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27/11/2015 | FRANCE | N°377645

France | France, Conseil d'État, 5ème / 4ème ssr, 27 novembre 2015, 377645


Vu la procédure suivante :

Mme D...C...a demandé au tribunal administratif de Cayenne de condamner l'Etat à lui verser la somme de 32 784,25 euros en réparation des préjudices subis du fait du retard mis à lui octroyer le concours de la force publique pour l'exécution du jugement du 7 octobre 2005 du tribunal d'instance de Cayenne ordonnant l'expulsion de Mmes B...et A...d'un appartement situé à Cayenne. Par un jugement n°1201723 du 13 février 2014, le tribunal administratif de Cayenne a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregi

strés les 15 avril et 7 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Con...

Vu la procédure suivante :

Mme D...C...a demandé au tribunal administratif de Cayenne de condamner l'Etat à lui verser la somme de 32 784,25 euros en réparation des préjudices subis du fait du retard mis à lui octroyer le concours de la force publique pour l'exécution du jugement du 7 octobre 2005 du tribunal d'instance de Cayenne ordonnant l'expulsion de Mmes B...et A...d'un appartement situé à Cayenne. Par un jugement n°1201723 du 13 février 2014, le tribunal administratif de Cayenne a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 avril et 7 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le décret n° 98-81 du 11 février 1998 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de Mme C...;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 28 septembre 2006, Mme C...a demandé au préfet de la Guyane de lui accorder le concours de la force publique pour l'exécution d'un jugement du 7 octobre 2005 du tribunal d'instance de Cayenne ordonnant l'expulsion des occupantes d'un appartement dont elle était propriétaire ; que ce concours lui a été implicitement refusé le 28 novembre 2006 ; que le préfet a pris le 21 décembre 2007 une décision accordant à l'intéressée le concours de la force publique, qui n'a toutefois été effectivement mis en oeuvre que le 25 février 2008 ; que l'intéressée ayant recherché la responsabilité de l'Etat, le tribunal administratif de Cayenne a, par un jugement du 13 février 2004 contre lequel elle se pourvoit en cassation, fait droit à une exception de prescription quadriennale opposée par le préfet pour la période antérieure au 1er janvier 2007, jugé que la responsabilité de l'Etat avait pris fin le 21 décembre 2007, enfin, évalué à 10 533 euros le préjudice subi par la propriétaire jusqu'à cette date, mais rejeté la demande d'indemnité au motif que Mme C...avait recouvré sur les occupantes des indemnités d'occupation pour un montant de 12 123, 77 euros ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que la minute du jugement du tribunal administratif de Cayenne du 13 février 2014 comporte la signature du magistrat qui a statué et celle du greffier d'audience, conformément aux prescriptions de l'article R. 741-8 du code de justice administrative ; qu'ainsi le moyen tiré de la méconnaissance de ces prescriptions manque en fait ;

Sur la compétence de l'autorité administrative ayant opposé la prescription quadriennale :

3. Considérant que ni les dispositions de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ni aucun élément tenant à la nature de la prescription ne font obstacle à ce que celle-ci soit opposée par une personne ayant reçu de l'autorité compétente une délégation ou un mandat à cette fin ; qu'un agent auquel l'autorité compétente a donné délégation pour signer les mémoires en défense présentés au nom d'une collectivité publique devant la juridiction administrative doit être regardé comme ayant été également habilité à opposer l'exception de prescription aux conclusions du requérant tendant à ce qu'une condamnation pécuniaire soit prononcée contre cette collectivité ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le mémoire en défense présenté devant le tribunal administratif de Cayenne, signé pour le préfet par le secrétaire général de la préfecture, soulevait une exception tirée de ce que la prescription quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968 était acquise pour la période antérieure au 1er janvier 2007 ; que Mme C...n'ayant contesté ni l'existence ni la publication d'une délégation de signature autorisant le secrétaire général à signer pour le préfet les mémoires en défense devant la juridiction administrative, le tribunal n'était pas tenu d'inviter l'administration à produire cette délégation ; qu'il suit de là que le moyen tiré de ce qu'il aurait entaché son jugement d'erreur de droit ou d'insuffisance de motivation en accueillant l'exception de prescription sans rechercher si elle avait été opposée par une autorité compétente doit être écarté ;

Sur la période de responsabilité de l'Etat :

5. Considérant que si la période de responsabilité de l'Etat au titre d'un refus d'accorder le concours de la force publique pour l'exécution d'un jugement s'achève en principe le jour où l'administration décide d'octroyer ce concours, elle ne prend fin qu'à la date de mise en oeuvre effective du concours lorsque celle-ci intervient plus de quinze jours après la décision, sauf si ce délai est imputable au propriétaire ou à l'huissier ou justifié par des circonstances particulières ;

6. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la décision du 21 décembre 2007 du préfet de Guyane accordant à Mme C... le concours de la force publique n'a été suivie d'effet que le 25 février 2008 ; qu'en jugeant que la responsabilité de l'Etat n'était engagée à l'égard de l'intéressée que jusqu'au 21 décembre 2007, sans avoir recherché si le délai, supérieur à quinze jours, qui s'était écoulé entre la décision d'octroi du concours de la force publique et la mise en oeuvre effective de ce concours était imputable au propriétaire ou à l'huissier, ou justifié par des circonstances particulières, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ;

Sur l'évaluation des préjudices subis par MmeC... :

7. Considérant qu'aux termes de l'article 1256 du code civil : " Lorsque la quittance ne porte aucune imputation, le paiement doit être imputé sur la dette que le débiteur avait pour lors le plus d'intérêt d'acquitter entre celles qui sont pareillement échues ; sinon, sur la dette échue, quoique moins onéreuse que celles qui ne le sont point. / Si les dettes sont d'égale nature, l'imputation se fait sur la plus ancienne ; toutes choses égales, elle se fait proportionnellement " ; qu'en application de ces dispositions, les versements effectués par les occupantes sans titre pendant la période de responsabilité de l'Etat devaient être imputés en priorité sur le montant dont elles étaient redevables au titre de la période antérieure ; qu'en déduisant de l'indemnité due par l'Etat l'intégralité des somme recouvrées par Mme C...sur les occupantes pendant la période de responsabilité, sans tenir compte du montant dont celles-ci étaient redevables envers la propriétaire au début de cette période, le tribunal administratif de Cayenne a commis une erreur de droit ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il statue sur la demande indemnitaire présentée par Mme C...au titre de la période postérieure au 31 décembre 2006 ;

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à MmeC..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : le jugement du 13 février 2014 du tribunal administratif de Cayenne est annulé en tant qu'il statue sur la demande indemnitaire présentée par Mme C...au titre de la période postérieure au 31 décembre 2006.

Article 2 : L'affaire est renvoyée dans la mesure de la cassation prononcée au tribunal administratif de Cayenne.

Article 3 : L'Etat versera à Mme C...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme D... C...et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 5ème / 4ème ssr
Numéro d'arrêt : 377645
Date de la décision : 27/11/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

COMPTABILITÉ PUBLIQUE ET BUDGET - DETTES DES COLLECTIVITÉS PUBLIQUES - PRESCRIPTION QUADRIENNALE - RÉGIME DE LA LOI DU 31 DÉCEMBRE 1968 - COMPÉTENCE POUR OPPOSER LA PRESCRIPTION - FACULTÉ DE FAIRE OPPOSER LA PRESCRIPTION QUADRIENNALE PAR UN MANDATAIRE DE L'AUTORITÉ COMPÉTENTE - EXISTENCE - INCLUSION DE CETTE FACULTÉ DANS LA DÉLÉGATION D'UN AGENT POUR SIGNER LES MÉMOIRES EN DÉFENSE PRÉSENTÉS AU NOM DE LA COLLECTIVITÉ - EXISTENCE [RJ1].

18-04-02-02 Ni les dispositions de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ni aucun élément tenant à la nature de la prescription ne font obstacle à ce que celle-ci soit opposée par une personne ayant reçu de l'autorité compétente une délégation ou un mandat à cette fin. Un agent auquel l'autorité compétente a donné délégation pour signer les mémoires en défense présentés au nom d'une collectivité publique devant la juridiction administrative doit être regardé comme ayant été également habilité à opposer l'exception de prescription aux conclusions du requérant tendant à ce qu'une condamnation pécuniaire soit prononcée contre cette collectivité.

JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES - EXÉCUTION DES JUGEMENTS - CONCOURS DE LA FORCE PUBLIQUE - FIN DE LA PÉRIODE DE RESPONSABILITÉ DE L'ETAT AU TITRE D'UN REFUS D'ACCORDER LE CONCOURS DE LA FORCE PUBLIQUE POUR L'EXÉCUTION D'UN JUGEMENT - PRINCIPE - JOUR OÙ L'ADMINISTRATION DÉCIDE D'OCTROYER CE CONCOURS - EXCEPTION - CAS OÙ LA MISE EN OEUVRE EFFECTIVE DU CONCOURS INTERVIENT PLUS DE QUINZE JOURS APRÈS LA DÉCISION [RJ2].

37-05-01 Si la période de responsabilité de l'Etat au titre d'un refus d'accorder le concours de la force publique pour l'exécution d'un jugement s'achève en principe au jour où l'administration décide d'octroyer ce concours, elle ne prend fin qu'à la date de mise en oeuvre effective du concours lorsque celle-ci intervient plus de quinze jours après la décision, sauf si ce délai est imputable au propriétaire ou à l'huissier ou justifié par des circonstances particulières.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, Section, 5 décembre 2014, Commune de Scionzier, n° 359769, p. 360.,,

[RJ2]

Cf. CE, 27 janvier 2010, OPAC Habitat Marseille Provence, n° 320642, T. pp. 840-973.


Publications
Proposition de citation : CE, 27 nov. 2015, n° 377645
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Gautier-Melleray
Rapporteur public ?: M. Nicolas Polge
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:377645.20151127
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