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02/12/2015 | FRANCE | N°371944

France | France, Conseil d'État, 6ème / 1ère ssr, 02 décembre 2015, 371944


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des conditions de sa détention à la maison d'arrêt de Caen. Par un jugement n° 1201718 du 28 mai 2013, le tribunal administratif a condamné l'Etat à lui verser la somme de 500 euros et a mis à la charge de M. A...les frais du constat ordonné par le juge des référés du même tribunal par une ordonnance n° 1001176 du 16 juin 2010, s'élevant à 773,57 euros.

Par un pourvoi sommaire et un

mémoire complémentaire, enregistrés les 5 septembre et 6 décembre 2013 au secr...

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des conditions de sa détention à la maison d'arrêt de Caen. Par un jugement n° 1201718 du 28 mai 2013, le tribunal administratif a condamné l'Etat à lui verser la somme de 500 euros et a mis à la charge de M. A...les frais du constat ordonné par le juge des référés du même tribunal par une ordonnance n° 1001176 du 16 juin 2010, s'élevant à 773,57 euros.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 septembre et 6 décembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à la SCP Gaschignard, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Clémence Olsina, auditeur,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de M. A...;

1. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; qu'aux termes de l'article D. 189 du code de procédure pénale, alors applicable : " à l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale " ; qu'aux termes de l'article D. 349 du même code : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques " ; qu'aux termes des articles D. 350 et D. 351 du même code, d'une part, " les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération " et, d'autre part, " dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d'une façon convenable et leur nombre proportionné à l'effectif des détenus " ;

2. Considérant qu'en raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et des motifs susceptibles de justifier ces manquements eu égard aux exigences qu'impliquent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires, la prévention de la récidive et la protection de l'intérêt des victimes ; que seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et à la lumière des dispositions du code de procédure pénale, notamment des articles D. 349 à D. 351, révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique ; qu'une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime ;

Sur le pourvoi incident :

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A...a été incarcéré à ...; que, pour engager la responsabilité pour faute de l'Etat à raison des conditions indignes de sa détention dans cet établissement, le tribunal administratif de Caen a relevé que, pendant quatre mois, il avait occupé une cellule d'environ 16 m² en compagnie de trois ou quatre codétenus et se caractérisant par une luminosité moyenne, un volume d'air insuffisant et un mauvais état général des sols, murs, lavabos et plafonds ; que la responsabilité pour faute de l'Etat n'a été engagée que dans cette seule mesure, le jugement relevant également que, pendant vingt mois, M. A...avait été détenu dans des conditions ne caractérisant pas une atteinte à la dignité humaine, dans des cellules d'environ 10 m² et en bon état, qu'il occupait seul ou avec un codétenu ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 2 que l'atteinte à la dignité humaine, caractérisée par le jugement attaqué, était de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral indemnisable sans qu'il appartienne à M. A...d'en établir l'existence ; qu'ainsi, le garde des sceaux, ministre de la justice, n'est pas fondé à soutenir que le tribunal aurait méconnu l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et l'article D. 189 du code de procédure pénale et ainsi commis une erreur de droit ; que, par suite, le ministre n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque ;

Sur le pourvoi principal :

5. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit au point 3 que le jugement attaqué a, compte tenu de l'argumentation dont il était saisi, suffisamment répondu au moyen tiré de ce que les conditions de détention de M. A...à la maison d'arrêt de Caen étaient constitutives d'une atteinte à la dignité humaine, sans que la circonstance qu'il n'ait pas répondu aux arguments, venant au soutien du même chef de préjudice, tirés de la surpopulation des cours de promenade et du défaut d'activité des détenus, soit de nature à entacher son jugement d'une insuffisance de motivation ;

