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28/11/2014 | FRANCE | N°378811

France | France, Conseil d'État, 3ème ssjs, 28 novembre 2014, 378811


Vu la procédure suivante :

I°) Par une requête, enregistrée sous le n° 378811 le 28 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E...AC...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-271 du 27 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département des Bouches-du-Rhône ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

II°) Par une requête, enregistrée sous le n° 378888 le 28 avril 2014 au secrétariat du

contentieux du Conseil d'Etat, M. H...Z..., M. AD...T..., M. S...B..., M. D...AE..., M.AG......

Vu la procédure suivante :

I°) Par une requête, enregistrée sous le n° 378811 le 28 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E...AC...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-271 du 27 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département des Bouches-du-Rhône ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

II°) Par une requête, enregistrée sous le n° 378888 le 28 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. H...Z..., M. AD...T..., M. S...B..., M. D...AE..., M.AG..., M. X...O..., M. F...Q..., M. C...R..., M. AF...I..., M. A...AB..., Mme G...W..., M. D...K..., Mme U...AH..., M. J...L..., M. M... Y..., Mme N...P...et Mme V...AA...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-271 du 27 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département des Bouches-du-Rhône ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code électoral ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le décret n° 2013-938 du 18 octobre 2013 ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Angélique Delorme, auditeur,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. E...AC..., de M. H...Z..., de M. AD...T..., de M. S... B..., de M. D...AE..., de M.AG..., de M. X...O..., de M. F...Q..., de M. C...R..., de M. AF...I..., de M. A...AB..., de Mme G...W..., de M. N...K..., de Mme U...AH..., de M. J...L..., de M. M...Y..., de Mme N...P...et de Mme V...AA...;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes de M. AC...et de M. Z...et autres sont dirigées contre le même décret. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes de l'article L. 191-1 du code électoral, résultant de la loi du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires et modifiant le calendrier électoral : " Le nombre de cantons dans lesquels sont élus les conseillers départementaux est égal, pour chaque département, à la moitié du nombre de cantons existant au 1er janvier 2013, arrondi à l'unité impaire supérieure si ce nombre n'est pas entier impair. / Le nombre de cantons dans chaque département comptant plus de 500 000 habitants ne peut être inférieur à dix-sept. Il ne peut être inférieur à treize dans chaque département comptant entre 150 000 et 500 000 habitants ". Aux termes de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la même loi, applicable à la date du décret attaqué : " I. - Les modifications des limites territoriales des cantons, les créations et suppressions de cantons et le transfert du siège de leur chef-lieu sont décidés par décret en Conseil d'Etat après consultation du conseil général qui se prononce dans un délai de six semaines à compter de sa saisine. A l'expiration de ce délai, son avis est réputé rendu. (...)/ III. - La modification des limites territoriales des cantons effectuée en application du I est conforme aux règles suivantes : / a) Le territoire de chaque canton est défini sur des bases essentiellement démographiques ; / b) Le territoire de chaque canton est continu ; c) Est entièrement comprise dans le même canton toute commune de moins de 3500 habitants ; / IV. - Il n'est apporté aux règles énoncées au III que des exceptions de portée limitée spécialement justifiées, au cas par cas, par des considérations géographiques (...) ou par d'autres impératifs d'intérêt général ".

3. Compte tenu de l'exigence de réduction du nombre de cantons de ce département résultant de l'article L. 191-1 du code électoral, le décret attaqué a, sur le fondement de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, procédé à une nouvelle délimitation des cantons du département des Bouches-du-Rhône.

Sur la consultation du Conseil d'Etat et la procédure d'élaboration du décret attaqué :

4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, contrairement aux allégations des requérants, le décret attaqué a été pris le Conseil d'Etat entendu. Il ressort notamment de la copie de la minute de la délibération de la section de l'intérieur du Conseil d'Etat, produite le 17 octobre 2014 par le ministre de l'intérieur, que le Conseil d'Etat a émis son avis le 26 février 2014 et que le texte publié ne contient pas de disposition qui diffèrerait du texte soumis au Conseil d'Etat et du texte adopté par lui. Le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait été pris sans consultation régulière du Conseil d'Etat ne peut, par suite, qu'être écarté.

5. En deuxième lieu, il ressort des visas de la minute de la délibération de la section de l'intérieur du Conseil d'Etat mentionnée au point précédent que le Conseil d'Etat a émis son avis à la lumière de l'avis du conseil général des Bouches-du-Rhône en date du 24 février 2014. La circonstance que la version du texte soumis au Conseil d'Etat ne serait pas la version initiale soumise au conseil général est sans incidence sur la régularité de la consultation du Conseil d'Etat et sur la régularité de la procédure à l'issue de laquelle le décret attaqué a été pris.

