application considéré doivent avoir été invités à la négociation collective ; qu'à supposer même que la fédération requérante constitue, à la date de signature de l'accord, au regard des critères mentionnés à l'article L. 2121-1 du même code dans sa rédaction antérieure à la loi du 20 août 2008, une organisation syndicale de salariés représentative dans le champ de celui-ci, il ressort des pièces du dossier, et notamment des compte-rendus des séances de la commission paritaire de branche des 20 septembre, 15 novembre et 22 novembre 2013 au cours desquelles a été négocié l'accord litigieux, qu'elle a été invitée à cette négociation et qu'elle y a constamment fait part de son opposition à l'accord ; que, dès lors, elle ne saurait soutenir que l'accord ne pouvait être légalement étendu ni, en tout état de cause, agréé au motif qu'elle n'aurait pas été invitée à le signer ;

8. Considérant, en dernier lieu, que l'article L. 3123-14 du code du travail prévoit que le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit qui doit mentionner, sauf dans les cas que cet article énumère, " la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois " ; que l'article L. 3123-14-1 du même code, issu de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, fixe à vingt-quatre heures par semaine, en principe, la durée minimale de travail du salarié à temps partiel ; qu'aux termes de l'article L. 3123-14-3 du même code : " Une convention ou un accord de branche étendu ne peut fixer une durée de travail inférieure à la durée mentionnée à l'article L. 3123-14-1 que s'il comporte des garanties quant à la mise en oeuvre d'horaires réguliers ou permettant au salarié de cumuler plusieurs activités afin d'atteindre une durée globale d'activité correspondant à un temps plein ou au moins égale à la durée mentionnée au même article " ; qu'aux termes de l'article L. 3123-14-4 du même code : " Dans les cas prévus aux articles L. 3123-14-2 et L. 3123-14-3, il ne peut être dérogé à la durée minimale de travail mentionnée à l'article L. 3123-14-1 qu'à la condition de regrouper les horaires de travail du salarié sur des journées ou des demi-journées régulières ou complètes. Un accord de branche étendu ou d'entreprise peut déterminer les modalités selon lesquelles s'opère ce regroupement " ;

9. Considérant qu'en application de ces dispositions, l'article 2.3 de l'accord litigieux stipule, d'une part, que les salariés dont la durée minimale de travail déterminée par l'accord est inférieure à la durée mentionnée à l'article L. 3123-14-1 du même code bénéficient d'horaires de travail réguliers leur permettant de cumuler plusieurs activités à temps partiel afin d'atteindre une durée globale d'activité égale à un temps complet ou au moins égale à la durée minimale d'activité prévue par la loi et, d'autre part, qu'il revient à l'entreprise d'organiser la planification du temps de travail de ces salariés en journées complètes ou demi-journées, selon une répartition qui doit être prévue par le contrat de travail de ces salariés ou par un avenant à celui-ci ; que la fédération requérante soutient que ces stipulations, se bornant à réitérer des obligations posées par le législateur, ne traduisent pas l'existence de garanties spécifiques quant à la mise en oeuvre d'horaires réguliers ou permettant au salarié de cumuler plusieurs activités et, dès lors, ne satisfont pas aux conditions prévues par l'article L. 3123-14-3 du même code ; que la fédération requérante doit ainsi être regardée comme contestant la légalité des arrêtés agréant et étendant l'accord par un moyen mettant en cause la validité de cet accord ;

10. Considérant que lorsque, à l'occasion d'un litige relatif à un arrêté prononçant l'extension ou l'agrément d'une convention ou d'un accord collectif de travail, qui relève de la compétence de la juridiction administrative, une contestation sérieuse s'élève sur la validité de cette convention ou de cet accord, il appartient au juge saisi du litige de surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la question préjudicielle que présente à juger cette contestation, sauf s'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal ou si elle met en cause la conformité de l'accord litigieux au droit de l'Union européenne ; que la question de savoir si les stipulations contestées, notamment en ce qu'elles précisent que la répartition du temps de travail en journées complètes ou demi-journées doit être prévue par le contrat de travail ou par un avenant à celui-ci, sont suffisantes pour caractériser l'existence de garanties quant à la mise en oeuvre d'horaires réguliers ou permettant au salarié de cumuler plusieurs activités, qui commande la solution du litige soumis au Conseil d'Etat, soulève une contestation sérieuse ; qu'aucune jurisprudence établie du juge judiciaire n'est de nature à permettre de la trancher ; qu'il y a lieu, dès lors, pour le Conseil d'Etat, de surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur cette question préjudicielle ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête de la Fédération SUD santé sociaux jusqu'à ce que ce que le tribunal de grande instance de Paris se soit prononcé sur le point de savoir si l'accord professionnel du 22 novembre 2013 comporte, au sens de l'article L. 3123-14-3 du code du travail, des garanties quant à la mise en oeuvre d'horaires réguliers ou permettant au salarié de cumuler plusieurs activités.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération SUD santé sociaux, à l'Union des fédérations et syndicats nationaux d'employeurs du secteur sanitaire, médico-social et social privé à but non lucratif (UNIFED), à la ministre des affaires sociales et de la santé, à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et au président du tribunal de grande instance de Paris.

Copie en sera adressée à la Fédération nationale des syndicats des services de santé et services sociaux CFDT, à la CFTC santé et sociaux et à la Fédération française de la santé, de la médecine et de l'action sociale CFE-CGC.


Synthèse
Formation : 1ère - 6ème ssr
Numéro d'arrêt : 382644
Date de la décision : 24/02/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 fév. 2016, n° 382644
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Yannick Faure
Rapporteur public ?: M. Jean Lessi
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, TEXIDOR

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:382644.20160224
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award