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04/07/2014 | FRANCE | N°378799

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 04 juillet 2014, 378799


Vu la décision du 23 avril 2014, enregistrée le 28 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le Conseil supérieur de l'ordre des géomètres-experts, avant de statuer sur la demande de M. A...B...tendant à l'annulation de la décision du 9 mai 2012 par laquelle le conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de la Réunion a prononcé à son encontre une suspension de quatre mois d'exercice de la profession, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conse

il constitutionnel, de transmettre au Conseil d'Etat la question...

Vu la décision du 23 avril 2014, enregistrée le 28 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le Conseil supérieur de l'ordre des géomètres-experts, avant de statuer sur la demande de M. A...B...tendant à l'annulation de la décision du 9 mai 2012 par laquelle le conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de la Réunion a prononcé à son encontre une suspension de quatre mois d'exercice de la profession, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 11 et 23 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 instituant l'ordre des géomètres-experts ;

Vu les mémoires, enregistrés le 18 avril 2014 au greffe du Conseil supérieur de l'ordre des géomètres-experts, présentés pour M.B..., demeurant..., en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu la loi n° 46-942 du 7 mai 1946, notamment ses articles 11 et 23 ;

Vu le décret n° 96-478 du 31 mai 1996 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie-Justine Lieber, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de M. B...;

1. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'État lui a transmis, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changements de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant que le Conseil supérieur de l'Ordre des géomètres-experts est saisi d'un recours de M. B...tendant à l'annulation de la décision du 9 mai 2012 par laquelle le conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de La Réunion siégeant en formation disciplinaire a prononcé à son encontre une suspension de quatre mois de l'exercice de sa profession ;

3. Considérant que M. B...soutient, en premier lieu, que les dispositions de l'article 11 de la loi du 7 mai 1946 instituant l'ordre des géomètres-experts, applicables au litige, méconnaissent les articles 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dès lors que, d'une part, elles prévoient que le commissaire du Gouvernement, nommé sur proposition du ministre de l'urbanisme après avis de plusieurs autres ministres dont il reçoit les instructions, participe aux décisions disciplinaires du Conseil supérieur et des conseils régionaux de l'ordre des géomètres experts avec voix délibérative, que, d'autre part, le commissaire du Gouvernement cumule les fonctions de poursuite et de jugement et, enfin, que le législateur n'a pas entouré de garanties suffisantes d'indépendance les conditions de nomination de celui-ci ni prévu de possibilité de déport ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 7 mai 1946 instituant l'ordre des géomètres-experts : " Les pouvoirs publics sont représentés auprès du Conseil supérieur et des conseils régionaux par un commissaire du gouvernement désigné parmi les membres du Conseil d'Etat. / Le commissaire du Gouvernement auprès du Conseil supérieur et des conseils régionaux de l'ordre des géomètres-experts est nommé par décret pris sur proposition du ministre chargé de l'urbanisme, après avis du ministre chargé de l'éducation, du ministre chargé de l'agriculture et du ministre chargé de l'économie et des finances. Sauf en matière disciplinaire, il reçoit ses instructions de chacun des ministres intéressés, chacun d'eux agissant dans le cadre de sa compétence. / Le commissaire du Gouvernement participe avec voix délibérative aux séances du Conseil supérieur siégeant en formation disciplinaire. Son délégué participe avec voix délibérative aux séances du conseil régional siégeant en formation disciplinaire. / Le commissaire du Gouvernement peut déléguer, sous sa responsabilité, tout ou partie des attributions que lui confère la présente loi à des présidents ou conseillers des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel en activité ou honoraires. / Le commissaire du gouvernement assiste aux séances du Conseil supérieur de l'ordre et, s'il le désire, aux séances des conseils régionaux. Il a pouvoir, notamment, d'introduire devant les conseils régionaux toutes actions contre les personnes ou sociétés soumises à la surveillance et au contrôle de l'ordre. Il peut aussi saisir le Conseil supérieur de toutes décisions des conseils régionaux (...) " ;

