Vu la requête, enregistrée le 25 novembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. B...A..., demeurant au ... ; M. A...demande au Conseil d'Etat :
1°) à titre principal, d'annuler le jugement n° 1407570 du 27 octobre 2014 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a, sur saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), déclaré inéligible pendant deux ans, a annulé son élection comme conseiller municipal de D...-sur-Seine (Hauts-de-Seine) et proclamé élu M.C..., d'autre part, de rejeter la saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, d'approuver son compte de campagne et d'arrêter à la somme de 36 901,32 euros le montant du remboursement dû par l'Etat conformément aux dispositions de l'article L. 52-11-1 du code électoral ;
2°) à titre subsidiaire, au cas où son compte de campagne serait rejeté, d'annuler ce jugement en tant qu'il l'a déclaré inéligible et a proclamé élu M. C...;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code électoral ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Yves Doutriaux, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Haas, avocat de M. A...;
1. Considérant que, par sa décision du 17 juillet 2014, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a rejeté le compte de campagne de M.A..., candidat tête de la liste " J'aimeD..., fidèle à Nicolas Sarkozy " aux élections municipales du 23 mars 2014 de D...-sur-Seine en raison de l'omission, dans le compte de campagne, des dépenses relatives aux numéros 2 et 3 du journal intitulé " J'MD... " ; que, par son jugement du 27 octobre 2014, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par la Commission en application des dispositions de l'article L. 52-15 du code électoral, a confirmé le rejet du compte de campagne, annulé l'élection de M.A..., déclaré ce dernier inéligible pendant deux ans et proclamé élu M. C...en application de l'article L. 270 du même code ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 52-15 du code électoral : " La commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne./ (...)/ Lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n'a pas été déposé dans le délai prescrit, si le compte a été rejeté ou si, le cas échéant après réformation, il fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales, la commission saisit le juge de l'élection. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 52-12 du même code : " Chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement prévu à l'article L. 52-11 et qui a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés est tenu d'établir un compte de campagne retraçant, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection, hors celles de la campagne officielle par lui-même ou pour son compte, au cours de la période mentionnée à l'article L. 52-4. (...) Sont réputées faites pour son compte les dépenses exposées directement au profit du candidat et avec l'accord de celui-ci, par les personnes physiques qui lui apportent leur soutien, ainsi que par les partis et groupements politiques qui ont été créés en vue de lui apporter leur soutien ou qui lui apportent leur soutien. Le candidat estime et inclut, en recettes et en dépenses, les avantages directs ou indirects, les prestations de services et dons en nature dont il a bénéficié. Le compte de campagne doit être en équilibre ou excédentaire et ne peut présenter un déficit. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 52-4 de ce code : " Tout candidat à une élection déclare un mandataire (...)/ Le mandataire recueille, pendant l'année précédant le premier jour du mois de l'élection et jusqu'à la date du dépôt du compte de campagne du candidat, les fonds destinés au financement de la campagne (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 52-8 de ce code : " (...) Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. (...) " ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment d'échanges de courriels datés du 26 juillet 2014 communiqués par M. A...à la CNCCFP, que ce dernier avait proposé au gérant de la société EPEREX l'édition sur fonds privés, issus en partie de la vente d'espaces publicitaires, d'un journal, intitulé " J'M D...", distribué gratuitement, en concurrence avec celui édité par la ville deD..., dont le premier numéro est daté de janvier-février 2013 ; que le deuxième numéro de ce journal, daté de mai-juin 2013, comprend un éditorial signé par M.A..., critique sur la gestion du maire de la ville, un article également signé par lui relatif à une mise en examen du maire ainsi que plusieurs autres articles critiquant diverses actions de la municipalité ; que le troisième numéro, daté de novembre-décembre 2013, assorti de deux photographies du candidat et comportant six pages, contient une interview de M. A...sur deux pages, annoncée en couverture sous le titre " Bernard A...candidat ", dans laquelle il critique l'action du maire et expose son programme électoral, tandis que les quatre autres pages contiennent des articles hostiles au maire sortant et à sa gestion ainsi qu'un article très favorable à l'endroit de la personnalité du candidat requérant ; que l'éditeur de cette publication y a mis fin après le scrutin électoral ; qu'ainsi, ces deux numéros du journal "J'M D...", créé en vue de soutenir la candidature de M.A..., ont, dans leur intégralité, constitué au profit de sa liste un avantage en nature assimilable à un don par une personne morale, prohibé par les dispositions de l'article L. 52-8 précité ; qu'eu égard au montant des frais de publication de ces deux numéros, qui s'élève à 13 900 euros, soit 18,33 % du total des dépenses de campagne de M. A...et 17,98 % du plafond de dépenses autorisées, et à la circonstance que la réintégration de cette somme dans le compte de campagne fait apparaître un total de dépenses de 90 151 euros, supérieur au plafond fixé à 77 687 euros, c'est à bon droit que la commission a rejeté son compte de campagne ;
4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 118-3 du code électoral : " Saisi par la commission instituée par l'article L. 52-14, le juge de l'élection peut déclarer inéligible le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales./ Saisi dans les mêmes conditions, le juge de l'élection peut déclarer inéligible le candidat qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12./ Il prononce également l'inéligibilité du candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales./ L'inéligibilité déclarée sur le fondement des premier à troisième alinéas est prononcée pour une durée maximale de trois ans et s'applique à toutes les élections. Toutefois, elle n'a pas d'effet sur les mandats acquis antérieurement à la date de la décision (...) " ; qu'en dehors des cas de fraude, ces dispositions prévoient que le juge de l'élection ne prononce l'inéligibilité d'un candidat que s'il constate un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales ; que, pour déterminer si un manquement est d'une particulière gravité au sens de ces dispositions, il incombe au juge de l'élection d'apprécier, d'une part, s'il s'agit d'un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales, d'autre part, s'il présente un caractère délibéré ; qu'en cas de manquement aux dispositions de l'article L. 52-8 du code électoral, il incombe, en outre, au juge de tenir compte de l'importance de l'avantage ou du don irrégulièrement consenti et de rechercher si, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, il a été susceptible de porter atteinte, de manière sensible, à l'égalité des candidats ;
5. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction, eu égard notamment à la circonstance que les publications litigieuses sont parues au début de la période d'un an prévue par l'article L. 52-4 du code électoral, alors que la candidature de M. A...était encore hypothétique compte tenu du contexte électoral local, à l'importance relative de l'avantage dont a bénéficié M. A...et à la circonstance que cet avantage n'a pas été de nature à porter atteinte, de manière sensible, à l'égalité entre les candidats, que le manquement commis par le requérant ait revêtu, dans les circonstances de l'espèce, le caractère d'une particulière gravité requis par l'article L. 118-3 du code électoral ; que, par suite, M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a déclaré inéligible pendant deux ans, a annulé son élection au conseil municipal de D...-sur-Seine et a proclamé élu M. C...en qualité de conseiller municipal ;
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de déclarer M. A...inéligible en application de l'article L. 118-3 du code électoral et de proclamer élu M. C...en qualité de conseiller municipal.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 27 octobre 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B...A..., à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, à M. C...et au ministre de l'intérieur.