6. En troisième lieu, l'organisme dont une disposition législative ou réglementaire prévoit la consultation avant l'intervention d'un texte doit être mis à même d'exprimer son avis sur l'ensemble des questions soulevées par ce texte. Dans le cas où, après avoir recueilli son avis, l'autorité compétente pour prendre le texte envisage d'apporter des modifications à son projet, elle ne doit procéder à une nouvelle consultation de cet organisme que si ces modifications posent des questions nouvelles. Si le décret attaqué n'est pas identique en tous points au projet soumis pour consultation au conseil général, il ne saurait sérieusement être soutenu que l'assemblée départementale n'a pas été saisie de l'ensemble des questions posées par le projet dès lors que celui-ci tendait au redécoupage de tous les cantons du département. Les requérants ne sont ainsi pas fondés à soutenir que le conseil général aurait dû être consulté une nouvelle fois compte tenu des modifications apportées au projet après sa consultation.

7. En quatrième lieu, il n'est pas contesté qu'un projet de décret, accompagné notamment d'une note décrivant la méthode retenue pour procéder à la nouvelle délimitation des cantons des Bouches-du-Rhône, d'un état statistique comparatif des populations par canton et d'une série de cartes, a été soumis au conseil général de ce département. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'assemblée départementale, disposant d'informations suffisantes, a été mise à même d'émettre un avis sur les modalités de mise en oeuvre de la nouvelle délimitation des cantons prévue par le législateur et de faire des propositions spécifiques pour le département des Bouches-du-Rhône. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la consultation du conseil général aurait été irrégulière.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

8. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 191 du code électoral, dans sa version applicable à compter du prochain renouvellement général des conseils généraux suivant la promulgation de la loi du 17 mai 2013, en vertu de l'article 51 de cette loi : " Les électeurs de chaque canton du département élisent au conseil départemental deux membres de sexe différent, qui se présentent en binôme de candidats dont les noms sont ordonnés dans l'ordre alphabétique sur tout bulletin de vote imprimé à l'occasion de l'élection ". Aux termes de l'article L. 191-1 de ce même code, dans sa version applicable dans les mêmes conditions : " Le nombre de cantons dans lesquels sont élus les conseillers départementaux est égal, pour chaque département, à la moitié du nombre de cantons existant au 1er janvier 2013, arrondi à l'unité impaire supérieure si ce nombre n'est pas entier impair. / Le nombre de cantons dans chaque département comptant plus de 500 000 habitants ne peut être inférieur à dix-sept. Il ne peut être inférieur à treize dans chaque département comptant entre 150 000 et 500 000 habitants. ". Les dispositions précitées impliquent qu'il soit procédé à une nouvelle délimitation de l'ensemble des circonscriptions cantonales, qui sera applicable à compter du prochain renouvellement général des conseils généraux, fixé, à la date de la présente décision, au mois de mars 2015.

9. D'autre part, le I de l'article L. 3113-2 du CGCT, dans sa version issue de la loi du 17 mai 2013, dont l'article 1er prévoit que les mots " conseils généraux " sont remplacés par les mots " conseils départementaux " dans l'ensemble des dispositions législatives, dispose que : " Les modifications des limites territoriales des cantons, les créations et suppressions de cantons et le transfert du siège de leur chef-lieu sont décidés par décret en Conseil d'Etat après consultation du conseil départemental qui se prononce dans un délai de six semaines. A l'expiration de ce délai, son avis est réputé rendu. (...) ". Aux termes de l'article 7 de la loi du 11 décembre 1990 organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux : " Il ne peut être procédé à aucun redécoupage des circonscriptions électorales dans l'année précédant l'échéance normale de renouvellement des assemblées concernées. (...) ".

10. Pour l'application des dispositions citées au point 3, l'article 8 du décret du 6 février 2014 portant différentes mesures d'ordre électoral modifie l'article 71 du décret du 18 octobre 2013 portant application de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013, qui prévoit désormais que : " Pour la première délimitation des cantons opérée en application de l'article L. 3113-2 du CGCT, dans sa rédaction issue de l'article 46 de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 (...) le chiffre de population municipale auquel il convient de se référer est celui authentifié par le décret n° 2012-1479 du 27 décembre 2012 authentifiant les chiffres de population de métropole, des départements d'outre-mer de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion, de Saint-AE..., de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon ".

11. Il résulte du principe constitutionnel d'égalité devant le suffrage que, comme le rappelle le III de l'article L. 3113-2 du CGCT, le territoire de chaque canton doit être défini sur des bases essentiellement démographiques. La délimitation des circonscriptions cantonales peut cependant tenir compte d'autres impératifs d'intérêt général. Il appartient ainsi au Gouvernement de retenir les chiffres de population les plus récents auxquels il est susceptible de se référer en tendant compte de la date des prochaines échéances électorales ainsi que des exigences d'une bonne administration, au nombre desquelles figure notamment le respect des contraintes et délais de consultation inhérents au processus d'élaboration et d'adoption des nouvelles délimitations.

