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17/04/2015 | FRANCE | N°373589

France | France, Conseil d'État, 6ème - 1ère ssr, 17 avril 2015, 373589


Vu 1°, sous le n° 373589, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 novembre 2013 et 28 février 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le Conseil national des courtiers de marchandises assermentés, dont le siège est 5 rue du Louvre à Paris (75001) ; le Conseil national des courtiers de marchandises assermentés demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2013-884 du 1er octobre 2013 relatif à la formation professionnelle des personnes habilitées à diriger des ventes volontaires

de meubles aux enchères publiques ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat...

Vu 1°, sous le n° 373589, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 novembre 2013 et 28 février 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le Conseil national des courtiers de marchandises assermentés, dont le siège est 5 rue du Louvre à Paris (75001) ; le Conseil national des courtiers de marchandises assermentés demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2013-884 du 1er octobre 2013 relatif à la formation professionnelle des personnes habilitées à diriger des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°, sous le n° 373594, la requête, enregistrée le 29 novembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la Chambre nationale des huissiers de justice, dont le siège est 44, rue de Douai à Paris (75009), représentée par son président ; la Chambre nationale des huissiers de justice demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2013-884 du 1er octobre 2013 relatif à la formation professionnelle des personnes habilitées à diriger des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu, sous le n° 373589, la note en délibéré, enregistrée le 31 mars 2015, présentée pour le Conseil national des courtiers de marchandises assermentés ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 ;

Vu le code de commerce ;

Vu l'ordonnance n° 45-2592 du 1er novembre 1945 ;

Vu la décision n°373589 du 14 mai 2014 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Conseil national des courtiers de marchandises assermentés ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Stéphane Decubber, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lesourd, avocat du Conseil national des courtiers de marchandises assermentés ;

1. Considérant que les requêtes nos 373589 et 373594 du Conseil national des courtiers de marchandises assermentés et de la Chambre nationale des huissiers de justice sont dirigées contre le même décret ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant que l'article L. 320-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 20 juillet 2011 de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, dispose que : " Constituent des ventes aux enchères publiques les ventes faisant intervenir un tiers, agissant comme mandataire du propriétaire ou de son représentant, pour proposer et adjuger un bien au mieux-disant des enchérisseurs à l'issue d'un procédé de mise en concurrence ouvert au public et transparent. Le mieux-disant des enchérisseurs acquiert le bien adjugé à son profit ; il est tenu d'en payer le prix. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 321-2 du même code : " Les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques sont, sauf les cas prévus à l'article L. 321-36 organisées et réalisées dans les conditions prévues au présent chapitre par des opérateurs exerçant à titre individuel ou sous la forme juridique de leur choix. / Lorsqu'ils satisfont à des conditions de formation fixées par la voie réglementaire, les notaires et les huissiers de justice peuvent également organiser et réaliser ces ventes, à l'exception des ventes volontaires aux enchères publiques de marchandises en gros, dans les communes où il n'est pas établi d'office de commissaire-priseur judiciaire. Ils exercent cette activité à titre accessoire dans le cadre de leur office et selon les règles qui leur sont applicables. Ce caractère accessoire s'apprécie au regard des résultats de cette activité rapportés à l'ensemble des produits de l'office, de la fréquence de ces ventes, du temps qui y est consacré et, le cas échéant, du volume global des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques réalisées dans le ressort du tribunal de grande instance. Ils ne peuvent être mandatés que par le propriétaire des biens.(...) " ; que l'article L. 321-4 du même code dispose que seuls peuvent organiser et réaliser des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques les opérateurs remplissant diverses conditions, notamment celle de détenir la qualification requise pour diriger une vente ou d'être titulaire d'un titre, d'un diplôme ou d'une habilitation reconnus équivalents en la matière ; qu'en vertu du 4° de l'article L. 131-13 du même code, ne peuvent être inscrites sur la liste des courtiers de marchandises assermentés d'une cour d'appel que les personnes habilitées à diriger des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et ayant exercé leur activité pendant deux ans au moins dans la spécialité professionnelle pour laquelle l'inscription est demandée ; qu'enfin, le deuxième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers habilite ces derniers, dans les lieux où il n'est pas établi de commissaires-priseurs judiciaires, à procéder aux prisées et ventes publiques judiciaires ou volontaires de meubles et effets mobiliers corporels ;

