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02/11/2015 | FRANCE | N°370797

France | France, Conseil d'État, 8ème ssjs, 02 novembre 2015, 370797


Vu la procédure suivante :

M. et Mme A...B...ont demandé au Conseil d'Etat de condamner l'Etat à leur verser une somme d'un montant global de 1 260 862 euros au titre de la perte de revenus liée à la cessation du paiement de la pension de retraite complémentaire qui était versée à M. B... par la société Groupe des assurances nationales au titre de ses fonctions de président du conseil d'administration de la société.

Par une décision n° 321278 du 31 mai 2010, le jugement de la requête de M. et Mme B... a été attribué au tribunal administratif de Paris.

Par un jugement n° 1011569 du 2 décembre 2010, le tribunal administratif de Paris a r...

Vu la procédure suivante :

M. et Mme A...B...ont demandé au Conseil d'Etat de condamner l'Etat à leur verser une somme d'un montant global de 1 260 862 euros au titre de la perte de revenus liée à la cessation du paiement de la pension de retraite complémentaire qui était versée à M. B... par la société Groupe des assurances nationales au titre de ses fonctions de président du conseil d'administration de la société.

Par une décision n° 321278 du 31 mai 2010, le jugement de la requête de M. et Mme B... a été attribué au tribunal administratif de Paris.

Par un jugement n° 1011569 du 2 décembre 2010, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 11PA00625 du 6 juin 2013, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de M. et MmeB..., annulé ce jugement et a condamné l'Etat à leur verser la somme de 340 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 juin 2008, les intérêts échus le 26 juin 2009 étant capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er août et 31 octobre 2013, le ministre de l'économie et des finances demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de M. et Mme B...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des assurances ;

- le code de commerce ;

- la loi du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public ;

- le décret n° 84-302 du 24 avril 1984 ;

- le décret n° 93-234 du 22 février 1993 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Etienne de Lageneste, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. et Mme B...;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 octobre 2015, présentée par M. et MmeB... ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B...a été nommé président du conseil d'administration de la Société centrale du groupe d'entreprises nationales Groupe des assurances nationales (GAN) par décret du 26 juillet 1986 et qu'il a exercé ses fonctions jusqu'en 1994 ; que, par une lettre du 10 janvier 1994, le directeur des ressources humaines de la société GAN Assurances a informé M. B... que, du fait de ses fonctions de président du conseil d'administration, il lui serait fait application d'une lettre du directeur des assurances du ministère de l'économie et des finances du 4 mars 1980 prévoyant que les dirigeants d'entreprises nationales d'assurance bénéficieraient d'une indemnité de départ à la retraite et d'un complément de retraite permettant d'assurer que la retraite du président du conseil d'administration soit égale à 120 % de celle du directeur général adjoint ; que, par un courrier du 28 février 1996, le directeur général adjoint de la société GAN Assurances a confirmé à M. B...qu'il bénéficierait de cette indemnité de départ et du complément de retraite à son départ à la retraite ; que M. B... a bénéficié de l'indemnité de départ et d'un complément de retraite versé par la société GAN Vie après son départ en retraite ; que la société GAN Vie a cessé le versement du complément de retraite en juillet 2000 au motif qu'elle ne pouvait prendre en charge, après sa privatisation en juillet 1998, le complément de retraite prévu par la lettre du directeur des assurances du 4 mars 1980 ; que la société de gestion de garanties et de participations, chargée de gérer l'engagement de garantie de l'Etat dans le cadre de l'opération de privatisation du GAN, a également refusé de prendre en charge ce complément de retraite ; que M. B...a saisi les juridictions judiciaires pour obtenir la continuation des versements du complément de retraite et percevoir les arriérés de pensions qui ont, à l'issue de certaines de ces procédures, continué à lui être verser jusqu'en décembre 2007 ; que la Cour de cassation, statuant sur un pourvoi de la société GAN Vie dans le cadre de ce litige, a jugé, par un arrêt du 6 février 2007, que la rémunération allouée au président d'un conseil d'administration, notamment sous forme de complément de retraite, doit faire l'objet d'une délibération du conseil d'administration sur son montant et ses modalités ; que la cour d'appel de Versailles, dans un arrêt du 28 novembre 2007 rendu sur renvoi de cet arrêt de la Cour de cassation, a rejeté les demandes de M.B... ; que ce dernier a alors recherché la responsabilité de l'Etat ; que, par un arrêt du 6 juin 2013, la cour administrative d'appel de Paris a condamné l'Etat à verser à M. et Mme B...la somme de 340 000 euros en jugeant que M. B...avait été privé, du fait du maintien d'un dispositif illégal, d'une chance sérieuse de se voir attribuer le complément de retraite par le conseil d'administration ; que le ministre des finances et des comptes publics se pourvoit en cassation contre cet arrêt ; que M. et Mme B..., par la voie d'un pourvoi incident, contestent l'arrêt en tant qu'il a jugé que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée du fait de la cessation de l'avantage illégalement accordé, que M. B...avait commis une négligence de nature à exonérer partiellement l'Etat de sa responsabilité et qu'il a limité à 500 000 euros l'évaluation de leur préjudice matériel et à 10 000 euros celle de leur préjudice moral et des troubles dans leurs conditions d'existence ;

