Vu la requête, enregistrée le 9 avril 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. B...A..., demeurant ... ; M. A...demande au Conseil d'Etat :
1°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 75 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi, en raison de la durée excessive des différentes procédures engagées devant la juridiction administrative, majorée des intérêts de droit à compter du 23 novembre 2012, avec capitalisation des intérêts ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Florence Chaltiel-Terral, Maître des Requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Rémi Keller, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Blanc, Rousseau, avocat de M. A...;
1. Considérant qu'il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable ; que, si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect ; qu'ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation de l'ensemble des dommages, tant matériels que moraux, directs et certains, ainsi causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ;
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A...a, d'abord, saisi le 15 mars 1989 le tribunal administratif de Lille d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté rectoral du 22 décembre 1988 mettant fin à son congé formation, que ce tribunal a rejetée par un jugement du 22 décembre 1989 ; que, saisi le 19 mai 1990, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a rejeté l'appel formé par M. A...contre ce jugement par une décision du 29 juin 1994 ; que M. A...a, ensuite, saisi le tribunal administratif de Lille les 26 août 1996 et 3 février 2000 de deux demandes successives tendant à l'annulation d'un même arrêté rectoral, en date du 7 octobre 1993, le plaçant en disponibilité d'office, puis, le 20 décembre 1996, d'une demande tendant à la réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi du fait de cette décision et, enfin, le 21 décembre 1998 de demandes tendant à l'annulation de différentes décisions rectorales relatives à sa carrière ; que, par des jugements en date du 19 décembre 2002, le tribunal administratif de Lille a fait droit à ses demandes dirigées contre l'arrêté rectoral du 7 octobre 1993, a partiellement fait droit à certaines de ses demandes dirigées contre plusieurs décisions rectorales concernant sa carrière et a rejeté ses demandes indemnitaires ; que M. A...a saisi le tribunal administratif de Lille d'une demande en référé-provision le 18 août 2004, à laquelle ce tribunal a fait partiellement droit le 23 décembre 2004 ; qu'enfin, M. A...a saisi le 8 février 2005 le tribunal administratif de Lille d'une demande tendant à la réparation des préjudices subis en raison des décisions rectorales annulées par ce tribunal, qui a été partiellement accueillie par un jugement du 26 mars 2008 ; que, saisie le 4 juillet 2008 par M. A..., la cour administrative d'appel de Douai a rejeté son appel par un arrêt du 29 avril 2010 ; qu'enfin, saisi par M. A...le 5 juillet 2010, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a décidé de ne pas admettre son pourvoi en cassation par une décision du 28 novembre 2011 ;
Sur le préjudice :
3. Considérant que la durée excessive d'une procédure résultant du dépassement du délai raisonnable pour juger l'affaire est présumée entraîner, par elle-même, un préjudice moral dépassant les préoccupations habituellement causées par un procès, sauf circonstances particulières en démontrant l'absence ;
4. Considérant que le caractère raisonnable du délai de jugement d'une affaire doit s'apprécier de manière à la fois globale, compte tenu, notamment, de l'exercice des voies de recours, particulières à chaque instance, et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement ; que lorsque la durée globale du jugement n'a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l'Etat est néanmoins susceptible d'être engagée si la durée de l'une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive ;
5. Considérant que si M. A...soutient que les différents recours qu'il a introduits entre 1989 et 2005 relèvent d'une seule et même procédure, dont la durée globale de jugement a été de 22 années, il résulte de l'instruction que ces recours ne se rapportaient pas à un même litige ; que les durées des procédures auxquelles ils ont donné lieu ne peuvent donc pas être additionnées pour évaluer le caractère raisonnable du délai ;
6. Considérant, toutefois, que M. A...est fondé à demander réparation de celles de ces procédures dont la durée a été excessive ; que doivent être regardés comme ayant dépassé le délai raisonnable pour juger le litige, le délai de quatre ans et un mois mis par le Conseil d'Etat pour juger de l'appel formé par M. A...contre le jugement du tribunal administratif lors de la première procédure, le délai de six ans et trois mois mis par le tribunal administratif pour juger des litiges introduits par M. A...dans le cadre de la deuxième procédure, ainsi que le délai de trois ans et onze mois mis par le tribunal administratif pour se prononcer sur le recours introduit dans le cadre de la troisième procédure ; que si le garde des sceaux, ministre de la justice soutient que le préjudice invoqué par M.A..., s'agissant de la durée excessive de la première procédure, ne saurait être regardé comme direct et certain compte tenu de son ancienneté, il lui appartenait d'invoquer les dispositions de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ; que, dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des préjudices subis par M. A...en le fixant à 8 500 euros tous intérêts compris à la date de la présente décision ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à M. A...au titre de ces dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. A...la somme de 8 500 euros.
Article 2 : L'Etat versera à M. A...une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.