Vu la procédure suivante :
Par un arrêt n° 12NT02190 du 27 juin 2014, la cour administrative d'appel de Nantes, avant de statuer sur l'appel de l'association Nonant Environnement tendant, d'une part, à l'annulation de l'ordonnance n° 1102136 du 5 juin 2012 du président de la troisième chambre du tribunal administratif de Caen rejetant la tierce opposition qu'elle a formée contre le jugement n° 1000405 du 18 février 2011, d'autre part, à ce que ce jugement soit déclaré non avenu et au rejet de la demande présentée par la société Guy Dauphin Environnement devant le tribunal administratif de Caen, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113 1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cet appel au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) Lorsque le juge de plein contentieux annule le refus opposé par l'autorité administrative à une demande d'autorisation d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement et, statuant dans le cadre des pouvoirs qui lui sont dévolus par l'article L. 514-6 du code de l'environnement, autorise, par une décision juridictionnelle, une telle installation en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts visés à l'article L. 511-1 de ce code, la recevabilité d'un tiers, telle une association locale de défense de l'environnement, à former tierce opposition contre ce jugement, est-elle subordonnée, eu égard à la particularité de la situation ainsi créée, à l'impératif de sécurité juridique et au droit au recours, à des conditions spécifiques pour l'application de l'article R. 832-1 du code de justice administrative en ce qu'il exige que la décision juridictionnelle préjudicie à ses droits '
2°) En cas de réponse positive à la première question, la réponse est-elle différente dans le cas où le juge de plein contentieux se borne à délivrer l'autorisation et renvoie à l'autorité administrative le soin de prendre les prescriptions spéciales que cette autorisation commande alors que, dans cette hypothèse, si une telle autorisation ne devient effective qu'avec l'édiction de ces prescriptions, la contestation éventuelle par ce tiers de la décision prise par l'autorité administrative ne peut porter que sur les prescriptions ainsi édictées et non sur le principe de l'autorisation '
3°) Alors que la tierce opposition n'est pas soumise à une condition de délai en l'absence de notification au tiers du jugement contre lequel il exerce cette voie de recours, doit-il en aller de même lorsqu'il est justifié devant le juge, saisi de la tierce opposition, que l'autorisation délivrée par cette décision juridictionnelle a fait l'objet de l'accomplissement de mesures de publicité appropriées et regardées comme suffisantes pour faire courir vis-à-vis des tiers un délai de recours, que ces mesures de publicité aient été ou non prescrites par le jugement '
4°) Au cas où le recours de ce tiers serait regardé comme recevable, y a-t-il lieu d'admettre que tout moyen peut être invoqué ou d'estimer que les moyens pouvant utilement être soulevés doivent être en rapport direct avec les droits dont il se prévaut et auxquels la décision juridictionnelle préjudicie '
Des observations, enregistrées le 5 septembre 2014, ont été présentées pour la société Guy Dauphin Environnement.
Des observations, enregistrées le 19 septembre 2014, ont été présentées pour l'association Nonant Environnement.
Des observations, enregistrées le 22 avril 2015, ont été présentées par le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie Roussel, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;
- La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de l'association Nonant Environnement et à Me Balat, avocat de la société Guy Dauphin Environnement ;
REND L'AVIS SUIVANT :
1. Aux termes des dispositions du premier alinéa de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ". Aux termes de l'article L. 512-1 de ce code : " Sont soumises à autorisation préfectorale les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l'article L. 511-1. / L'autorisation ne peut être accordée que si ces dangers ou inconvénients peuvent être prévenus par des mesures que spécifie l'arrêté préfectoral. (...) ".
Aux termes du I de l'article R. 512-39 du code de l'environnement : " I.- En vue de l'information des tiers : / 1° Une copie de l'arrêté d'autorisation ou de l'arrêté de refus et, le cas échéant, des arrêtés complémentaires, est déposée à la mairie ou, à Paris, au commissariat de police, et peut y être consultée ; / 2° Un extrait de ces arrêtés, énumérant notamment les motifs et considérants principaux qui ont fondé la décision ainsi que les prescriptions auxquelles l'installation est soumise, est affiché à la mairie et, à Paris, au commissariat de police dans le ressort duquel est implantée l'installation pendant une durée minimum d'un mois. Procès-verbal de l'accomplissement de ces formalités est dressé par les soins du maire et, à Paris, par ceux du commissaire de police ; le même extrait est publié sur le site internet de la préfecture qui a délivré l'acte pour une durée identique ; / 3° Le même extrait est affiché en permanence de façon visible dans l'installation par les soins du bénéficiaire de l'autorisation ; / 4° Une ampliation de l'arrêté est adressée à chaque conseil municipal, général, ou régional ayant été consulté ainsi qu'aux autorités visées à l'article R. 512-22 ; / 5° Un avis est inséré, par les soins du préfet et aux frais de l'exploitant, dans deux journaux locaux ou régionaux diffusés dans tout le département ou tous les départements intéressés. ".
