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06/03/2015 | FRANCE | N°368010

France | France, Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 06 mars 2015, 368010


Vu la procédure suivante :

MM. A...etD..., en leur nom propre et en qualité d'ayants-droits de MmeC..., et la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier universitaire de Grenoble à réparer les préjudices résultant de la tétraplégie dont Mme C...avait été atteinte à la suite une opération pratiquée le 18 mars 2004 dans cet établissement. Par un jugement n° 0900995 du 26 décembre 2011, le tribunal administratif de Grenoble a condamné, d'une part, le centre hospitalier à verser à c

e titre 30 000 euros aux ayants-droits de MmeC..., 10 000 et 2 500 euros r...

Vu la procédure suivante :

MM. A...etD..., en leur nom propre et en qualité d'ayants-droits de MmeC..., et la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier universitaire de Grenoble à réparer les préjudices résultant de la tétraplégie dont Mme C...avait été atteinte à la suite une opération pratiquée le 18 mars 2004 dans cet établissement. Par un jugement n° 0900995 du 26 décembre 2011, le tribunal administratif de Grenoble a condamné, d'une part, le centre hospitalier à verser à ce titre 30 000 euros aux ayants-droits de MmeC..., 10 000 et 2 500 euros respectivement à M. A...et à M. B...C...et 281 512,12 euros à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Isère et, d'autre part, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes (ONIAM) à verser 30 000 euros aux ayants droits de MmeC....

Par un arrêt n° 12LY00617 du 14 février 2013, la cour administrative de Lyon, saisie d'un appel du centre hospitalier universitaire de Grenoble et d'appels incidents de MM. A... et D...et de la CPAM de l'Isère, a porté à 100 000 euros la somme à verser par le centre hospitalier aux ayants-droits de MmeC..., confirmé la condamnation du centre hospitalier à verser 281 512,12 euros à la CPAM de l'Isère, 10 000 euros à M. A... C...et 2 500 euros à M. B...C...et annulé la condamnation de l'ONIAM.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 avril et 22 juillet 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le centre hospitalier universitaire de Grenoble demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel contre le jugement du 26 décembre 2011 du tribunal administratif de Grenoble et de rejeter les appels incidents des consorts C...et de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier universitaire de Grenoble, à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, Poupot, avocat de MM.C..., à la SCP Roger, Sevaux, Mathonnet, avocat de l'ONIAM et à la SCP Boutet, Hourdeaux, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie d'Isère ;

1. Considérant que MmeC..., alors âgée de 56 ans, qui souffrait depuis plusieurs mois de céphalées matinales violentes et de troubles de l'équilibre, a subi le 18 mars 2004 au centre hospitalier universitaire de Grenoble une intervention chirurgicale en vue de l'exérèse complète d'un volumineux méningiome ; qu'à l'issue de cette intervention la patiente a présenté une tétraplégie complète ; qu'elle est décédée le 29 novembre 2008 ; que, saisi par MM. A... etD..., mari et fils de la victime agissant en qualité d'ayants droit de celle-ci et à titre personnel, d'une demande indemnitaire dirigée contre le centre hospitalier, le tribunal administratif de Grenoble a estimé que ce dernier avait omis d'informer la patiente des risques de l'intervention, lui faisant ainsi perdre une chance, évaluée à 50 %, d'éviter le dommage en refusant de la subir, et que les conditions prévues par le II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique pour une indemnisation des ayants droit au titre de la solidarité nationale étaient par ailleurs remplies ; que le tribunal a évalué les préjudices subis par Mme C...avant son décès à 60 000 euros, dont il mis la moitié à la charge du centre hospitalier au titre de la perte de chance et la moitié à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes (ONIAM) au titre de la solidarité nationale ; qu'il a en outre condamné le centre hospitalier à verser aux requérants, à titre personnel, des indemnités correspondant à la moitié de leurs préjudices propres et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère une somme correspondant à la moitié des frais exposés par elle du fait de la tétraplégie ; que, par l'arrêt du 14 février 2013 contre lequel le centre hospitalier universitaire de Grenoble se pourvoit, la cour administrative d'appel de Lyon a estimé, comme le tribunal administratif, que cet établissement était responsable d'une perte de chance de 50 % et a confirmé les sommes allouées à MM. A... et D...au titre de leurs préjudices propres et à la caisse primaire au titre de ses débours ; qu'en revanche, la cour, estimant que les premiers juges avaient fait une appréciation insuffisante des préjudices subis par MmeC..., a évalué ces préjudices à 356 400 euros dont 178 200 euros imputables au défaut d'information, constaté que les ayants droit limitaient leurs prétentions à 100 000 euros et, en conséquence, mis cette somme à la charge du centre hospitalier et déchargé l'ONIAM de toute obligation ;

Sur la faute du centre hospitalier de Grenoble :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) /En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen " ;