5. Considérant qu'il résulte de ces dispositions telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat que, d'une part, la circonstance que le commissaire du Gouvernement soit nommé sur proposition du ministre de l'urbanisme après avis de plusieurs autres ministres, parmi les membres du Conseil d'Etat, ne porte pas par elle-même atteinte à son indépendance, que, d'autre part, le commissaire du Gouvernement et ses délégués ne reçoivent pas d'instruction des ministres intéressés en matière disciplinaire et, qu'enfin, la circonstance qu'ils disposent de fonctions de poursuite et de jugement ne porte pas, par elle-même, atteinte à l'impartialité de la juridiction ordinale ; qu'en revanche, si l'un d'eux est à l'origine des poursuites disciplinaires ou fait appel d'une décision d'un conseil régional siégeant en formation disciplinaire, le commissaire du Gouvernement et son délégué doivent être regardés comme ayant pris parti sur les faits reprochés au géomètre-expert et ne peuvent, par suite, siéger au sein des formations disciplinaires du conseil de l'ordre des géomètres-experts sans méconnaître le principe d'impartialité ; que ces dispositions n'ont donc pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de permettre que le commissaire du Gouvernement, s'il a engagé les poursuites disciplinaires ou été à l'origine d'un appel, siège au sein de l'instance de discipline appelée à se prononcer sur l'affaire en cause ; que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte, par elle-même, un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; qu'il résulte des articles 34 et 37 de la Constitution que les dispositions de la procédure à suivre devant les juridictions relèvent de la compétence réglementaire, dès lors qu'elles ne concernent pas la procédure pénale et qu'elles ne mettent pas en cause les règles ou les principes fondamentaux placés par la Constitution dans le domaine de la loi ; que tel est le cas des modalités d'instruction des plaintes disciplinaires devant les conseils régionaux et le Conseil supérieur de l'ordre des géomètres-experts, qui relèvent donc de la compétence réglementaire ; qu'il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de ce que la disposition contestée méconnaîtrait les principe d'indépendance et d'impartialité des juridictions garantis par les articles 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et de ce que le législateur aurait méconnu sa compétence, ne présentent pas de caractère sérieux ;

6. Considérant qu'aux termes de l'article 23 de la loi du 7 mai 1946 : " Tout manquement aux devoirs de la profession rend son auteur passible d'une sanction disciplinaire. / (...) Les poursuites sont intentées auprès du conseil régional soit par le commissaire du gouvernement, soit d'office, soit sur plainte des intéressés. / Les décisions du conseil régional sont susceptibles d'appel devant le conseil supérieur dans le délai prévu à l'article 20. L'appel est suspensif. / Le géomètre-expert en cause (...) a le droit de prendre connaissance du dossier de la plainte dans la quinzaine qui précède l'audience. Il ne peut déplacer le dossier. Il est convoqué pour être entendu ; il peut être assisté d'un avocat ou d'un géomètre expert, membre de l'ordre. / Il bénéficie des mêmes garanties devant le conseil supérieur " ; que M. B... soutient que ces dispositions méconnaissent, en raison de la brièveté du délai de quinze jours prévu pour la consultation par le géomètre-expert du dossier de la plainte et des conditions matérielles de sa consultation, les droits de la défense qui découlent de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; que, toutefois, d'une part, le dossier de la plainte est mis en état à l'issue d'une instruction qui présente un caractère contradictoire, conformément à l'article 15 de la même loi ; qu'il est assorti d'un rapport qui ne constitue qu'un exposé des faits ; que le géomètre-expert mis en cause, qui a été informé de la procédure disciplinaire engagée contre lui, est notamment en mesure de communiquer en temps utile au rapporteur tout document qu'il jugerait utile ; qu'il peut, par ailleurs, recourir dès ce moment à l'assistance d'un avocat ; que, d'autre part, les conditions matérielles de mise en oeuvre de l'article 23 de la loi du 7 mai 1946 ne sauraient être utilement invoquées pour contester la constitutionnalité de cette disposition ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que la disposition contestée méconnaîtrait les droits de la défense garantis par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne présente pas de caractère sérieux ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel, les moyens tirés par M.B..., d'une part, de ce que l'article 11 de la loi du 7 mai 1946 méconnaîtrait les principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions garantis par les articles 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de ce que le législateur aurait méconnu sa compétence, d'autre part, de ce que l'article 23 de la même loi méconnaîtrait les droits de la défense garantis par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen doivent être écartés ;

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le Conseil supérieur de l'ordre des géomètres-experts.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au ministre du logement et de l'égalité des territoires.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 378799
Date de la décision : 04/07/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 04 jui. 2014, n° 378799
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sophie-Justine Lieber
Rapporteur public ?: Mme Suzanne von Coester
Avocat(s) : SCP MONOD, COLIN, STOCLET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:378799.20140704
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