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17/02/2016 | FRANCE | N°370989

France | France, Conseil d'État, 6ème - 1ère ssr, 17 février 2016, 370989


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 août et 7 novembre 2013 et le 18 novembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des avocats de France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2013-481 du 7 juin 2013 relatif à la rétribution au titre de l'aide juridique de l'avocat assistant l'étranger retenu aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français ;

2°) de mettre

à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 août et 7 novembre 2013 et le 18 novembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des avocats de France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2013-481 du 7 juin 2013 relatif à la rétribution au titre de l'aide juridique de l'avocat assistant l'étranger retenu aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume Déderen, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat du Syndicat des avocats de France ;

1. Considérant que le Conseil national des barreaux justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation du décret attaqué ; qu'ainsi, son intervention est recevable ;

2. Considérant qu'eu égard à ses moyens, la requête du Syndicat des avocats de France doit être regardée comme tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret susvisé du 7 juin 2013 en tant qu'il fixe les montants de la contribution de l'Etat à la rétribution des avocats assistant un étranger retenu aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français ;

Sur la légalité externe du décret attaqué :

3. Considérant, en premier lieu, que lorsqu'un décret doit être pris en Conseil d'Etat, le texte retenu par le Gouvernement ne peut être différent à la fois du projet qu'il avait soumis au Conseil d'Etat et du texte adopté par ce dernier ; qu'il ressort des pièces produites par le Premier ministre et soumises au débat contradictoire que les dispositions attaquées du texte publié ne diffèrent pas de celles du texte adopté par le Conseil d'Etat ou du projet qui avait été soumis au Conseil d'Etat par le Gouvernement ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les règles de consultation préalable du Conseil d'Etat auraient été méconnues doit être écarté ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 65 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Il est créé un Conseil national de l'aide juridique chargé de recueillir toutes informations quantitatives et qualitatives sur le fonctionnement de l'aide juridictionnelle et de l'aide à l'accès au droit et de proposer aux pouvoirs publics toutes mesures propres à l'améliorer, de faire aux conseils départementaux de l'accès au droit des suggestions en vue de développer et d'harmoniser les actions menées localement, d'établir chaque année un rapport sur l'activité d'aide juridique, au vu des rapports des conseils départementaux sur l'aide juridictionnelle et sur l'aide à l'accès au droit dans leur ressort. (...) / Les études, rapports et délibérations du Conseil national de l'aide juridique doivent tenir compte de la situation particulière des Français établis hors de France en matière d'aide juridictionnelle et d'accès au droit " ; qu'aux termes de l'article 133 du décret du 19 décembre 1991 portant application de cette loi, le Conseil national de l'aide juridique " est consulté sur les projets de loi et de décret relatifs à l'aide juridictionnelle (...) " ; que, contrairement à ce qui est soutenu, il ressort des pièces du dossier que le Conseil national de l'aide juridique s'est effectivement prononcé lors de sa séance du 23 janvier 2013 sur l'ensemble des questions posées par les dispositions du décret attaqué ; que le moyen tiré de l'irrégularité de l'avis émis par ce conseil ne peut, par suite, qu'être écarté ;

Sur la légalité interne du décret attaqué :

5. Considérant, en premier lieu, d'une part, que l'article 2 de la loi du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées a inséré dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile un article L. 611-1-1, qui définit la procédure de retenue d'un étranger aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français qui peut être mise en oeuvre si, à l'issue d'un contrôle effectué en application de l'article L. 611-1 du même code, des articles 78-1, 78-2, 78-2-1 et 78-2-2 du code de procédure pénale ou de l'article 67 quater du code des douanes, il apparaît qu'un étranger n'est pas en mesure de justifier de son droit de circuler ou de séjourner en France ; que l'article 6 de cette même loi a modifié l'article 64-1 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique afin de mentionner la retenue pour vérification du droit au séjour définie par l'article L. 611-1-1 précité, parmi les procédures pour lesquelles l'aide juridique est prévue ;

6. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 27 de la loi du 10 juillet 1991 mentionnée ci-dessus : " L'avocat qui prête son concours au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle perçoit une rétribution. / L'Etat affecte annuellement à chaque barreau une dotation représentant sa part contributive aux missions d'aide juridictionnelle accomplies par les avocats du barreau. / Le montant de cette dotation résulte, d'une part, du nombre de missions d'aide juridictionnelle accomplies par les avocats du barreau et, d'autre part, du produit d'un coefficient par type de procédure et d'une unité de valeur de référence. / (...) / La loi de finances détermine annuellement l'unité de valeur mentionnée au troisième alinéa du présent article " ; que le décret attaqué a apporté plusieurs modifications au décret du 19 décembre 1991 portant application de cette loi ; qu'il a notamment ajouté à l'article 132-2 de ce dernier un alinéa fixant les montants de la contribution de l'Etat à la rétribution des avocats assistant un étranger retenu aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français, soit 61 euros hors taxes pour l'entretien mentionné à l'article L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lorsque l'intervention de l'avocat se limite à cet entretien au début de la retenue pour vérification, et 150 euros hors taxes pour l'entretien au début de la retenue et l'assistance de l'étranger retenu au cours de ses auditions ;

7. Considérant, d'une part, que le décret attaqué a été pris pour l'application de l'article 64-1 de la loi du 10 juillet 1991, tel que modifié par l'article 6 de la loi du 31 décembre 2012, mentionnées ci-dessus, et non pas pour l'application de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, auquel renvoie l'article L. 611-1-1 du même code, dans sa rédaction issue de l'article 2 de cette dernière loi, d'autre part, que le décret ne comporte aucune disposition relative à la procédure elle-même, prévue à cet article L. 611-1-1 ; qu'il suit de là que la requête ne peut utilement invoquer, à l'encontre du décret attaqué, la contrariété de l'article L. 611-1 précité avec les dispositions du deuxième paragraphe de l'article 67 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, des articles 20 et 21 du règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes, des articles 3, 5 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

8. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte des dispositions de l'article 27 de la loi du 10 juillet 1991 mentionnée ci-dessus que la contribution versée aux avocats prêtant leur concours aux bénéficiaires de l'aide juridictionnelle n'implique pas que cette contribution couvre l'intégralité des frais et honoraires correspondants et que le législateur a ainsi entendu laisser à la charge des auxiliaires de justice une part du financement de l'aide juridictionnelle ; que le législateur, afin de garantir l'objectif d'intérêt général d'accès à la justice des plus démunis, a prévu un mécanisme de rétribution forfaitaire, qui laisse à la charge des avocats une partie des coûts liés à la mise en oeuvre de l'aide juridictionnelle ; que cette participation des avocats à la prise en charge de l'aide juridictionnelle trouve sa contrepartie dans le régime de représentation dont ils disposent devant les tribunaux, qui, sauf exceptions définies par la loi, leur confère un monopole de représentation ;

9. Considérant que le décret attaqué est contesté en tant qu'il a modifié l'article 132-2 du décret du 19 décembre 1991 mentionné ci-dessus pour prévoir la contribution de l'Etat à la rétribution des avocats assistant un étranger retenu aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français selon les montants rappelés au point 6 ; qu'il est notamment soutenu qu'une telle rétribution serait insuffisante au regard des montants qui sont retenus pour l'intervention de l'avocat au cours de la garde à vue, et eu égard à la technicité et aux exigences de disponibilité pesant sur l'avocat qui intervient lors d'une procédure de retenue pour vérification ; que, toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que, compte tenu de l'objet et des caractéristiques de la procédure de retenue pour vérification définie par l'article L. 611-1-1 précité, et notamment de sa durée limitée, le décret aurait porté une appréciation entachée d'erreur manifeste sur la charge de travail qu'implique pour les avocats l'assistance des étrangers retenus ; qu'il suit de là que, pour les mêmes motifs, les moyens tirés de ce que les dispositions contestées du décret attaqué auraient porté atteinte aux dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et aux stipulations des articles 6, 13 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doivent être écartés ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le Syndicat des avocats de France n'est pas fondé à demander l'annulation des dispositions qu'il conteste ; que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention du Conseil national des barreaux est admise.

Article 2 : La requête du Syndicat des avocats de France est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au Syndicat des avocats de France, au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 6ème - 1ère ssr
Numéro d'arrêt : 370989
Date de la décision : 17/02/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 fév. 2016, n° 370989
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Guillaume Déderen
Rapporteur public ?: Mme Suzanne von Coester
Avocat(s) : SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:370989.20160217
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