Sur le pourvoi du ministre :

2. Considérant que le moyen tiré de ce qu'un mémoire ampliatif ne lui aurait pas été communiqué manque en fait ;

3. Considérant qu'en vertu de l'article 37 de la loi du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public, les entreprises nationales restent soumises aux dispositions législatives qui leur sont applicables en tant qu'elles ne sont pas contraires à cette loi ; qu'aux termes de l'article 110 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, codifié à L. 225-47 du code de commerce : " Le conseil d'administration élit parmi ses membres, un président qui est, à peine de nullité de la nomination, une personne physique. Il détermine sa rémunération. / (...) " ; que selon l'article R. 322-22 du code des assurances, créé par le décret du 16 juillet 1976 relatif à la codification des textes réglementaires concernant les assurances, applicable aux sociétés nationales d'assurances : " La rémunération des présidents, présidents-directeurs généraux, vice-présidents, directeurs généraux et administrateurs est déterminée par le ministre de l'économie et des finances " ; que ces dispositions ont été abrogées par l'article 6 du décret du 24 avril 1984 ; que l'article 2 de ce même décret a instauré les dispositions suivantes : " La rémunération des présidents des conseils d'administration des sociétés centrales des groupes d'entreprises nationales d'assurance (...) est déterminée par le ministre de l'économie, des finances et du budget ", codifiées à l'article R. 322-17 du code des assurances ; que ces dispositions méconnaissaient les dispositions combinées des articles 37 de la loi du 26 juillet 1983 et de l'article 110 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales devenu article L. 225-47 du code de commerce qui imposent que cette rémunération soit déterminée par le conseil d'administration ; que cet article R. 322-17 du code des assurances a été abrogé par un décret du 22 février 1993 ; que l'application de la lettre du directeur des assurances du 4 mars 1980 prévoyant l'attribution d'un complément de retraite, qui constitue un élément de rémunération, à un président d'un conseil d'administration des sociétés centrales des groupes d'entreprises nationales d'assurance, que ce soit sur le fondement de l'article R. 322-17 du code des assurances avant son abrogation par le décret du 22 février 1993 ou sans base réglementaire après cette abrogation, méconnaissait également les dispositions combinées des articles 37 de la loi du 26 juillet 1983 et de l'article 110 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales ;

