Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 juin et 14 septembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Délicelait, dont le siège est ZA La Busnouvière à Moyon (50860), représentée par son président ; la société Délicelait demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 09NT01441 du 14 avril 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, faisant droit à l'appel de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), qui vient aux droits de l'Office national interprofessionnel de l'élevage et de ses productions (Oniep), a annulé le jugement nos 0700181-0700183 du 10 avril 2009 par lequel le tribunal administratif de Caen a fait droit à sa demande tendant à l'annulation des titres de recettes nos 381299 et 381300 du 12 décembre 2006 par lesquels le directeur général de l'Oniep l'a constituée débitrice d'une somme globale de 8 029,84 euros ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de FranceAgriMer ;
3°) de mettre à la charge de FranceAgriMer la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 ;
Vu le règlement (CE) n° 2571/97 de la Commission du 15 décembre 1997 ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Romain Victor, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Délicelait et à la SCP Meier-Bourdeau, Lecuyer, avocat de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) ;
1. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la société Délicelait a participé au cours de l'année 2001 à une adjudication particulière organisée par l'Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers (Onilait) en vue de l'octroi de l'aide communautaire, dite au " beurre pâtissier ", pour la fabrication de crème destinée, après addition de traceurs, à être incorporée dans des produits de pâtisserie, glaces et autres produits alimentaires dans les conditions fixées par le règlement (CE) n° 2571/97 de la Commission du 15 décembre 1997 ; qu'à l'issue de cette procédure, la société a été déclarée adjudicataire de l'aide communautaire au titre d'une offre de fabrication de 50 tonnes de " crème tracée " qu'elle s'est engagée à fabriquer et à incorporer ou faire incorporer dans certains produits finaux, en constituant à cette fin des garanties de transformation ; qu'après avoir été informée, par un courrier du 13 juillet 2006, que l'analyse des prélèvements effectués le 12 avril 2002 avait fait apparaître une teneur en acide énanthique, traceur chimique qu'elle avait utilisé pour permettre le contrôle de l'incorporation de la crème dans les produits finaux, inférieure aux normes prescrites par le règlement communautaire, la société Délicelait s'est vu demander, par deux décisions du 12 septembre 2006 du directeur de l'Office national interprofessionnel de l'élevage et de ses productions (Oniep), venu aux droits de l'Onilait, le versement de la somme totale de 8 029,84 euros correspondant au montant des garanties de transformation qu'elle avait constituées ; que, par un jugement du 10 avril 2009, le tribunal administratif de Caen a fait droit à la demande de la société Délicelait tendant à l'annulation de ces décisions ; que la société Délicelait se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 14 avril 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, faisant droit à l'appel formé par l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), venu aux droits de l'Oniep, a annulé ce jugement ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du règlement (CEE, Euratom) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 : " 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire. / 2. Est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue " ; qu'aux termes de l'article 3 du même règlement : " 1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l'irrégularité visée à l'article 1er paragraphe 1 (...). / La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l'autorité compétente et visant à l'instruction ou à la poursuite de l'irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif (...). / 3. Les Etats membres conservent la possibilité d'appliquer un délai plus long que celui prévu respectivement au paragraphe 1 et au paragraphe 2 " ; qu'aux termes de l'article 2262 du code civil, dans sa rédaction applicable à la date des décisions litigieuses : " Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans " ;
3. Considérant qu'ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 5 mai 2011 Ze Fu Fleischhandel GmbH et Vion Trading GmbH (affaires C-201/10 et C-202/10), le principe de sécurité juridique s'oppose à ce qu'un délai de prescription " plus long ", au sens de l'article 3, paragraphe 3 du règlement n° 2988/95 résulte d'un délai de prescription de droit commun réduit par voie jurisprudentielle pour satisfaire au principe de proportionnalité ; qu'en l'absence d'un texte spécial fixant, dans le respect de ce principe, un délai de prescription plus long, seul le délai de prescription de quatre années prévu par l'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement précité est applicable ; que, dès lors, la cour a commis une erreur de droit en relevant, pour juger que l'action de l'Oniep n'était pas prescrite malgré l'expiration du délai de prescription de quatre années prévu par l'article 3 du règlement n° 2988/95, que les décisions litigieuses étaient intervenues dans le délai de prescription de droit commun de trente ans prévu par l'article 2262 du code civil ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé ;
4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
5. Considérant, en premier lieu, que le moyen de FranceAgriMer tiré de ce que le jugement du tribunal administratif de Caen serait irrégulier, faute d'analyser les conclusions et moyens des parties manque, en tout état de cause, en fait ;
6. Considérant, en second lieu, ainsi qu'il a été dit au point 3, que le délai de prescription trentenaire de droit commun de l'article 2262 du code civil, même réduit par la voie jurisprudentielle, ne pouvait être appliqué à l'action de l'Oniep et qu'en l'absence de réglementation nationale spécifique légalement applicable aux faits de la cause et prévoyant un délai de prescription plus long, seul le délai de prescription de quatre ans prévu par l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 était applicable ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté qu'un délai supérieur à quatre ans s'est écoulé entre le dernier acte de l'Onilait susceptible d'interrompre la prescription et le courrier du 13 juillet 2006 reprenant les poursuites ; que, par suite, l'action de l'Oniep était prescrite ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que FranceAgriMer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé les titres de recettes nos 381299 et 381300 du 12 décembre 2006 ;
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de FranceAgriMer la somme de 3 000 euros à verser à la société Délicelait au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Délicelait qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 14 avril 2011 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par FranceAgriMer devant la cour administrative d'appel de Nantes est rejetée.
Article 3 : FranceAgriMer versera à la société Délicelait une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de FranceAgriMer présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Délicelait, à l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) et au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte parole du Gouvernement.