6. Considérant, en deuxième lieu, qu'en accordant à M. A...une somme de 500 euros en réparation du préjudice subi à raison des seules conditions de sa détention constitutives d'une atteinte à la dignité humaine, rappelées au point 3, le tribunal administratif de Caen a porté sur les faits qui lui étaient soumis une appréciation souveraine qui, en l'absence de dénaturation, ne saurait être discutée devant le juge de cassation ;

7. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article R. 621-13 du code de justice administrative, applicable à la procédure prévue à l'article R. 531-1 du même code en vertu de son article R. 531-2 : " Lorsque l'expertise a été ordonnée sur le fondement du titre III du livre V, le président du tribunal ou de la cour, après consultation, le cas échéant, du magistrat délégué, ou, au Conseil d'Etat, le président de la section du contentieux en fixe les frais et honoraires par une ordonnance prise conformément aux dispositions des articles R. 621-11 et R. 761-4. Cette ordonnance désigne la ou les parties qui assumeront la charge de ces frais et honoraires. Elle est exécutoire dès son prononcé, et peut être recouvrée contre les personnes privées ou publiques par les voies de droit commun. Elle peut faire l'objet, dans le délai d'un mois à compter de sa notification, du recours prévu à l'article R. 761-5. / Dans le cas où les frais d'expertise mentionnés à l'alinéa précédent sont compris dans les dépens d'une instance principale, la formation de jugement statuant sur cette instance peut décider que la charge définitive de ces frais incombe à une partie autre que celle qui a été désignée par l'ordonnance mentionnée à l'alinéa précédent ou par le jugement rendu sur un recours dirigé contre cette ordonnance (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 761-1 du même code : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens " ;

8. Considérant que lorsqu'une expertise ou un constat effectué en application d'une décision du juge des référés se rattache à la détermination d'un préjudice dont l'indemnisation est demandée dans le cadre d'un recours au fond, les frais et honoraires y afférents sont compris dans les dépens de cette instance principale ; que si, en vertu de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, ces frais sont en principe mis à la charge de la partie perdante, il est loisible à la formation de jugement statuant sur cette instance, au regard des circonstances particulières de l'affaire, de les mettre à la charge d'une autre partie ou de les partager entre les parties ; qu'il en va notamment ainsi lorsque la décision du juge des référés ayant ordonné l'expertise a été annulée ou déclarée non avenue ;

9. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une ordonnance du 16 juin 2010, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a désigné un expert pour établir le constat de l'état des cellules occupées par M. A...à la maison d'arrêt de Caen ; que, par une ordonnance du vice-président du même tribunal chargé des expertises, les frais et honoraires du constat, déposé au greffe du tribunal le 6 août 2010, ont été liquidés et taxés à la somme de 773,57 euros et le Trésor public a été déclaré débiteur de l'avance au titre de l'aide juridictionnelle ; qu'à la suite de la tierce opposition formée par le garde des sceaux, ministre de la justice, l'ordonnance du juge des référés a été déclarée non avenue, au motif que la mesure prononcée ne présentait pas un caractère utile, par un arrêt du 27 janvier 2011 de la cour administrative de Caen, à l'encontre duquel M. A...a introduit un pourvoi en cassation rejeté par une décision du Conseil d'Etat du 26 janvier 2012 ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point précédent que, contrairement à ce qui est soutenu, le tribunal a pu, sans commettre d'erreur de droit ni entacher son jugement d'une contradiction de motifs, statuer sur la charge définitive de ces frais dans le cadre du recours indemnitaire introduit par M. A...en décidant, compte tenu de l'annulation de la mesure d'expertise par la cour administrative d'appel, qu'il y avait lieu de mettre ces frais à la charge du requérant ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de M. A...est rejeté.

Article 2 : Le pourvoi incident de la garde des sceaux, ministre de la justice, est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 6ème / 1ère ssr
Numéro d'arrêt : 371944
Date de la décision : 02/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 02 déc. 2015, n° 371944
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Clémence Olsina
Rapporteur public ?: Mme Suzanne von Coester
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:371944.20151202
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