La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/12/2014 | FRANCE | N°382375

France | France, Conseil d'État, 10ème ssjs, 23 décembre 2014, 382375


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 7 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...A...et le groupe des élus d'opposition du Conseil général de la Haute-Saône demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-164 du 17 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département de la Haute-Saône ainsi que la décision du 29 avril 2014 rejetant son recours gracieux formé contre ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des disp

ositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu :

- les autres...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 7 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...A...et le groupe des élus d'opposition du Conseil général de la Haute-Saône demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-164 du 17 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département de la Haute-Saône ainsi que la décision du 29 avril 2014 rejetant son recours gracieux formé contre ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code électoral, notamment son article L. 191-1 ;

- le code général des collectivités territoriales, notamment ses articles 3113-1 et L. 3113-2 ;

- la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 ;

- le décret n° 2013-938 du 18 octobre 2013, modifié par le décret n° 2014-112 du 6 février 2014 ;

- la décision du 6 octobre 2014 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M.A... ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Timothée Paris, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 191-1 du code électoral, résultant de la loi du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires et modifiant le calendrier électoral : " Le nombre de cantons dans lesquels sont élus les conseillers départementaux est égal, pour chaque département, à la moitié du nombre de cantons existant au 1er janvier 2013, arrondi à l'unité impaire supérieure si ce nombre n'est pas entier impair. / Le nombre de cantons dans chaque département comptant plus de 500 000 habitants ne peut être inférieur à dix-sept. Il ne peut être inférieur à treize dans chaque département comptant entre 150 000 et 500 000 habitants ".

2. Aux termes de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la même loi, applicable à la date du décret attaqué : " I. - Les modifications des limites territoriales des cantons, les créations et suppressions de cantons et le transfert du siège de leur chef-lieu sont décidés par décret en Conseil d'Etat après consultation du conseil général qui se prononce dans un délai de six semaines à compter de sa saisine. A l'expiration de ce délai, son avis est réputé rendu. (...) III. - La modification des limites territoriales des cantons effectuée en application du I est conforme aux règles suivantes : / a) Le territoire de chaque canton est défini sur des bases essentiellement démographiques ; / b) Le territoire de chaque canton est continu ; / c) Est entièrement comprise dans le même canton toute commune de moins de 3 500 habitants ; / IV. - Il n'est apporté aux règles énoncées au III que des exceptions de portée limitée, spécialement justifiées, au cas par cas, par des considérations géographiques (...) ou par d'autres impératifs d'intérêt général. ".

3. Sur le fondement des dispositions de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales citées au point 2, le décret attaqué a procédé à une nouvelle délimitation des cantons du département de la Haute-Saône, compte tenu de l'exigence de réduction du nombre des cantons de ce département de trente-deux à dix-sept résultant de l'application de l'article L. 191-1 du code électoral.

Sur la régularité de la procédure juridictionnelle devant le Conseil d'Etat :

4. Il résulte des dispositions de l'article R. 122-21-1 du code de justice administrative que les membres du Conseil d'Etat qui ont participé à un avis rendu sur un projet d'acte soumis par le Gouvernement ne participent pas au jugement des recours mettant en cause ce même acte. En vertu de l'article R. 122-21-2 du même code, lorsque le Conseil d'Etat est saisi d'un recours contre un acte pris après avis d'une de ses formations consultatives, il est loisible au requérant de demander la liste des membres ayant pris part à la délibération de cet avis. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison de la dualité de fonctions du Conseil d'Etat doit être écarté.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

5. Il résulte des termes mêmes de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales que la détermination des limites territoriales des cantons, leur création ou leur suppression sont décidées par décret en Conseil d'Etat. Il suit de là que le moyen tiré de ce que la délimitation des cantons à laquelle a procédé le décret attaqué n'aurait pu résulter que d'une loi doit être écarté.

6. Aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ". Les ministres chargés de l'exécution sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution des actes en cause. En l'espèce, aucune disposition du décret attaqué, qui se borne à procéder à la délimitation des circonscriptions électorales que sont les cantons du département de la Haute-Saône, n'appelle de mesure d'exécution que le garde des sceaux, ministre de la justice serait compétent pour signer ou contresigner. Il suit de là que le moyen tiré du défaut de contreseing de ce ministre ne peut qu'être écarté.

7. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, ni le principe de libre administration des collectivités territoriales garanti par l'article 72 de la Constitution, ni aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait de procéder, préalablement à l'intervention du décret attaqué, à une consultation des communes et des établissements publics de coopération intercommunale.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

8. Il résulte de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales que le territoire de chaque canton doit être établi sur des bases essentiellement démographiques, qu'il doit être continu et que toute commune de moins de 3 500 habitants doit être entièrement comprise dans un même canton, et qu'il ne peut être apporté à ces règles que des exceptions de portée limitée, spécialement justifiées.

En ce qui concerne les moyens relatifs aux chiffres de la population :

Quant à l'absence de prise en compte du nombre des électeurs :

9. D'une part, la délimitation des cantons sur des bases essentiellement démographiques implique qu'elle soit faite en prenant en considération non le nombre des électeurs mais le chiffre de la population. D'autre part, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n'impose que la prise en compte de ce chiffre soit corrigée par celle du nombre des électeurs du département. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué se serait à tort fondé sur les chiffres de la population et non sur le nombre des électeurs doit être écarté.

Quant aux chiffres de la population retenus par le décret attaqué :

10. Il est soutenu que le décret attaqué a été élaboré sans tenir compte des données démographiques les plus récentes issues du décret du 27 décembre 2013. L'article 71 du décret du 18 octobre 2013, dans sa rédaction applicable à la date du décret attaqué résultant de l'article 8 du décret du 6 février 2014 portant différentes mesures d'ordre électoral, prévoit toutefois que : " (...) Pour la première délimitation générale des cantons opérée en application de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de l'article 46 de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, (...), le chiffre de la population municipale auquel il convient de se référer est celui authentifié par le décret n° 2012-1479 du 27 décembre 2012 authentifiant les chiffres des populations (...) ".

11. Les requérants invoquent, par la voie de l'exception, l'illégalité des dispositions citées au point précédent.

12. En premier lieu, contrairement à ce qui est soutenu, le décret contesté par la voie de l'exception d'illégalité n'appelait aucune mesure d'exécution que le ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique et la ministre des outre-mer auraient été compétents pour signer ou contresigner. Il n'avait pas, en conséquence, à porter le contreseing de ces ministres.

13. En deuxième lieu, la délimitation des nouvelles circonscriptions cantonales devait, conformément aux dispositions de l'article 7 de la loi du 11 juillet 1990, être effectuée au plus tard un an avant le prochain renouvellement général des conseils généraux. Pour apprécier les conditions d'adoption de l'ensemble des décrets de délimitation des circonscriptions cantonales, il convient de tenir compte des délais inhérents à leur élaboration, à la consultation des conseils généraux et à la saisine pour avis du Conseil d'Etat. Il convient également de tenir compte de la circonstance que la déclinaison à l'échelon infra-communal des chiffres de population applicables à compter du 1er janvier 2014, nécessaire à la délimitation de certains cantons, n'était pas disponible à la date à laquelle devait être entreprise la délimitation des nouvelles circonscriptions cantonales. Il s'ensuit que, alors même que le décret n° 2013-1289 du 27 décembre 2013 authentifie les chiffres de population auxquels il convient, en principe, de se référer pour l'application des lois et règlements à compter du 1er janvier 2014, le décret contesté par la voie de l'exception a pu légalement prévoir que le chiffre de population municipale auquel il convenait de se référer était le chiffre authentifié par le décret n° 2012-1479 du 27 décembre 2012.

14. En dernier lieu, la circonstance que le décret contesté par la voie de l'exception aurait des conséquences sur l'application des règles relatives aux dépenses de campagne est sans incidence sur sa légalité.