Sur la requête n° 373589 du Conseil national des courtiers de marchandises assermentés :

3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 462-2 du code de commerce, l'Autorité de la concurrence " est obligatoirement consultée par le Gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet : / 1° De soumettre l'exercice d'une profession ou l'accès à un marché à des restrictions quantitatives ; / 2° D'établir des droits exclusifs dans certaines zones ; / 3° D'imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente " ; que le décret attaqué, qui se borne à préciser, en application des dispositions législatives rappelées ci-dessus, les conditions de qualification professionnelle auxquelles est soumise l'activité de vente volontaire de meubles aux enchères publiques, ne peut être regardé comme instituant un régime nouveau au sens de ces dispositions ; que le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait été pris à l'issue d'une procédure irrégulière en raison de l'absence de consultation de l'Autorité de la concurrence ne peut, par suite, qu'être écarté ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes du 3° de l'article R. 321-18 du code de commerce, dans sa rédaction issue du 2° de l'article 2 du décret attaqué du 1er octobre 2013, pris pour l'application des dispositions de l'article L. 321-4 du code de commerce mentionnées ci-dessus, nul ne peut diriger des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, s'il n'est " soit titulaire d'un diplôme national de licence en droit et d'un diplôme national de licence en histoire de l'art, ou en arts appliqués, ou en archéologie ou en arts plastiques, soit titulaire de titres ou diplômes, admis en dispense, dont la liste est fixée par arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé de l'enseignement supérieur (...) " ;

5. Considérant que, ainsi qu'il a été dit au point 2 ci-dessus, les dispositions de l'article L. 321-4 du code de commerce prévoient que l'organisation et la réalisation de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques sont soumises, quelles que soient les personnes qui exercent cette activité, à une exigence spécifique de qualification ; qu'en prévoyant, pour répondre à cette exigence de qualification, que les opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques doivent détenir un diplôme national de licence en droit et un diplôme national de licence en histoire de l'art, ou en arts appliqués ou en archéologie ou en arts plastiques, le décret attaqué ne porte par lui-même aucune atteinte ni à la liberté d'entreprendre ni au principe d'égalité ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il serait sur ce point entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ; que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 9 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur : " 1. Les Etats membres ne peuvent subordonner l'accès à une activité de services et son exercice à un régime d'autorisation que si les conditions suivantes sont réunies: a) le régime d'autorisation n'est pas discriminatoire à l'égard du prestataire visé ; / b) la nécessité d'un régime d'autorisation est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général ; / c) l'objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu'un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle. " ; que l'article 10 de la même directive dispose que : " 1. Les régimes d'autorisation doivent reposer sur des critères qui encadrent l'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités compétentes afin que celui-ci ne soit pas utilisé de manière arbitraire. / 2 Les critères visés au paragraphe 1 sont : / a) non discriminatoires; / b) justifiés par une raison impérieuse d'intérêt général; / c) proportionnels à cet objectif d'intérêt général (...) " ;

7. Considérant que les dispositions des articles L. 131-13 et L. 321-4 du code de commerce ne sauraient être regardées, en ce qu'elles prévoient que les courtiers de marchandises assermentés, qui peuvent exercer l'activité de vente volontaire de meubles aux enchères publiques, doivent détenir la qualification que celle-ci exige, comme imposant des exigences de qualification professionnelle discriminatoires incompatibles avec les articles 9 et 10 de la directive ;

8. Considérant, en quatrième lieu, que le moyen tiré de ce que le décret attaqué, qui soumet tous les opérateurs habilités à diriger des ventes volontaires aux mêmes conditions de qualification, méconnaîtrait le principe d'égalité tel que garanti par le droit de l'Union européenne doit être écarté ;

