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03/04/2014 | FRANCE | N°363981

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 03 avril 2014, 363981


Vu la requête, enregistrée le 19 novembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentée pour l'association Institut pour la Justice, dont le siège est 140 bis, rue de Rennes, à Paris (75006), représentée par sa présidente ; l'association Institut pour la Justice demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 19 septembre 2012 de politique pénale du garde des sceaux, ministre de la justice ;

2°) de mettre à la charge de l'État les dépens, notamment la somme de 35 euros correspondant à la contribution pour l'ai

de juridique ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notammen...

Vu la requête, enregistrée le 19 novembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentée pour l'association Institut pour la Justice, dont le siège est 140 bis, rue de Rennes, à Paris (75006), représentée par sa présidente ; l'association Institut pour la Justice demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 19 septembre 2012 de politique pénale du garde des sceaux, ministre de la justice ;

2°) de mettre à la charge de l'État les dépens, notamment la somme de 35 euros correspondant à la contribution pour l'aide juridique ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code civil ;

Vu le code pénal ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de l'association Institut pour la Justice ;

Sur les destinataires de la circulaire attaquée :

1. Considérant qu'aux termes de l'article 30 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable à la date de la circulaire attaquée : " Le ministre de la justice conduit la politique d'action publique déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. / À cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales d'action publique (...) " ;

2. Considérant que les procureurs de la République et les procureurs généraux près les cours d'appel sont seuls destinataires " pour attribution " de la circulaire de politique pénale du 19 septembre 2012 du garde des sceaux, ministre de la justice ; que si celle-ci est également adressée aux présidents de tribunaux de grande instance et aux premiers présidents de cours d'appel, c'est seulement " pour information " ; que la circulaire définit les principes directeurs de l'action du ministère public dans l'exercice de ses différentes prérogatives, notamment pour le choix des modes de poursuite et des sanctions requises ainsi que pour l'exécution des peines ; qu'ainsi, eu égard à sa teneur et à ses destinataires, la circulaire attaquée n'a, en tout état de cause, ni pour objet ni pour effet de donner des instructions à des magistrats du siège ; que, par suite, et contrairement à ce que soutient l'association requérante, elle ne méconnaît ni l'article 30 du code de procédure pénale, ni le principe de l'indépendance des magistrats du siège garanti par l'article 64 de la Constitution, ni le principe de séparation des pouvoirs garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

Sur les dispositions de la circulaire relatives à la procédure d'aménagement de peine :

3. Considérant que l'article 712-4 du code de procédure pénale dispose que " les mesures relevant de la compétence du juge de l'application des peines sont accordées, modifiées, ajournées, refusées, retirées ou révoquées par ordonnance ou jugement motivé de ce magistrat agissant d'office, sur la demande du condamné ou sur réquisitions du procureur de la République, selon les distinctions prévues aux articles suivants. (...) " ; qu'aux termes de l'article 712-6 du même code : " Les jugements concernant les mesures de placement à l'extérieur, de semi-liberté, de fractionnement et suspension des peines, de placement sous surveillance électronique et de libération conditionnelle sont rendus, après avis du représentant de l'administration pénitentiaire, à l'issue d'un débat contradictoire tenu en chambre du conseil, au cours duquel le juge de l'application des peines entend les réquisitions du ministère public et les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celles de son avocat. Si le condamné est détenu, ce débat peut se tenir dans l'établissement pénitentiaire. Il peut être fait application des dispositions de l'article 706-71. / Le juge de l'application des peines peut, avec l'accord du procureur de la République et celui du condamné ou de son avocat, octroyer l'une de ces mesures sans procéder à un débat contradictoire. / (...) " ;

4. Considérant qu'au point 6.2 de la circulaire attaquée, le ministre de la justice demande aux magistrats du parquet " de privilégier le recours à la procédure hors débat contradictoire en milieu fermé comme en milieu ouvert et de ne requérir l'organisation d'un débat contradictoire que dans le cas où les éléments contenus dans le dossier du juge de l'application des peines se révèlent insuffisants à éclairer la situation du condamné ou que le projet d'aménagement de peine est inadapté " ;

5. Considérant qu'il résulte des termes de l'article 712-6 du code de procédure pénale qu'il appartient au seul juge de l'application des peines de décider de ne pas organiser un débat contradictoire avant d'octroyer une mesure d'aménagement de peine déterminée, et ce à la condition d'avoir recueilli l'accord du parquet et de la personne condamnée ; que la circulaire attaquée se borne à éclairer le cadre dans lequel les magistrats du parquet exercent la prérogative, qui leur est reconnue par l'article 712-6, de donner leur accord au recours à la procédure hors débat contradictoire ; qu'elle ne méconnaît, ce faisant, ni cet article, ni le caractère contradictoire de la procédure ; qu'elle n'affecte pas les prérogatives dévolues au juge de l'application des peines et ne méconnaît par suite ni l'article 712-4 du code de procédure pénale, ni le principe d'indépendance des magistrats du siège garanti par l'article 64 de la Constitution, ni le principe de séparation des pouvoirs garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

