La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/10/2013 | FRANCE | N°360481

France | France, Conseil d'État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 21 octobre 2013, 360481


Vu le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 25 juin, 25 septembre et 12 novembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Orange France, dont le siège est au 1, avenue Nelson Mandela à Arcueil (94110), représentée par son président directeur général en exercice ; la société Orange France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 1105502 du 25 avril 2012 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 2 février 2011

par laquelle le maire d'Issy-les-Moulineaux a fait opposition à la déclarati...

Vu le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 25 juin, 25 septembre et 12 novembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Orange France, dont le siège est au 1, avenue Nelson Mandela à Arcueil (94110), représentée par son président directeur général en exercice ; la société Orange France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 1105502 du 25 avril 2012 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 2 février 2011 par laquelle le maire d'Issy-les-Moulineaux a fait opposition à la déclaration de travaux qu'elle avait déposée pour la réalisation d'un relais de téléphonie mobile sur un immeuble situé 21 rue Rouget de Lisle à Issy-les-Moulineaux, ainsi que la décision du 1er juin 2011 par laquelle le maire a rejeté son recours gracieux contre cet arrêté ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande devant le tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Issy-les-Moulineaux le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment la Charte de l'environnement à laquelle renvoie son Préambule ;

Vu la recommandation n° 1999/519/CE du 19 juillet 1999 du Conseil de l'Union Européenne ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code des postes et des communications électroniques ;

Vu le décret n° 2002-775 du 3 mai 2002 ;

Vu l'arrêté du ministre de la santé et des solidarités du 24 août 2006 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Camille Pascal, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, Rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Tiffreau, Corlay, Marlange, avocat de la société Orange France, et à la SCP Roger, Sevaux, Mathonnet, avocat de la commune d'Issy-les-Moulineaux ;

1. Considérant qu'il ressort des énonciations du jugement attaqué que le maire d'Issy-les-Moulineaux a, par un arrêté du 2 février 2011, fait opposition à la déclaration préalable de travaux déposée le 6 janvier 2011 par la société Orange France en vue de la réalisation d'un relais de téléphonie mobile sur le toit d'un immeuble situé au 21 rue Rouget de l'Isle ; que le maire s'est opposé à ce projet aux motifs qu'une école et deux crèches se situent dans un rayon de 100 mètres autour du relais, que l'estimation du niveau maximum de champ reçu sous la forme d'un pourcentage par rapport à la valeur de référence de la recommandation européenne est absente du dossier et que les deux mâts appelés à porter les antennes ne s'insèrent pas dans l'environnement urbain ;

2. Considérant que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, pour rejeter, par le jugement contre lequel la société Orange France se pourvoit en cassation, le recours pour excès de pouvoir formé par cette société contre l'arrêté du 2 février 2011, s'est fondé sur le motif que l'autorité compétente en matière d'urbanisme, qui doit prendre en compte le principe de précaution, peut, lorsqu'elle constate que le dossier qui lui a été transmis au titre du droit à l'information prévu par l'article L. 96-1 du code des postes et des communications électroniques, ne comprend pas les éléments prévus par ces dispositions, s'opposer à l'installation tant que l'opérateur ne lui a pas fourni les éléments lui permettant de s'assurer que le projet soumis à autorisation n'est pas susceptible de présenter le risque de réalisation d'un dommage, bien qu'incertain en l'état des connaissances scientifiques, pouvant affecter la santé publique de manière grave et irréversible ;

3. Considérant toutefois qu'aux termes de l'article L. 96-1 du code des postes et communications électroniques, en vigueur à la date de la décision attaquée : " Toute personne qui exploite, sur le territoire d'une commune, une ou plusieurs installations radio-électriques est tenue de transmettre au maire de cette commune, sur sa demande, un dossier établissant l'état des lieux de cette ou de ces installations. Le contenu et les modalités de transmission de ce dossier sont définis par l'arrêté conjoint des ministres chargés des communications électroniques, de la communication, de la santé et de l'environnement " ; que ces dispositions, qui visent les exploitants d'installations radio-électriques en fonctionnement, sont sans application dans le cadre de l'instruction des déclarations ou demandes d'autorisation d'urbanisme, pour lesquelles le contenu du dossier de demande est défini par les dispositions de la partie réglementaire du code de l'urbanisme ; que, par suite, en se fondant sur la circonstance que l'autorité d'urbanisme pouvait requérir, dans le cadre de l'instruction de la déclaration préalable déposée par le société Orange France, la production d'éléments supplémentaires après avoir constaté que le dossier qui lui avait été transmis au titre de l'article L. 96-1 n'aurait pas été complet, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ; que la société Orange France est, dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque ;

4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le maire d'Issy-les-Moulineaux s'est fondé sur trois motifs pour s'opposer aux travaux déclarés par la société Orange France ;

6. Considérant, en premier lieu, que le premier motif, tiré de la proximité de crèches et d'un établissement scolaire, est fondé sur le principe de précaution énoncé à l'article 5 de la Charte de l'environnement, dont les dispositions s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs ;

