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13/05/2015 | FRANCE | N°376323

France | France, Conseil d'État, 4ème - 5ème ssr, 13 mai 2015, 376323


Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés les 16 février et 25 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, Mme B...D...demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de la décision n° 11619 et 11620 du 13 janvier 2014 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, d'une part, annulé les décisions du 13 mars 2012 de la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France, et, d'autre part, pr

ononcé à son encontre la sanction du blâme, de renvoyer au Conseil co...

Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés les 16 février et 25 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, Mme B...D...demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de la décision n° 11619 et 11620 du 13 janvier 2014 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, d'une part, annulé les décisions du 13 mars 2012 de la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France, et, d'autre part, prononcé à son encontre la sanction du blâme, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 4132-3, L. 4132-5 et L. 4132-9 du code de la santé publique.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la santé publique, notamment ses articles L. 4132-3, L. 4132-5 et L. 4132-9 ;

- la loi n° 2011-940 du 10 août 2011 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Pannier, auditeur,

- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de Mme D...et à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, Poupot, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changements de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant que la requérante soutient que les dispositions, d'une part, des articles L. 4132-3 et L. 4132-5 du code de la santé publique et, d'autre part, de l'article L. 4132-9 du même code, qui fixent respectivement la composition de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins et celle des chambres disciplinaires de première instance de l'ordre des médecins, sont contraires aux principes d'indépendance et d'impartialité qui s'imposent à ces juridictions en vertu de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'elles prévoient la présence, parmi les membres de ces juridictions, de membres siégeant en qualité de représentants de ministres ou de représentants du directeur général de l'agence régionale de santé ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution " ; que le principe d'indépendance, qui est indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles, impose que toute personne appelée à siéger dans une juridiction se prononce en toute indépendance et sans recevoir quelque instruction de la part de quelque autorité que ce soit ; que le principe d'impartialité des juridictions s'oppose notamment à ce que soient conférés à une même autorité le pouvoir de poursuivre et celui de juger ;

Sur la constitutionnalité des articles L. 4132-3 et L. 4132-5 du code de la santé publique :

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 4132-1 du code de la santé publique : " Le Conseil national de l'ordre des médecins comprend cinquante et un membres, à savoir : / 1° Quarante-six membres élus pour six ans par les conseils départementaux. (...) 2° Trois membres représentant respectivement les médecins exerçant à la Guadeloupe, en Guyane et à la Martinique et un membre représentant les médecins exerçant à la Réunion et à Mayotte. (...) / 3° Un membre de l'Académie nationale de médecine qui est désigné par ses collègues " ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 4132-3 du code de la santé publique : " Sont adjoints au conseil national avec voix consultative trois médecins représentant les ministres de l'enseignement supérieur, de la santé et du travail " ; qu'aux termes de l'article L. 4132-5 du même code : " La chambre disciplinaire nationale comprend douze membres titulaires et douze membres suppléants élus, en nombre égal, par le conseil national, parmi, d'une part, les membres de ce conseil, et, d'autre part, les membres et anciens membres des conseils de l'ordre " ;

6. Considérant, en premier lieu, que les médecins désignés, en application des dispositions de l'article L. 4132-3 du code de la santé publique citées ci-dessus, pour représenter les ministres de l'enseignement supérieur, de la santé et du travail auprès du Conseil national de l'ordre des médecins, ne sont pas membres de ce conseil, auquel ils sont seulement adjoints ; qu'il ne sauraient, par suite, être élus en cette qualité membres de la chambre disciplinaire nationale ;

7. Considérant, en second lieu, que, dans l'hypothèse où ces médecins adjoints au conseil national de l'ordre en application des dispositions de l'article L. 4132-3 du code de la santé publique auraient par ailleurs la qualité de membre ou d'ancien membre d'un conseil de l'ordre, leur éventuelle élection, en cette qualité, à la chambre disciplinaire nationale, ne pourrait les faire regarder comme y siégeant en qualité de représentant de l'Etat ; qu'ils ne sauraient, en conséquence, recevoir, dans ces fonctions, aucune instruction de la part d'une autorité de l'Etat ;