Sur les dispositions de la circulaire relatives au réexamen par les magistrats du parquet des peines d'emprisonnement :

6. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article préliminaire du code de procédure pénale : " I. - La procédure pénale (...) doit garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement. (...) " ; que le premier alinéa de l'article 707 du même code dispose : " Sur décision ou sous le contrôle des autorités judiciaires, les peines prononcées par les juridictions pénales sont, sauf circonstances insurmontables, mises à exécution de façon effective et dans les meilleurs délais. (...) " ; qu'aux termes de l'article 707-1 du même code : " Le ministère public et les parties poursuivent l'exécution de la sentence chacun en ce qui le concerne. (...) " ; que l'article 712-14 du même code prévoit que : " Les décisions du juge de l'application des peines (...) sont exécutoires par provision. Toutefois, lorsque l'appel du ministère public est formé dans les vingt-quatre heures de la notification, il suspend l'exécution de la décision jusqu'à ce que la chambre de l'application des peines de la cour d'appel ou son président ait statué. (...) " ; que l'article 712-16 du même code précise que " dans l'exercice de leurs attributions, les juridictions de l'application des peines peuvent procéder ou faire procéder, sur l'ensemble du territoire national, à tous examens, auditions, enquêtes, expertises, réquisitions (...) permettant de rendre une décision d'individualisation de la peine ou de s'assurer qu'un condamné respecte les obligations qui lui incombent à la suite d'une telle décision " ; qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 723-15 du même code : " Préalablement à la mise à exécution de la ou des condamnations, le ministère public informe le juge de l'application des peines de cette ou de ces décisions en lui adressant toutes les pièces utiles, parmi lesquelles une copie de la ou des décisions et le bulletin n° 1 du casier judiciaire de l'intéressé " ; que l'article 723-15-2 du même code précise : " Si, sauf motif légitime ou exercice des voies de recours, la personne ne se présente pas aux convocations, le juge de l'application des peines en informe le ministère public qui ramène la peine à exécution " ; que l'article 723-17 du même code dispose : " Lorsqu'une condamnation mentionnée à l'article 723-15 n'a pas été mise à exécution dans le délai d'un an à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, le condamné peut saisir le juge de l'application des peines en vue de faire l'objet d'une des mesures prévues par le premier alinéa de l'article 712-6, même s'il s'est vu opposer un refus antérieur, et cette saisine suspend la possibilité pour le parquet de mettre la peine à exécution sous réserve des dispositions de l'article 723-16. Il est alors statué sur la demande selon les dispositions de l'article 712-6 " ;

7. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 132-24 du code pénal : " Dans les limites fixées par la loi, la juridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur. (...) / En matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale (...), une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28. " ; que les deuxième et troisième alinéas de l'article 707 du code de procédure pénale disposent : " L'exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive. / A cette fin, les peines sont aménagées avant leur mise à exécution ou en cours d'exécution si la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale du condamné ou leur évolution le permettent. L'individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire " ;

8. Considérant que la circulaire attaquée, en son point 6.3, " demande de veiller à ce que, avant toute mise à l'écrou et sauf impératif d'incarcération immédiate, toute peine d'emprisonnement, et plus particulièrement les peines anciennes ou inférieures à six mois d'emprisonnement, fassent l'objet d'un réexamen par le magistrat du parquet afin que soit à nouveau envisagée l'exécution de la peine sous une modalité adaptée ", en précisant que " cela est en effet une condition essentielle pour rendre efficace la peine prononcée sans obérer les chances de réinsertion de la personne condamnée " ; qu'elle indique ainsi " qu'en cas d'avis du juge de l'application des peines informant le ministère public que le condamné ne s'est pas présenté aux convocations qui lui ont été adressées (art. 723-15-2 du code de procédure pénale) ou lorsqu'un jugement de rejet d'aménagement de peine aura été rendu, une fois passé le délai d'un an sans mise à exécution de la condamnation (art. 723-17 du code de procédure pénale), il conviendra d'évaluer avant toute mise à exécution de la peine d'emprisonnement l'opportunité de saisir à nouveau le juge de l'application des peines en application de l'article 723-15 du code de procédure pénale " ;

9. Considérant qu'il résulte des articles 132-24 du code pénal et 707 du code de procédure pénale cités au point 7 que les peines sont aménagées, dans le respect de la chose jugée, afin que leur exécution soit conforme au principe d'individualisation des peines ; que le réexamen par le magistrat du parquet de la situation de la personne condamnée dans les cas et selon les modalités précisées par la circulaire attaquée est destiné à assurer une exécution de la peine conforme à ce principe ; qu'un tel réexamen ne méconnaît, par lui-même, ni la mission confiée au ministère public par l'article 707-1 du code de procédure pénale, ni les prérogatives confiées par la loi au juge de l'application des peines, ni l'autorité de la chose jugée ; que, par suite, le point 6.3 de la circulaire attaquée ne méconnaît pas les dispositions du code de procédure pénale citées au point 6 ;