9. Considérant, en cinquième lieu, que les dispositions du décret attaqué ne sauraient davantage être regardées comme ayant par elles-mêmes pour effet de placer les commissaires-priseurs judiciaires en situation d'abus automatique d'une position dominante ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le Conseil national des courtiers de marchandises assermentés n'est pas fondé à demander l'annulation du décret qu'il attaque ;

Sur la requête n° 373594 de la Chambre nationale des huissiers de justice :

11. Considérant, en premier lieu, que le décret attaqué est signé par le Premier ministre et contresigné par le garde des sceaux, ministre de la justice et le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ; que le moyen tiré de ce qu'il n'est pas justifié que le décret aurait été signé par une autorité compétente disposant d'une délégation régulière ne peut, par suite, qu'être écarté ;

12. Considérant, en deuxième lieu, que la Chambre nationale des huissiers de justice demande l'annulation de l'article R. 321-18-1 du code de commerce, issu de l'article 3 du décret attaqué, aux termes duquel : " Pour pouvoir, en application de l'article L. 321-2, diriger des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, les notaires et les huissiers de justice doivent, au préalable, avoir suivi, à leurs frais, une formation d'une durée de soixante heures portant sur la réglementation, la pratique et la déontologie des ventes aux enchères. / Cette formation est organisée par le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques après avis du Conseil supérieur du notariat et de la Chambre nationale des huissiers de justice. / Les notaires assistants et les huissiers de justice stagiaires sont admis à suivre cette formation. / Au terme de la formation, le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques délivre aux participants un certificat d'accomplissement de formation. " ;

13. Considérant, d'une part, qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 321-2 du code de commerce et 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 mentionnées au point 2 ci-dessus que si les huissiers de justice peuvent exercer, dans certains cas, à titre accessoire, une activité de vente volontaire de meubles aux enchères publiques, c'est sous réserve de satisfaire aux exigences de formation fixées par voie réglementaire ; que si, en vertu de l'article 3 bis de la même ordonnance, la Chambre nationale des huissiers de justice détermine les modalités selon lesquelles s'accomplit l'obligation de formation professionnelle continue des huissiers de justice, les dispositions attaquées de l'article R. 321-18-1 du code de commerce ne concernent pas cette obligation, mais les conditions de qualification requises pour exercer l'activité de vente volontaire de meubles aux enchères publiques ; qu'il suit de là que la Chambre nationale des huissiers de justice ne saurait utilement soutenir qu'elles méconnaîtraient les dispositions de l'article 3 bis de l'ordonnance ; que, par ailleurs, si l'article R. 321-18-1 prévoit que la formation des huissiers de justice est assurée par le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et non par la Chambre nationale des huissiers de justice, une telle circonstance ne saurait être regardée ni comme une atteinte au droit patrimonial de présentation des huissiers de justice contraire aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni comme une remise en cause illégale de la définition des missions des huissiers de justice telle qu'elle résulte de l'ordonnance du 2 novembre 1945, ni comme instituant en fait un " monopole " au profit des commissaires priseurs ;

14. Considérant, d'autre part, la Chambre nationale des huissiers de justice ne saurait davantage soutenir que les dispositions qu'elle attaque, en ce qu'elles autorisent les huissiers stagiaires à suivre la formation en cause, seraient illégales au motif que ceux-ci ne sont pas assurés de valider cette formation avant de devenir huissiers de justice ;

15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la Chambre nationale des huissiers de justice n'est pas fondée à demander l'annulation du décret qu'elle attaque ;

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes du Conseil national des courtiers de marchandises assermentés et de la Chambre nationale des huissiers de justice sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au Conseil national des courtiers de marchandises assermentés, à la Chambre nationale des huissiers de justice, au Premier ministre, à la garde des sceaux, ministre de la justice et à la ministre de la culture et de la communication.


Synthèse
Formation : 6ème - 1ère ssr
Numéro d'arrêt : 373589
Date de la décision : 17/04/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 avr. 2015, n° 373589
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Stéphane Decubber
Rapporteur public ?: Mme Suzanne von Coester
Avocat(s) : SCP LESOURD

Origine de la décision
Date de l'import : 17/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:373589.20150417
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