3. Considérant que, pour juger que le centre hospitalier de Grenoble ne s'était pas acquitté des obligations qui pesaient sur lui en vertu de ces dispositions législatives, la cour administrative d'appel a retenu que l'établissement n'apportait pas la preuve que Mme C... avait été informée, d'une part, des risques de tétraplégie que comportait l'intervention projetée et, d'autre part, de l'existence d'alternatives thérapeutiques moins efficaces mais moins risquées que l'exérèse complète du méningiome ; qu'en jugeant que le centre hospitalier avait méconnu les dispositions précitées, la cour a implicitement mais nécessairement retenu que le risque de tétraplégie était au nombre des risques graves normalement prévisibles de l'intervention pratiquée ; que si elle a admis que la patiente avait été informée de l'existence de " risques fonctionnels ", elle a pu, sans entacher son arrêt de contradiction de motifs ni de dénaturation, estimer que cette information était insuffisante et qu'une information spécifique sur le risque de tétraplégie était nécessaire en l'espèce ; que la cour n'a pas davantage dénaturé les faits de l'espèce en admettant l'existence d'alternatives thérapeutiques moins efficaces mais moins risquées que l'exérèse complète du méningiome ; qu'il ne ressort pas des motifs de l'arrêt qu'elle ait estimé que seul un document écrit signé par la patiente aurait été de nature à apporter la preuve de l'information ;

4. Considérant que lorsqu'une intervention est impérieusement requise, en sorte que le patient ne dispose d'aucune possibilité raisonnable de refus, le défaut d'information ne peut normalement entraîner une perte de chance de se soustraire au risque que cette intervention comporte ; qu'en l'espèce, ainsi qu'il a été dit, la cour administrative d'appel a porté une appréciation souveraine exempte de dénaturation en estimant qu'il existait des alternatives thérapeutiques moins risquées à l'exérèse complète du méningiome ; qu'elle a pu, sans commettre d'erreur de droit, en déduire que cette intervention n'était pas impérieusement requise et que le défaut d'information avait fait perdre à Mme C...une chance d'échapper à l'accident qui était survenu ; que son arrêt est sur ce point suffisamment motivé ;

Sur l'indemnisation des préjudices de Mme C...par le centre hospitalier et par l'ONIAM :

5. Considérant que si les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique font obstacle à ce que l'ONIAM supporte au titre de la solidarité nationale la charge de réparations incombant aux personnes responsables d'un dommage en vertu du I du même article, elles n'excluent toute indemnisation par l'office que si le dommage est entièrement la conséquence directe d'un fait engageant leur responsabilité ; que dans l'hypothèse où un accident médical non fautif est à l'origine de conséquences dommageables mais où une faute commise par une personne mentionnée au I de l'article L. 1142-1 a fait perdre à la victime une chance d'échapper à l'accident ou de se soustraire à ses conséquences, le préjudice en lien direct avec cette faute est la perte de chance d'éviter le dommage corporel advenu et non le dommage corporel lui-même, lequel demeure tout entier en lien direct avec l'accident non fautif ; que si un tel accident ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale si l'ensemble de ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l'article L. 1142-1, et présentent notamment le caractère de gravité requis, l'indemnité due par l'ONIAM est réduite du montant de celle mise, le cas échéant, à la charge du responsable de la perte de chance, égale à une fraction du dommage corporel correspondant à l'ampleur de la chance perdue ;

6. Considérant qu'en pareil cas, l'article L. 1142-1 confère à la réparation par la solidarité nationale un caractère subsidiaire par rapport à l'indemnisation due par l'établissement de santé responsable au titre de la perte de chance ; que, par suite, lorsque le montant des indemnités réclamées par la victime ou ses ayants droit est inférieur au montant du dommage corporel tel qu'il est évalué par le juge, l'indemnisation incombe en priorité à l'établissement dans la limite de son obligation, déterminée en appliquant le pourcentage de la perte de chance au montant du dommage corporel ; que l'ONIAM assume uniquement, le cas échéant, la part de l'indemnité demandée qui excède l'obligation de l'établissement ;

7. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 1, après avoir fixé à 50 % la perte de chance ayant résulté de la faute commise par le centre hospitalier de Grenoble, la cour administrative d'appel de Lyon a évalué l'ensemble des préjudices subis par Mme C...à 356 400 euros, dont 178 200 euros imputables au centre hospitalier ; que, constatant qu'au titre de ces préjudices ses ayants-droits avaient demandé 100 000 euros devant le tribunal administratif de Grenoble, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en condamnant le centre hospitalier à leur verser cette somme, puis en constatant qu'il ne subsistait aucune somme devant être supportée par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Grenoble n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon qu'il attaque ;

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Grenoble, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 3 500 euros à verser à l'ONIAM, la somme globale de 4 000 euros à verser à MM. A...et D...et la somme de 2 400 euros à verser à la CPAM de l'Isère ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi du centre hospitalier universitaire de Grenoble est rejeté.

Article 2 : Le centre hospitalier de Grenoble versera, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 3 500 euros à l'ONIAM, la somme globale de 4 000 euros à MM. A...et D...et la somme 2 400 euros à la CPAM de l'Isère.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier universitaire de Grenoble, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, à M. A...C...et à M. B... C....


Synthèse
Formation : 5ème et 4ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 368010
Date de la décision : 06/03/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 06 mar. 2015, n° 368010
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Gautier-Melleray
Rapporteur public ?: Mme Fabienne Lambolez
Avocat(s) : LE PRADO ; SCP ROGER, SEVAUX, MATHONNET ; SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD, POUPOT ; SCP BOUTET, HOURDEAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:368010.20150306
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