Sur les dispositions de la circulaire relatives à la prise en compte de l'état de surpeuplement carcéral dans la détermination des modalités d'exécution des peines :

10. Considérant qu'aux termes de l'article 31 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable à la date de la circulaire attaquée : " Le ministère public exerce l'action publique et requiert l'application de la loi. " ;

11. Considérant que le point 6.4 de la circulaire attaquée, intitulé " Vigilance quant à la surpopulation carcérale " énonce : " Vous vous assurerez que les modalités d'exécution des peines d'emprisonnement tiennent compte de l'état de surpeuplement des établissements pénitentiaires. Pour cela, je vous demande d'encourager une concertation accrue entre les services judiciaires et pénitentiaires afin de permettre une connaissance par les magistrats chargés de l'exécution et de l'application des peines des éléments statistiques relatifs à la population pénale écrouée dans leur ressort. Sur la base des informations ainsi transmises, vos parquets pourront solliciter les juges de l'application des peines et les services pénitentiaires d'insertion et de probation en vue d'une adaptation en conséquence des politiques d'aménagement de peine. Ces orientations doivent répondre à la nécessité de faire exécuter la peine dans les conditions offrant les meilleures garanties de réinsertion et de prévention de la récidive (...) " ;

12. Considérant, d'une part, que la circulaire attaquée a entendu faciliter le respect de l'objectif, fixé par le législateur, d'une exécution des peines favorisant l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive ; qu'elle n'a pas pour objet et ne saurait légalement avoir pour effet de porter atteinte à la compétence du juge de l'application des peines pour décider des modalités d'exécution des peines dans les conditions fixées par l'article 707 du code de procédure pénale ; que par suite, les moyens tirés de ce que le point 6.4 de la circulaire méconnaîtrait l'article 31 du code de procédure pénale, le troisième alinéa de l'article 707 du même code et l'article 132-24 du code pénal cités au point 7 doit être écarté ;

13. Considérant, d'autre part, que si la circulaire prévoit que la transmission aux magistrats chargés de l'exécution et de l'application des peines, d'informations statistiques relatives à la population carcérale doit être réalisée dans le cadre du ressort de chaque juridiction, elle ne saurait être regardée comme imposant que chaque peine soit exécutée dans le seul ressort de la juridiction concernée ; que, contrairement à ce que soutient l'association, la prise en compte de l'état de surpeuplement des établissements pénitentiaires dans les différents ressorts de cour d'appel ne conduit pas, par elle-même, dans les conditions retenues par la circulaire attaquée, à méconnaître le principe d'égalité ;

Sur les dispositions de la circulaire relatives à la conclusion de " protocoles d'accord " entre les magistrats du parquet, les juges de l'application des peines et l'administration pénitentiaire :

14. Considérant que le point 6.2 de la circulaire attaquée prévoit que des " protocoles d'accord " pourront être élaborés, au niveau local, entre les magistrats du parquet, les juges de l'application des peines et les services pénitentiaires d'insertion et de probation afin de préciser les modalités d'application de l'aménagement de peine hors débat contradictoire, notamment les conditions de transmission des dossiers du parquet au juge de l'application des peines et la prédéfinition de critères ; que, selon le point 6.4 de la même circulaire, des protocoles relatifs à la surveillance électronique de fin de peine et à la procédure simplifiée d'aménagement des peines pourront utilement être élaborés par le procureur de la République, en lien avec les juges de l'application des peines et l'administration pénitentiaire ;

15. Considérant que les " protocoles " dont la circulaire attaquée préconise la signature ont pour seul objet de rendre plus efficaces les échanges d'informations entre les magistrats du parquet, les juges de l'application des peines et l'administration pénitentiaire ; qu'ils n'affectent pas le champ des attributions que le code de procédure pénale confie aux différentes autorités concernées ; que la conclusion d'un " protocole " par un juge de l'application des peines n'a pas pour objet et ne saurait avoir légalement pour effet de restreindre la liberté d'appréciation de ce magistrat du siège dans le traitement du dossier de chaque personne condamnée ; que, par suite, les points 6.2 et 6.4 de la circulaire ne méconnaissent ni le principe d'indépendance des magistrats du siège garanti par l'article 64 de la Constitution, ni le principe de séparation des pouvoirs garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ni l'article préliminaire du code de procédure pénale ni, en tout état de cause, l'article 5 du code civil, qui fait défense aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ;

16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'association Institut pour la Justice n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la circulaire attaquée ; qu'il y a lieu de laisser la contribution pour l'aide juridique à la charge de l'association ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'association Institut pour la Justice est rejetée.

Article 2 : La contribution pour l'aide juridique est laissée à la charge de l'association Institut pour la Justice.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Institut pour la Justice et à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 363981
Date de la décision : 03/04/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 03 avr. 2014, n° 363981
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Didier Ribes
Rapporteur public ?: M. Xavier de Lesquen
Avocat(s) : SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:363981.20140403
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