12. Eu égard à l'échéance mentionnée au point 8, la délimitation des nouvelles circonscriptions cantonales devait, conformément aux dispositions de l'article 7 de la loi du 11 juillet 1990, être effectuée au plus tard un an avant le mois de mars 2015.

13. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard, d'une part, aux délais inhérents à l'élaboration de l'ensemble des projets de décrets de délimitation des circonscriptions cantonales, à la consultation des conseils généraux et à la saisine pour avis du Conseil d'Etat, d'autre part, à la circonstance que la déclinaison à l'échelon infra-communal des chiffres de population applicables à compter du 1er janvier 2014, nécessaire à la délimitation de certains cantons, n'était pas disponible à la date à laquelle devait être entreprise la délimitation des nouvelles circonscriptions cantonales, les dispositions attaquées du décret du 6 février 2014 ont pu légalement prévoir que le chiffre de population municipale auquel il convenait de se référer était le chiffre authentifié par le décret n° 2012-1479 du 27 décembre 2012 et non celui que prévoit le décret n° 2013-1289 du 27 décembre 2013, qui authentifie les chiffres de population auxquels il convient, en principe, de se référer pour l'application des lois et règlement à compter du 1er janvier 2014.

14. Par ailleurs, si les requérants soutiennent que les dispositions attaquées méconnaissent les dispositions du décret du 27 décembre 2013 ainsi que celles de l'article R. 25-1 du code électoral, qui déterminent les chiffres de population de référence en matière électorale, il peut, en tout état de cause, être dérogé à ces dispositions par des dispositions législatives ou réglementaires, comme le rappelle d'ailleurs l'article 3 du décret du 27 décembre 2013. Il suit de là que les requérants ne peuvent utilement invoquer la méconnaissance de ces dispositions pour demander l'annulation du décret attaqué.

15. En second lieu, d'une part, le c) du III de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales n'impose de comprendre entièrement une commune dans un même canton que pour celles dont la population est inférieure à 3 500 habitants. Les requérants, qui ne contestent pas que cette règle a été respectée par le décret attaqué pour toutes les communes qui en relèvent, ne sauraient utilement soutenir qu'il serait illégal, faute d'avoir appliqué une telle règle à d'autres communes telles que la commune de Salon-en-Provence, dont la population est supérieure à 3 500 habitants.

16. D'autre part, il résulte de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales que le territoire de chaque canton doit être établi sur des bases essentiellement démographiques, qu'il doit être continu et que toute commune de moins de 3 500 habitants doit être entièrement comprise dans un même canton. Il ne peut être apporté à ces règles que des exceptions de portée limitée, spécialement justifiées. Ni ces dispositions, ni aucun autre texte non plus qu'aucun principe n'imposent au Premier ministre de prévoir que les limites des cantons, qui sont des circonscriptions électorales, coïncident avec les limites des arrondissements, les circonscriptions de l'éducation nationale, la carte judiciaire, les services déconcentrés de la direction générale des finances publiques des schémas de cohérence territoriale ou les limites des parcs naturels. Pour les mêmes motifs, ne peut être utilement invoquée la circonstance que le décret attaqué méconnaîtrait toute " cohérence territoriale ", " l'identité des territoires urbains et ruraux du département ", " l'organisation économique " ou les " bassins de vie " définis par l'Institut national de la statistique et des études économiques. Enfin, il n'est pas allégué que la délimitation des cantons des Bouches-du-Rhône n'aurait pas été opérée conformément aux règles posées au III de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales et que, notamment, le territoire des cantons n° 26 et 27 n'aurait pas été défini sur des bases essentiellement démographiques. Il s'ensuit que la circonstance que la commune de Salon-en-Provence, à raison de la mise en oeuvre de ces règles, ait été partagée entre les cantons n° 26 et n° 27 n'est pas de nature à entacher d'illégalité le décret attaqué.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

DECIDE :

Article 1er : Les requêtes de M. AC...et de M. Z...et autres sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. E...AC..., M. H...Z..., M. AD... T..., M. S...B..., M. D...AE..., M.AG..., M. X... O..., M. F...Q..., M. C...R..., M. AF...I..., M. A... AB..., Mme G...W..., M. D...K..., Mme U...AH..., M. J...L..., M. M...Y..., Mme N...P..., Mme V...AA..., au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 3ème ssjs
Numéro d'arrêt : 378811
Date de la décision : 28/11/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 nov. 2014, n° 378811
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Angélique Delorme
Rapporteur public ?: M. Vincent Daumas
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:378811.20141128
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