2. Aux termes de l'article L. 514-6 du code de l'environnement, les décisions, prises sur le fondement de l'article L. 512-1, accordant ou refusant une autorisation d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement sont soumises à un contentieux de pleine juridiction, un décret en Conseil d'Etat précisant les délais dans lesquels ces décisions peuvent être déférées à la juridiction administrative. En vertu de l'article R. 514-3-1 de ce code, ces décisions peuvent être déférées à la juridiction administrative : " - par les tiers, personnes physiques ou morales, les communes intéressées ou leurs groupements, en raison des inconvénients ou des dangers que le fonctionnement de l'installation présente pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 dans un délai d'un an à compter de la publication ou de l'affichage de ces décisions. Toutefois, si la mise en service de l'installation n'est pas intervenue six mois après la publication ou l'affichage de ces décisions, le délai de recours continue à courir jusqu'à l'expiration d'une période de six mois après cette mise en service ; / - par les demandeurs ou exploitants, dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle la décision leur a été notifiée. ".
Lorsqu'il statue en vertu de l'article L. 514-6 du code de l'environnement, le juge administratif a le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation classée pour la protection de l'environnement en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée et, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions.
Dans le cas où le juge administratif fait usage de ses pouvoirs de pleine juridiction pour autoriser le fonctionnement d'une installation classée, la décision d'autorisation ainsi rendue présente le caractère d'une décision juridictionnelle et se trouve en conséquence revêtue de l'autorité de chose jugée.
3. Aux termes de l'article R. 832-1 du code de justice administrative : " Toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu'elle représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision. ". Aucune des dispositions du code de l'environnement définissant le régime des installations classées n'apporte de dérogation à la règle générale ainsi édictée. Dès lors, les jugements rendus en matière d'installations classées peuvent faire l'objet de la voie de recours définie par l'article R. 832-1.
Les dispositions de l'article R. 514-3-1 du code de l'environnement, qui ouvrent aux communes intéressées et à leurs groupements ainsi qu'aux tiers la possibilité de contester la légalité des autorisations délivrées par l'administration au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, impliquent le droit pour ceux-ci d'exercer également un recours lorsque l'autorisation, d'abord refusée par le préfet, est délivrée par le juge administratif du plein contentieux des installations classées.
Il résulte des dispositions de l'article R. 832-1 du code de justice administrative que, pour former tierce opposition, une personne qui n'a été ni présente ni représentée à l'instance doit en principe justifier d'un droit lésé. Toutefois, afin de garantir le caractère effectif du droit au recours des tiers en matière d'environnement et eu égard aux effets sur les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement de la décision juridictionnelle délivrant une autorisation d'exploiter, cette voie est, dans la configuration particulière où le juge administratif des installations classées, après avoir annulé la décision préfectorale de refus, fait usage de ses pouvoirs de pleine juridiction pour délivrer lui-même l'autorisation, ouverte aux tiers qui justifieraient d'un intérêt suffisant pour demander l'annulation de la décision administrative d'autorisation, dès lors qu'ils n'ont pas été présents ou régulièrement appelés dans l'instance.
4. En vue de garantir la sécurité juridique du bénéficiaire de l'autorisation, il est loisible au juge, lorsqu'il délivre une autorisation d'exploiter une installation classée, d'ordonner dans son jugement la mise en oeuvre des mesures de publicité prévues par le I de l'article R. 512-39 du code de l'environnement. Le préfet peut également décider la mise en oeuvre de ces mesures portant sur une autorisation délivrée par le juge administratif. Lorsque la publicité prescrite par le juge ou ordonnée par le préfet a été assurée, les tiers ne sont plus recevables à former tierce opposition au jugement après écoulement des délais prévus par les dispositions de l'article R. 514-3-1 du code de l'environnement.
5. Le tiers peut invoquer à l'appui de sa tierce opposition tout moyen.
6. La circonstance que le juge des installations classées pour la protection de l'environnement ait renvoyé le pétitionnaire devant l'autorité administrative pour la fixation des prescriptions applicables à l'installation ne fait pas, par elle-même, obstacle à l'introduction, dans les conditions qui viennent d'être rappelées, d'une tierce opposition.
Le présent avis sera notifié à la cour administrative d'appel de Nantes, à l'association Nonant Environnement, à la société Guy Dauphin Environnement et à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.