8. Considérant, par suite, que la question tirée de ce que les dispositions combinées des articles L. 4132-3 et L. 4132-5 du code de la santé publique porteraient atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en permettant la présence au sein de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins de membres siégeant en qualité de représentant d'un ministre, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux ;

Sur la constitutionnalité des 1° et 2° de l'article L. 4132-9 du code de la santé publique :

9. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 4132-9 du code de la santé publique : " Sont adjoints à la chambre disciplinaire de première instance avec voix consultative : / 1° Le médecin, le chirurgien-dentiste ou la sage-femme désigné par le directeur général de l'agence régionale de santé, ou son représentant ; / 2° Un professeur d'une unité de formation et de recherche de médecine de la région, désigné par le ministre chargé de l'enseignement supérieur " ; que la seule désignation de membres de la chambre disciplinaire de première instance par le directeur de l'agence régionale de santé ou par le ministre chargé de l'enseignement supérieur ne place pas sous leur autorité les personnes ainsi désignées par eux ; que, par suite, une telle modalité de désignation n'est pas, par elle-même, de nature à porter atteinte à l'indépendance de ces personnes dans l'exercice de leurs fonctions juridictionnelles ;

10. Considérant, par ailleurs, qui si les dispositions du III de l'article L. 4124-7 du même code prévoient que : " (...) Lorsque la chambre disciplinaire de première instance a été saisie par le ministre chargé de la santé, par le directeur général de l'agence régionale de santé ou par le représentant de l'Etat dans le département ou la région, les représentants de l'Etat mentionnés aux articles L. 4132-9 (...) ne siègent pas dans cette instance ", ces dispositions, qui sont antérieures notamment aux modifications de l'article L. 4132-9 du code de la santé publique par la loi du 10 août 2011 de modification de certaines dispositions de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, ne sauraient être regardées comme ayant pour effet de conférer aux personnes nommées au titre des 1° et 2° de l'article L. 4132-9 la qualité de représentants de l'Etat ;

11. Considérant, par suite, que la question tirée de ce que les dispositions des 1° et 2° de l'article L. 4132-9 du code de la santé publique porteraient atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en permettant la présence au sein des chambres disciplinaires de première instance de l'ordre des médecins de membres siégeant en qualité de représentant de l'Etat ou du directeur général de l'agence régionale de santé, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas non plus de caractère sérieux ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme D...;

D E C I D E :

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Article 1er: Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par MmeD....

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B...D....

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, à M. C...F..., à M. A...E...et au Conseil national de l'ordre des médecins.


Synthèse
Formation : 4ème - 5ème ssr
Numéro d'arrêt : 376323
Date de la décision : 13/05/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - ORDRES PROFESSIONNELS - ORGANISATION ET ATTRIBUTIONS NON DISCIPLINAIRES - QUESTIONS PROPRES À CHAQUE ORDRE PROFESSIONNEL - ORDRE DES MÉDECINS - CONSEIL NATIONAL - 1) CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE DE L'ORDRE DES MÉDECINS - COMPOSITION - POSSIBILITÉ D'ÉLIRE UN MÉDECIN ADJOINT DU CONSEIL NATIONAL DE L'ORDRE - ABSENCE - 2) CHAMBRE DISCIPLINAIRE DE PREMIÈRE INSTANCE - MEMBRES ADJOINTS DÉSIGNÉS PAR LE MINISTRE ET LE DIRECTEUR DE L'ARS - QUALITÉ DE REPRÉSENTANTS DE L'ETAT - ABSENCE.

