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11/02/2015 | FRANCE | N°372501

France | France, Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 11 février 2015, 372501


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 septembre et 27 décembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société "Tamoul Télévision Network" (TTN), dont le siège est 5-7, rue Emile Zola à La Courneuve (93120), représentée par son gérant en exercice ; la société TTN demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 31 juillet 2013 par laquelle le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel a rejeté sa demande de conventionnement d'un service de télévision dénommé "Tamoul Tél

vision Network" ;

2°) d'enjoindre au Conseil supérieur de l'audiovisuel de statue...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 septembre et 27 décembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société "Tamoul Télévision Network" (TTN), dont le siège est 5-7, rue Emile Zola à La Courneuve (93120), représentée par son gérant en exercice ; la société TTN demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 31 juillet 2013 par laquelle le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel a rejeté sa demande de conventionnement d'un service de télévision dénommé "Tamoul Télévision Network" ;

2°) d'enjoindre au Conseil supérieur de l'audiovisuel de statuer à nouveau sur sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Leïla Derouich, auditeur,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de la SARL " Tamoul Télévision Network " (TTN) ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, le 23 mai 2013, la société " Tamoul Télévision Network " (TTN) a saisi le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) d'une demande de conventionnement d'un service de télévision dénommé " Tamoul Télévision Network ", sur le fondement de l'article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ; que la société TTN demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 24 juillet 2013, notifiée le 31 juillet suivant, par laquelle le CSA a rejeté cette demande au motif que la diffusion du programme de la chaîne TTN était susceptible de créer de graves risques pour l'ordre public en raison de liens étroits entre la société demanderesse et le mouvement " Liberation Tigers of Tamil Eelam " (LTTE), qui avait le caractère d'une organisation terroriste ;

2. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986 que les services de télévision qui souhaitent être diffusés par satellite ou distribués sur les réseaux câblés doivent conclure avec le CSA une convention ; que ces dispositions donnent au CSA compétence pour refuser de conclure une telle convention ; que, pour prendre sa décision, le Conseil peut se fonder sur la sauvegarde de l'ordre public qui, en vertu de l'article 1er de la même loi, peut limiter, dans la mesure requise, l'exercice de la liberté de la communication audiovisuelle ; qu'il lui incombe alors, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de concilier l'exercice de ses pouvoirs avec le respect de cette liberté ;

3. Considérant, en premier lieu que, contrairement à ce que soutient la société requérante, il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée a été adoptée lors d'une séance à laquelle les neuf membres du CSA ont participé ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le quorum de six membres prévu à l'article 4 de la loi du 30 septembre 1986 n'était pas atteint manque en fait ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des éléments précis versés au dossier par le CSA que le service de télévision objet de la demande de conventionnement dont le rejet est contesté présente de nombreuses similitudes avec un service de télévision dont le CSA avait, par une décision du 31 août 2006 motivée par ses liens étroits avec l'organisation LLTE, refusé le conventionnement et interdit la diffusion effectuée illégalement depuis 2002 ; qu'il porte notamment la même dénomination, a adopté le même logo, diffuse depuis le même siège social ; que l'unique salarié recruté par la société requérante travaillait auparavant pour ce service ; qu'en se bornant à justifier l'emploi du même logo par sa notoriété auprès du public et des annonceurs et à affirmer qu'elle n'a pas de lien avec les sociétés qui avaient créé et financé le précédent service du même nom, la société requérante ne met pas sérieusement en doute la continuité entre les deux services ;

5. Considérant, en troisième lieu, que le CSA a également tenu compte des indications que le ministre de l'intérieur lui a communiquées par une lettre du 24 juillet 2013 versée au dossier, selon lesquelles " la chaîne TTN continue d'être intimement liée au mouvement terroriste des " Liberation Tigers of Tamil Eelam (LTTE) " et " le comité de coordination Tamoul France (CCTF) oeuvre activement depuis environ un an à la relance de l'ex-chaîne de télévision TTN, vecteur historique de propagande pour l'organisation terroriste [LTTE] " ;

6. Considérant que le CCTF a été condamné à la dissolution par un arrêt du 22 février 2012 de la cour d'appel de Paris, notamment pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme et financement d'entreprise terroriste ; que, par une décision du 29 mai 2006, le Conseil de l'Union européenne a inscrit l'organisation LTTE sur la liste des organisations terroristes, en application de l'article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 2580/2001 du Conseil, du 27 décembre 2001, concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ; que si la société requérante soutient que l'organisation LTTE ne constituerait pas une organisation terroriste, en se prévalant notamment d'un arrêt du Tribunal de l'Union européenne du 16 octobre 2014 (affaires T-208/11 et T-508/11) qui annule les règlements successifs d'exécution du Conseil de l'Union européenne maintenant l'organisation LTTE sur la liste des organisations terroristes annexée à ces règlements, il ressort des motifs de cet arrêt que le Tribunal a prononcé ces annulations pour des " motifs fondamentaux de procédure " tirés de ce que l'interdiction prononcée par les règlements attaqués à l'égard de l'organisation LTTE était exclusivement motivée par référence à des articles de presse et non à des décisions d'autorités d'Etats membres ; qu'il a précisé au point 226 de son arrêt que les annulations " n'impliquent aucune appréciation de fond sur la question de la qualification de la requérante de groupe terroriste au sens de la position commune 2001/931 " ; qu'il a, par ailleurs, maintenu les effets du règlement d'exécution n° 790/2014 pendant trois mois à compter du prononcé de l'arrêt ; que, dans ces conditions, son arrêt n'est pas de nature à faire regarder comme entachée d'erreur d'appréciation la décision par laquelle le CSA a estimé que la diffusion d'un service de télévision lié à l'organisation en cause était susceptible de créer en France des troubles à l'ordre public ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le CSA ne s'est pas livré, en l'état des éléments dont il disposait, à une appréciation erronée des circonstances de l'espèce en estimant, par une décision suffisamment motivée, que les risques pour l'ordre public susceptibles d'être créés par la diffusion du programme de télévision proposé par la société TTN étaient d'une gravité suffisante pour justifier le rejet de la demande de conventionnement de ce service ; que, par suite, la société TTN n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 24 juillet 2013 ; que sa requête doit, dès lors, être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la société TTN est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Tamoul Télévision Network, au Conseil supérieur de l'audiovisuel, à la ministre de la culture et de la communication et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 5ème et 4ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 372501
Date de la décision : 11/02/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 fév. 2015, n° 372501
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Leïla Derouich
Rapporteur public ?: M. Nicolas Polge
Avocat(s) : SCP ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:372501.20150211
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