15. Il résulte des points 12, 13 et 14 que le décret attaqué a pu légalement faire application des dispositions citées au point 10 dont il résulte qu'il devait tenir compte des données démographiques issues du décret du 27 décembre 2012 et non de celles issues du 25 décembre 2013. Il s'ensuit que, contrairement à ce qui est soutenu, le décret attaqué a pu légalement procéder à une nouvelle délimitation des cantons de la Haute-Saône sur la base du chiffre de la population authentifiée au 1er janvier 2013.

16. Il est enfin soutenu que l'absence de concordance entre les îlots regroupés pour l'information statistique établis par l'INSEE et les limites des circonscriptions cantonales aurait empêché le Premier ministre de procéder à une délimitation de ces circonscriptions reposant sur des données démographiques précises. Au soutien de ce moyen, les requérants se bornent à alléguer que des erreurs auraient été relevées s'agissant des cantons comprenant le territoire de la commune de Vesoul. Ce moyen n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Il doit, par suite, être écarté.

En ce qui concerne la prise en compte des circonscriptions législatives ou d'autres subdivisions administratives :

17. Ni les dispositions de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, ni aucun autre texte non plus qu'aucun principe n'imposent au Premier ministre de prévoir que les limites des cantons, qui sont des circonscriptions électorales, coïncident avec les limites des anciens cantons, des circonscriptions législatives et des ressorts judiciaires non plus qu'avec les périmètres des établissements publics de coopération intercommunale figurant dans le schéma départemental de coopération intercommunale, des " bassins de vie " ou des îlots regroupés pour l'information statistique (IRIS) définis par l'Institut national de la statistique et des études économiques. De même, si l'article L. 192 du code électoral, dans sa rédaction antérieure à l'intervention de la loi précitée du 17 mai 2013, relatif aux modalités de renouvellement des conseils généraux, faisait référence aux arrondissements, aucun texte en vigueur à la date du décret attaqué ne mentionne les arrondissements, circonscriptions administratives de l'Etat, pour la détermination des limites cantonales. Par suite, les requérants ne sauraient se prévaloir de ce que la délimitation de plusieurs cantons du département de la Haute-Saône ne correspondrait pas à celle d'autres circonscriptions électorales ou de subdivisions administratives pour soutenir que le décret attaqué serait illégal.

En ce qui concerne les écarts de population :

18. Le décret attaqué ne concerne que le département de la Haute-Saône. Le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas procédé à un rééquilibrage des écarts de population par canton d'un département à un autre doit donc être écarté.

19. Le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation au motif qu'il favoriserait la représentation des cantons urbains au détriment des cantons ruraux n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Il doit, par suite, être écarté.

En ce qui concerne la possibilité d'adopter une carte cantonale différente :

20. Les requérants ne contestent pas que le Premier ministre a fait application des règles qui s'imposaient à lui en vertu des dispositions de l'article L. 3113-2 précité du code général des collectivités territoriales pour procéder à la délimitation des cantons dans le département de la Haute-Saône. Alors même qu'ils estimeraient que d'autres délimitations auraient été préférables, ils n'apportent pas d'élément précis de nature à établir que les choix auxquels il a été procédé reposeraient sur des considérations arbitraires et que le décret serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

21. Le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

22. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur, M. A...et le groupe des élus d'opposition du conseil général de la Haute-Saône ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret attaqué. Par voie de conséquence, les conclusions qu'ils ont présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A...et du groupe des élus d'opposition du conseil général de la Haute-Saône est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et au groupe des élus d'opposition du conseil général de la Haute-Saône.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 10ème ssjs
Numéro d'arrêt : 382375
Date de la décision : 23/12/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 déc. 2014, n° 382375
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Timothée Paris
Rapporteur public ?: Mme Aurélie Bretonneau

Origine de la décision
Date de l'import : 17/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:382375.20141223
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award