Vu la procédure suivante :
M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser, d'une part, la somme de 3 472,34 euros en réparation du préjudice résultant de la différence entre l'indemnisation forfaitaire qu'il a reçue au titre de l'aide juridictionnelle et le coût de fonctionnement de son cabinet à raison du temps de travail passé au traitement des dossiers défendus à ce titre, d'autre part, la somme de 2 907 euros correspondant au préjudice résultant de la privation de rémunération résultant de l'absence de réévaluation de l'indemnité correspondant à la prestation intellectuelle lors des interventions au titre de l'aide juridictionnelle. Par un jugement n° 1008007 du 1er octobre 2013, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 décembre 2013, 10 mars 2014 et 27 février 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lille ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie-Justine Lieber, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M.A....
1. Considérant qu'aux termes de l'article 27 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " L'avocat qui prête son concours au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle perçoit une rétribution. / L'Etat affecte annuellement à chaque barreau une dotation représentant sa part contributive aux missions d'aide juridictionnelle accomplies par les avocats du barreau. / Le montant de cette dotation résulte, d'une part, du nombre de missions d'aide juridictionnelle accomplies par les avocats du barreau et, d'autre part, du produit d'un coefficient par type de procédure et d'une unité de valeur de référence. / Pour les aides juridictionnelles totales, l'unité de valeur de référence est majorée en fonction du volume des missions effectuées au titre de l'aide juridictionnelle au cours de l'année précédente au regard du nombre d'avocats inscrits au barreau. / La loi de finances détermine annuellement l'unité de valeur mentionnée au troisième alinéa du présent article " ; que l'article 90 du décret du 19 décembre 1991 portant application de cette loi prévoit que la contribution de l'Etat à la rétribution des avocats qui prêtent leur concours au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale est déterminée en fonction du produit de l'unité de valeur prévue par la loi de finances et des coefficients qu'il détermine ; que cet article fixe les coefficients applicables aux différentes procédures juridictionnelles ainsi que, pour certaines procédures, les majorations applicables en fonction notamment des incidents de procédure et des mesures d'instruction décidées par le juge ;
Sur les conclusions dirigées contre le jugement attaqué en tant qu'il statue sur la responsabilité pour faute de l'Etat :
2. Considérant que M. A...s'est prévalu devant le tribunal administratif de Lille de ce que le protocole d'accord conclu le 18 décembre 2000 entre le garde des sceaux, ministre de la justice et les organisations professionnelles représentant les avocats constituait un engagement contractuel de l'Etat, dont l'absence de mise en oeuvre engageait la responsabilité de l'Etat pour non respect de ses engagements contractuels ; qu'en estimant que le protocole d'accord invoqué, dressant une liste de mesures pour revaloriser les conditions d'indemnisation des avocats assurant la représentation des personnes bénéficiaires de l'aide juridictionnelle et envisageant le dépôt d'un projet de loi au plus tard le 15 septembre 2001, constituait un exposé d'intentions, dépourvu de valeur juridique et de force contraignante, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé la portée de ce document ; qu'en en déduisant que le requérant ne pouvait utilement s'en prévaloir et en écartant toute responsabilité de l'Etat à raison du non respect fautif allégué des stipulations de ce protocole, le tribunal administratif n'a pas entaché son jugement d'erreur de droit ; que le tribunal administratif, qui a suffisamment motivé son jugement sur ce point, n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments soulevés par le requérant au soutien du même moyen et notamment à ceux tirés de ce que, faute d'avoir respecté les engagements allégués, l'Etat aurait méconnu les attentes légitimes qu'il avait suscitées, la sécurité juridique, la confiance légitime, la loyauté contractuelle et l'estoppel ;
Sur les conclusions dirigées contre le jugement attaqué en tant qu'il statue sur la responsabilité pour rupture d'égalité devant les charges publiques :
3. Considérant que le tribunal administratif a relevé qu'il résulte des dispositions de l'article 27 de la loi du 10 juillet 1991 que la contribution versée aux avocats prêtant leur concours aux bénéficiaires de l'aide juridictionnelle n'implique pas que cette contribution, dont l'unité de valeur est déterminée annuellement par la loi de finances, couvre l'intégralité des frais et honoraires correspondants et que le législateur a ainsi entendu laisser à la charge des auxiliaires de justice une part du financement de l'aide juridictionnelle ; que le législateur, afin de garantir l'objectif d'intérêt général d'accès à la justice des plus démunis, a prévu un mécanisme de rétribution forfaitaire, qui laisse à la charge des avocats une partie des coûts liés à la mise en oeuvre de l'aide juridictionnelle ; que cette participation des avocats à la prise en charge de l'aide juridictionnelle trouve sa contrepartie dans le régime de représentation dont ils disposent devant les tribunaux, qui, sauf exceptions définies par la loi, leur confère un monopole de représentation ; qu'en se fondant sur l'objet même de la loi et en interprétant ainsi la portée des dispositions législatives en cause, le tribunal administratif n'a pas méconnu les principes qui régissent la responsabilité du fait des lois ; qu'en déduisant de ces motifs que le requérant n'était pas fondé à soutenir que la responsabilité de l'Etat était engagée pour rupture d'égalité devant les charges publiques, le tribunal administratif, qui a suffisamment motivé son jugement, n'a pas commis d'erreur de droit ;
Sur les conclusions dirigées contre le jugement en tant qu'il statue sur la responsabilité pour risque de l'Etat :
4. Considérant que le tribunal administratif a relevé qu'il résultait des dispositions précitées de la loi du 10 juillet 1991 que l'Etat a instauré et mis à sa charge un mode de rétribution spécifique et exclusif au profit des avocats intervenant au titre de l'aide juridictionnelle ; que la circonstance que cette rétribution ne couvrirait pas les charges de fonctionnement des avocats intervenant au titre de l'aide juridictionnelle ne saurait ouvrir droit à réparation sur le fondement de l'obligation de garantir les collaborateurs du service public contre les risques que leur fait courir leur participation à l'exécution du service public ; qu'ainsi, en écartant le moyen tiré de ce que la responsabilité de l'Etat serait engagée à l'égard de l'avocat en sa qualité de collaborateur du service public de la justice sur le fondement de la responsabilité pour risque, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit ;
Sur les conclusions dirigées contre le jugement en tant qu'il statue sur la responsabilité de l'Etat pour non respect de ses engagements internationaux :
5. Considérant qu'en estimant que le mécanisme de rétribution forfaitaire prévu par la loi du 10 juillet 1991, qui laisse à la charge des avocats chargés de la mission d'aide juridictionnelle une partie des coûts liés à cette aide, n'est pas par lui-même de nature à porter atteinte au droit des bénéficiaires de cette aide à un procès équitable et contradictoire préservant les droits de la défense, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit ; qu'il a pu, par suite, sans entacher son jugement d'erreur de droit, écarter les moyens tirés de la méconnaissance des paragraphes 1 et 3 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques ; que le moyen tiré de la violation de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est nouveau en cassation et, par suite, inopérant ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement attaqué ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.