Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 septembre 2012 et 29 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Casino du grand café, dont le siège est au 7, rue du Casino BP 2804 à Vichy (03280) ; la société Casino du grand café demande au Conseil d'Etat
1°) d'annuler l'arrêt n° 11LY02568 du 10 juillet 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0902162 du 20 septembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à la restitution des prélèvements sur le produit brut des jeux qu'elle a acquittés au titre de la période du 1er novembre 2004 au 31 octobre 2008, et, d'autre part, au prononcé de cette restitution ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 7 janvier 2015, présentée pour la société Casino du grand café ;
Vu la Constitution ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi du 15 juin 1907 réglementant les jeux dans les cercles et les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques ;
Vu la loi du 29 avril 1926 portant budget général de 1926 ;
Vu la loi n° 71-1028 du 24 décembre 1971 ;
Vu la loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990 ;
Vu la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 ;
Vu la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 ;
Vu la loi n°2009-888 du 22 juillet 2009 ;
Vu l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 ;
Vu le décret n°59-1489 du 22 décembre 1959 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie-Gabrielle Merloz, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de la société Casino du grand café ;
1. Considérant qu'au cours de la période du 1er novembre 2004 au 31 octobre 2008, la société Casino du grand café exploitait un casino dans les conditions fixées par la loi du 15 juin 1907 relative aux casinos et était soumise à ce titre à plusieurs prélèvements sur le produit brut des jeux, à savoir le prélèvement progressif sur le produit brut des jeux institué par les dispositions combinées de l'article 4 alors en vigueur de cette loi et de l'article 14 alors en vigueur de la loi du 29 avril 1926 portant budget général de 1926, le prélèvement institué par la commune en application de l'article L. 2333-54 du code général des collectivités territoriales, le prélèvement fixe de 0,5 % sur le produit brut des jeux dans les casinos et de 2 % sur le produit brut des jeux des appareils automatiques de jeux d'argent établi par l'article 50 de la loi du 29 décembre 1990 de finances pour 1991, la contribution sur le produit brut de certains jeux réalisé dans les casinos prévue par l'article L. 136-7-1 du code de la sécurité sociale et la contribution sur la totalité du produit brut des jeux réalisé dans les casinos, établie en application de l'article 18 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale ;
2. Considérant que la société Casino du grand café a demandé la restitution de l'ensemble des prélèvements acquittés au titre de la période du 1er novembre 2004 au 31 octobre 2008, pour un montant total de 21 374 482,58 euros, en soutenant que la notion de " produit brut des jeux " qui, selon les textes législatifs mentionnés au point 1, constituait l'assiette de ces prélèvements, n'était précisément définie, avant l'intervention de l'article 129 de la loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008, que par les dispositions du décret du 22 décembre 1959 portant réglementation des jeux dans les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques, en méconnaissance des dispositions de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 aux termes desquelles la loi fixe les règles concernant " l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures " ; que toutefois, par le paragraphe III de l'article 27 de la loi du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques, le législateur a validé, sous réserve des décisions passées en force de chose jugée, " les prélèvements spécifiques aux jeux des casinos exploités en application de la loi du 15 juin 1907 relative aux casinos, dus au titre d'une période antérieure au 1er novembre 2009, en tant qu'ils seraient contestés par un moyen tiré de ce que leur assiette ou leurs modalités de recouvrement ou de contrôle ont été fixées par voie réglementaire " ; que sa réclamation ayant été implicitement rejetée, la société a saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand qui, par jugement du 20 septembre 2011, a rejeté sa demande tendant à la restitution de ces prélèvements ; que la requête d'appel dirigée contre ce jugement a été rejetée par un arrêt n° de la cour administrative d'appel de Lyon du 10 juillet 2012, contre lequel la société se pourvoit en cassation ;
Sur le moyen tiré de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
3. Considérant qu'aux termes de cet article : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ;