4. Considérant qu'en estimant que l'abrogation de l'article R. 322-17 du code des assurances n'a pas mis fin à l'habitude de conférer un avantage de complément de retraite aux présidents des entreprises publiques partant à la retraite, en se fondant sur les courriers du directeur des ressources humaines de la société Gan Assurances de 1994 et du directeur général adjoint de la société Gan Assurances de 1996 mentionnés au point 1, et alors qu'il ressortait des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la directrice du budget par un courrier du 20 janvier 1994, qui notifiait à M. B...sa rémunération au titre de l'année 1993, l'informait du maintien des éléments de sa rémunération, tels que fixés par l'Etat, la cour, par un arrêt suffisamment motivé, a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation ;

5. Considérant qu'en estimant que M. B...avait été privé d'une chance sérieuse de se voir attribuer légalement un complément de retraite par le conseil d'administration, compte tenu de la composition de ce conseil d'administration, dont il a relevé que sur les dix-huit membres le composant, l'Etat disposait de cinq représentants propres et désignait cinq des six personnalités qualifiées, la cour a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation et n'a pas, en conséquence, commis d'erreur de droit ;

6. Considérant qu'en estimant qu'il y avait lieu de fixer aux deux tiers la responsabilité de l'Etat qui avait laissé subsister des dispositions illégales, en dépit de la faute commise par M. B...en ne sollicitant pas son conseil d'administration pour que le complément de retraite lui soit légalement attribué, la cour a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation ;

7. Considérant qu'en évaluant à 500 000 euros le préjudice indemnisable correspondant à la chance que M. B...aurait perdue de se voir attribuer un complément de retraite que le conseil d'administration aurait pu lui accorder, s'il avait été saisi régulièrement, la cour, par un arrêt suffisamment motivé, a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation ;

Sur le pourvoi incident de M. et MmeB... :

8. Considérant qu'en jugeant que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée du fait de la cessation d'une rémunération accordée illégalement et qu'elle ne saurait en conséquence être regardée comme en lien avec les préjudices allégués résultant de la perte de revenus imputable à l'arrêt du versement de la pension, par un arrêt dont il n'est pas soutenu qu'il serait entaché d'une omission à statuer en ce qui concerne l'existence d'une promesse non tenue, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ;

9. Considérant que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'en dépit du fait que l'abrogation de l'article R. 322-17 du code des assurances n'avait pas mis fin à l'habitude de conférer un avantage de complément de retraite aux présidents des entreprises publiques partant à la retraite, M. B...ne pouvait ignorer, compte tenu de ses fonctions de président de la société GAN, que seul le conseil d'administration était habilité à décider du principe et du montant de son complément de retraite après l'abrogation de l'article R. 322-17 du code des assurances, et que, par suite, il lui incombait de faire inscrire à l'ordre du jour de ce conseil d'administration le vote d'un complément de retraite à son profit ;

10. Considérant que, comme il a été dit au point 7, la cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis et a suffisamment motivé son arrêt en évaluant à 500 000 euros le préjudice matériel subi par M. B...qu'elle a, ainsi qu'il a été dit, limité à la seule perte de chance, en prenant notamment en compte le fait que le préjudice n'était constitué qu'à compter du 1er janvier 2008, date à laquelle l'intéressé n'avait plus perçu de complément de retraite, et en refusant de lui accorder la totalité des sommes qu'il demandait, lesquelles correspondaient aux montants des pensions de retraite complémentaires auxquels il estimait avoir droit à compter de cette date, calculés sur le fondement d'une évaluation actuarielle ; qu'elle n'a, par suite, pas méconnu le principe de réparation intégrale du préjudice ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi du ministre des finances et des comptes publics et le pourvoi incident de M. et Mme B...doivent être rejetés ;

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. et Mme B... qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. et MmeB..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi du ministre des finances et des comptes publics et le pourvoi incident de M. et Mme B...sont rejetés.

Article 2 : L'Etat versera à M. et Mme B...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics et à M. et Mme A...B....


Synthèse
Formation : 8ème ssjs
Numéro d'arrêt : 370797
Date de la décision : 02/11/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 02 nov. 2015, n° 370797
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Etienne de Lageneste
Rapporteur public ?: Mme Nathalie Escaut
Avocat(s) : SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:370797.20151102
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