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14/01/2015 | FRANCE | N°381996

France | France, Conseil d'État, 2ème ssjs, 14 janvier 2015, 381996


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 juin et 15 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. B...A..., élisant domicile ...; M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1403572 du 10 juin 2014 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative et par application de l'article L. 522-3 du même code, a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la suspension de l'exécution de l'arrêté

du 27 mai 2014 par lequel le préfet du Nord a décidé de sa réadmission ...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 juin et 15 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. B...A..., élisant domicile ...; M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1403572 du 10 juin 2014 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative et par application de l'article L. 522-3 du même code, a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 27 mai 2014 par lequel le préfet du Nord a décidé de sa réadmission en Espagne, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord, sous astreinte, de l'admettre au séjour en qualité de demandeur d'asile, et, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 72 heures, enfin, à ce qu'il soit enjoint au préfet de veiller à ce qu'il dispose de conditions d'accueil décentes ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yves Doutriaux, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Xavier Domino, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. A...;

1. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que M. B...A..., ressortissant ivoirien né le 22 novembre 1988, est entré irrégulièrement en France après être entré dans l'espace européen par l'Espagne ; que, s'il a sollicité l'admission au statut de réfugié en France le 3 mars 2014, le préfet du Nord, par arrêté du 18 mars 2014, a refusé de l'admettre au séjour en qualité de demandeur d'asile et, après accord des autorités espagnoles, a décidé sa réadmission en Espagne par un arrêté du 27 mai 2014 ; que M. A...a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille d'une demande fondée sur les dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que cette demande a été rejetée par une ordonnance du 10 juin 2014, rendue par application de l'article L. 522-3, contre laquelle M. A...se pourvoit en cassation ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. " ;

3. Considérant que, pour rejeter la demande de M.A..., le juge des référés a estimé que la condition d'urgence n'était pas remplie, en relevant que l'intéressé avait disposé d'un délai d'un mois pour exécuter la décision de réadmission et qu'il se bornait à invoquer sa situation précaire et l'impossibilité de percevoir des allocations ainsi qu'à soulever des moyens dirigés contre le refus d'admission au séjour, devenu définitif ;

4. Considérant, toutefois, qu'une décision de remise à un Etat étranger, susceptible d'être exécutée d'office en vertu des articles L. 531-1 et L. 531-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, crée pour son destinataire une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que, par suite, le juge des référés, en estimant que la condition d'urgence n'était pas remplie, a commis une erreur de droit ; que l'ordonnance attaquée doit, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, être annulée ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

6. Considérant que le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié ; que, s'il implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, ce droit s'exerce dans les conditions définies par l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'en vertu du 1° de cet article, l'admission en France d'un étranger qui demande à être admis au bénéfice de l'asile peut être refusée si l'examen de sa demande relève de la compétence d'un autre Etat en application des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

7. Considérant qu'en vertu de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013, il appartient aux autorités compétentes des Etats membres d'informer le demandeur d'asile sur l'application du règlement, par écrit et dans une langue qu'il comprend ou dont on peut raisonnablement penser qu'il la comprend, en utilisant une brochure commune rédigée par la Commission ; qu'il résulte de l'instruction que les brochures visées par le règlement ont été diffusées par la Commission aux Etats membres au début du mois de mars 2014 et qu'elles ont été effectivement disponibles dans les préfectures, après adaptation et impression, à la fin du mois d'avril 2014 ; que si M.A..., à l'occasion du dépôt de sa demande d'admission au séjour en qualité de demandeur d'asile le 4 mars 2014, ne s'est ainsi pas vu remettre la brochure relative à l'application du règlement du 26 juin 2013, il a toutefois reçu la brochure rédigée dans une langue qu'il comprend, réalisée précédemment en application du règlement antérieur ; qu'il n'est pas soutenu que des informations essentielles n'auraient, de ce fait, pas été portées à la connaissance de M. A...; que, dans ces conditions, M. A...n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que le défaut de remise de la nouvelle brochure aurait été de nature, dans les circonstances de l'espèce, à porter une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile ;

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'entretien individuel, requis par l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, a été effectué le 4 mars 2014 ;

9. Considérant que, si le requérant soutient que le préfet, en décidant sa réadmission en Espagne, a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile, l'exécution de cette mesure de réadmission vers un Etat membre de l'Union européenne qui a ratifié la convention de Genève et ses protocoles additionnels ainsi que la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne saurait, par elle-même, être regardée comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile ;

10. Considérant que, s'il appartient à l'autorité compétente de procurer aux demandeurs d'asile les conditions matérielles d'accueil prévues par le code de l'action sociale et des familles, le juge des référés ne peut faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative en adressant une injonction à l'administration que dans le cas où, d'une part, le comportement de celle-ci fait apparaître une méconnaissance manifeste de ces exigences et où, d'autre part, il résulte de ce comportement des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation de famille ; qu'il résulte de l'instruction que M. A...a été, dans un premier temps, accueilli en hébergement d'urgence ; que, s'il a été mis fin à cet hébergement, le 31 mars 2014, l'intéressé est célibataire et sans charges de famille ; qu'aucune méconnaissance grave et manifeste des obligations qu'impose le respect du droit d'asile ne peut être en l'espèce retenue ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la demande présentée par M. A...sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, qui a disposé de voies de recours effectives, ne peut qu'être rejetée ;

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, au titre des frais exposés par M. A...et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille du 10 juin 2014 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. A...devant le juge des référés du tribunal administratif de Lille et les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 2ème ssjs
Numéro d'arrêt : 381996
Date de la décision : 14/01/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 jan. 2015, n° 381996
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Yves Doutriaux
Rapporteur public ?: M. Xavier Domino
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:381996.20150114
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