4. Considérant qu'une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte ; qu'à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations ; que, par ailleurs, si ces stipulations ne font en principe pas obstacle à ce que le législateur adopte de nouvelles dispositions remettant en cause, fût-ce de manière rétroactive, des droits patrimoniaux découlant de lois en vigueur, ayant le caractère d'un bien au sens de ces stipulations, c'est à la condition de ménager un juste équilibre entre l'atteinte portée à ces droits et les motifs d'intérêt général susceptibles de la justifier ;
5. Considérant qu'il résultait de l'article 18 du décret du 22 décembre 1959 mentionné au point 2, alors en vigueur, que les sommes représentant le montant des prélèvements en cause sont la propriété, non des exploitants des casinos, mais de l'Etat et des autres bénéficiaires de ces prélèvements, dès leur entrée dans la " cagnotte " du casino pour les jeux de cercle et dès leur inscription sur les carnets de prélèvement pour les jeux de contrepartie et les " machines à sous " ; qu'ainsi, les exploitants de casinos ne sont, s'agissant des sommes correspondant à ces prélèvements, que dépositaires de fonds publics pour le compte de collectivités publiques ; que la société requérante ne peut dès lors revendiquer la propriété d'un " bien " auquel il aurait été porté atteinte, au sens de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
6. Considérant, au demeurant, qu'à la date du 24 décembre 2008 à laquelle la société requérante a présenté sa réclamation, il ne résultait ni de dispositions législatives en vigueur ni de la jurisprudence que les prélèvements sur le produit brut des jeux relevaient de la catégorie des impositions de toutes natures au sens de l'article 34 de la Constitution ; qu'en effet, d'une part, les prélèvements sur le produit brut des jeux dans les casinos, qui relevaient jusqu'alors de la catégorie des recettes non fiscales dans les états législatifs annexés aux lois de finances, n'ont été rattachés à la catégorie des recettes fiscales de l'Etat, dans les états annexés à la loi de finances, que par les dispositions de la loi de finances pour 2009, adoptée le 17 décembre 2008 mais promulguée le 27 décembre 2008 ; que ce sont les dispositions de l'article 129 de la loi de finances rectificative pour 2008, adoptée le 22 décembre 2008 mais promulguée le 30 décembre 2008, qui ont inséré la définition de l'assiette de ces prélèvements dans la partie législative du code général des collectivités territoriales ; que, d'autre part, il résultait alors tant de la jurisprudence du Conseil d'Etat, notamment de sa décision n° 2409 du 3 novembre 1978, que de celle de la Cour de cassation, en particulier de son arrêt n° 81-94160 du 6 juillet 1982, que les prélèvements en cause ne pouvaient être regardés comme des impositions frappant des recettes appartenant aux exploitants des casinos, les sommes correspondantes appartenant d'emblée aux bénéficiaires de ces prélèvements ; que la société requérante ne saurait utilement se prévaloir, à cet égard, des décisions du Conseil d'Etat n°176777 du 29 mars 2000 et n° 197770 du 20 octobre 2000, celles-ci se bornant à qualifier d'impositions, pour l'application des dispositions de l'article 10 de la loi du 24 décembre 1971 instituant un fonds intercommunal de péréquation en Polynésie française, les prélèvements, propres à ce territoire, sur les mises des loteries, sur les mises participantes des jeux et sur les gains perçus dans ces jeux ; que, par suite, à la date à laquelle elle a présenté sa réclamation, la société requérante ne pouvait pas faire état de l'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent, susceptible d'être regardée comme un bien au sens des stipulations précitées de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 5 et 6 que le moyen tiré de ce que les dispositions du paragraphe III de l'article 27 de la loi du 22 juillet 2009 ont méconnu ces stipulations était inopérant ; que ce motif, qui n'implique aucune appréciation de fait, doit être substitué à celui retenu par la cour dans l'arrêt attaqué, dont il justifie légalement le dispositif sur ce point ;
Sur les autres moyens du pourvoi :
8. Considérant que si la cour s'est inspirée, pour la rédaction d'une partie de son arrêt, des termes de la décision n° 2010-53 QPC du 14 octobre 2010 par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du paragraphe III de l'article 27 de la loi du 22 juillet 2009, il n'en résulte ni qu'elle se soit méprise sur son office ni que son arrêt soit insuffisamment motivé ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de la société Casino du grand café doit être rejeté ; que, par suite, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Casino du grand café est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Casino du grand café et au ministre des finances et des comptes publics.