55-01-02-01-01 1) L'article L. 4132-3 du code de la santé publique (CSP) prévoit que Sont adjoints au conseil national avec voix consultative trois médecins représentant les ministres de l'enseignement supérieur, de la santé et du travail . Ces médecins adjoints sont désignés pour représenter les ministres de l'enseignement supérieur, de la santé et du travail auprès du Conseil national de l'ordre des médecins et ne sont pas membres de ce conseil. Ils ne peuvent, par suite, être élus en cette qualité membres de la chambre disciplinaire nationale, qui est composée de membres et d'anciens membres des conseils de l'ordre. Dans l'hypothèse où ces médecins adjoints au conseil national de l'ordre auraient par ailleurs la qualité de membre ou d'ancien membre d'un conseil de l'ordre, leur éventuelle élection, en cette qualité, à la chambre disciplinaire nationale, ne pourrait les faire regarder comme y siégeant en qualité de représentant de l'Etat. Ils ne sauraient en conséquence recevoir, dans ces fonctions, aucune instruction de la part d'une autorité de l'Etat. Pas de méconnaissance du principe d'indépendance et d'impartialité des juridictions.,,,2) Les membres adjoints à la chambre disciplinaire de première instance, qui ont voix consultative et sont nommés par le directeur de l'agence régionale de santé (ARS) et le ministre chargé de l'enseignement supérieur en application de l'article L. 4132-9 du CSP, ne sont pas placés sous l'autorité des personnes les ayant désignées. Une telle modalité de désignation n'est pas, par elle-même, de nature à porter atteinte à l'indépendance de ces personnes dans l'exercice de leurs fonctions juridictionnelles. La règle posée au III de l'article L. 4124-7 du même code, en vertu de laquelle ces membres adjoints se déportent lorsque la chambre est saisie par certaines autorités de l'Etat ou le directeur de l'ARS, n'a pas pour effet de leur conférer la qualité de représentants de l'Etat.

PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - DISCIPLINE PROFESSIONNELLE - COMPÉTENCES DES ORGANISMES ORDINAUX EN MATIÈRE DE DISCIPLINE PROFESSIONNELLE - 1) CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE DE L'ORDRE DES MÉDECINS - COMPOSITION - POSSIBILITÉ D'ÉLIRE UN MÉDECIN ADJOINT DU CONSEIL NATIONAL DE L'ORDRE - ABSENCE - 2) CHAMBRE DISCIPLINAIRE DE PREMIÈRE INSTANCE - MEMBRES ADJOINTS DÉSIGNÉS PAR LE MINISTRE ET LE DIRECTEUR DE L'ARS - QUALITÉ DE REPRÉSENTANTS DE L'ETAT - ABSENCE.

55-04-007 1) L'article L. 4132-3 du code de la santé publique (CSP) prévoit que Sont adjoints au conseil national avec voix consultative trois médecins représentant les ministres de l'enseignement supérieur, de la santé et du travail . Ces médecins adjoints sont désignés pour représenter les ministres de l'enseignement supérieur, de la santé et du travail auprès du Conseil national de l'ordre des médecins et ne sont pas membres de ce conseil. Ils ne peuvent, par suite, être élus en cette qualité membres de la chambre disciplinaire nationale, qui est composée de membres et d'anciens membres des conseils de l'ordre. Dans l'hypothèse où ces médecins adjoints au conseil national de l'ordre auraient par ailleurs la qualité de membre ou d'ancien membre d'un conseil de l'ordre, leur éventuelle élection, en cette qualité, à la chambre disciplinaire nationale, ne pourrait les faire regarder comme y siégeant en qualité de représentant de l'Etat. Ils ne sauraient en conséquence recevoir, dans ces fonctions, aucune instruction de la part d'une autorité de l'Etat. Pas de méconnaissance du principe d'indépendance et d'impartialité des juridictions.,,,2) Les membres adjoints à la chambre disciplinaire de première instance, qui ont voix consultative et sont nommés par le directeur de l'agence régionale de santé (ARS) et le ministre chargé de l'enseignement supérieur en application de l'article L. 4132-9 du CSP, ne sont pas placés sous l'autorité des personnes les ayant désignées. Une telle modalité de désignation n'est pas, par elle-même, de nature à porter atteinte à l'indépendance de ces personnes dans l'exercice de leurs fonctions juridictionnelles. La règle posée au III de l'article L. 4124-7 du même code, en vertu de laquelle ces membres adjoints se déportent lorsque la chambre est saisie par certaines autorités de l'Etat ou le directeur de l'ARS, n'a pas pour effet de leur conférer la qualité de représentants de l'Etat.


Publications
Proposition de citation : CE, 13 mai. 2015, n° 376323
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Pauline Pannier
Rapporteur public ?: Mme Gaëlle Dumortier
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU ; SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD, POUPOT

Origine de la décision
Date de l'import : 17/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:376323.20150513
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