7. Considérant que s'il appartient à l'autorité administrative compétente de prendre en compte le principe de précaution lorsqu'elle se prononce sur l'octroi d'une autorisation délivrée en application de la législation sur l'urbanisme, les dispositions de l'article 5 de la Charte de l'environnement ne permettent pas, indépendamment des procédures d'évaluation des risques et des mesures provisoires et proportionnées susceptibles, le cas échéant, d'être mises en oeuvre par les autres autorités publiques dans leur domaine de compétence, de refuser légalement la délivrance d'une autorisation d'urbanisme en l'absence d'éléments circonstanciés sur l'existence, en l'état des connaissances scientifiques, de risques, même incertains, de nature à justifier un tel refus d'autorisation ; qu'en l'espèce, il ne ressort des pièces versées au dossier aucun élément circonstancié de nature à établir l'existence, en l'état des connaissances scientifiques, d'un risque pouvant résulter, pour le public, de son exposition aux champs électromagnétiques émis par les antennes relais de téléphonie mobile et justifiant que, indépendamment des procédures d'évaluation des risques et des mesures provisoires et proportionnées susceptibles, le cas échéant, d'être mises en oeuvre par les autorités compétentes, le maire d'Issy-les-Moulineaux s'oppose à la déclaration préalable faite par la société Orange France, en application de la législation de l'urbanisme, en vue de l'installation des antennes en cause dans la présente instance ;

8. Considérant en deuxième lieu, que ni les dispositions de l'article R. 431-36 du code de l'urbanisme, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire applicable n'exigent que soit jointe au dossier de la déclaration préalable de travaux une estimation du niveau maximum de champ électromagnétique reçu sous forme d'un pourcentage par rapport à la valeur de référence de la recommandation européenne ; que la Charte de l'environnement n'habilite pas, par elle-même, le maire d'une commune à exiger la production de documents non prévue par les textes législatifs ou réglementaires en vigueur, ni à instaurer une procédure, elle-même non prévue par les textes en vigueur ; que, par suite, le maire d'Issy-les-Moulineaux ne pouvait sans illégalité s'opposer aux travaux déclarés au motif de l'absence au dossier d'un tel document ;

9. Considérant, en troisième lieu, que l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme permet de s'opposer à un projet : " si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales " ; qu'il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que le projet d'installation en cause, qui a fait l'objet d'un traitement particulier, qui s'inscrit dans un environnement urbain et qui n'est pas situé dans le champ de visibilité de " la tour aux figures " de Dubuffet ou de l'église Notre Dame des Pauvres, serait de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants ; que, dès lors, le maire d'Issy-les-Moulineaux ne pouvait légalement s'opposer aux travaux déclarés pour ce motif ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Orange France est fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 2 février 2011 ainsi que de la décision rejetant son recours gracieux ;

11. Considérant que, pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, en l'état du dossier soumis au Conseil d'Etat, aucun autre moyen n'est susceptible d'entraîner l'annulation des décisions attaquées ;

12. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de la commune de d'Issy-les-Moulineaux le versement à la Société Orange France de la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Société Orange France, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée à ce même titre par la commune d'Issy-les-Moulineaux ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 25 avril 2012 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.

Article 2 : L'arrêté du maire d'Issy-les-Moulineaux en date du 2 février 2011 et la décision en date du 1er juin 2011 rejetant le recours gracieux de la société Orange France sont annulés.

Article 3 : La commune d'Issy-les-Moulineaux versera à la Société Orange France la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune d'Issy-les-Moulineaux au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Orange France et à la commune d'Issy-les-Moulineaux.


Synthèse
Formation : 2ème et 7ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 360481
Date de la décision : 21/10/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - VIOLATION DIRECTE DE LA RÈGLE DE DROIT - CONSTITUTION ET PRINCIPES DE VALEUR CONSTITUTIONNELLE - CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT - PRINCIPE DE PRÉCAUTION (ART - 5) - PORTÉE - HABILITATION DU MAIRE À EXIGER - AU NOM DE CE PRINCIPE - LA PRODUCTION À L'APPUI D'UNE DÉCLARATION DE TRAVAUX DE DOCUMENTS NON PRÉVUS PAR LES TEXTES - ABSENCE.

01-04-005 Le principe de précaution garanti par l'article 5 de la Charte de l'environnement ne permet pas, par lui-même, au maire d'exiger à l'appui d'une déclaration préalable de travaux la production de documents non prévus par les textes législatifs et réglementaires en vigueur.

NATURE ET ENVIRONNEMENT - PORTÉE - HABILITATION DU MAIRE À EXIGER - AU NOM DE CE PRINCIPE - LA PRODUCTION À L'APPUI D'UNE DÉCLARATION DE TRAVAUX DE DOCUMENTS NON PRÉVUS PAR LES TEXTES - ABSENCE.

44-005-05 Le principe de précaution garanti par l'article 5 de la Charte de l'environnement ne permet pas, par lui-même, au maire d'exiger à l'appui d'une déclaration préalable de travaux la production de documents non prévus par les textes législatifs et réglementaires en vigueur.

URBANISME ET AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE - AUTORISATIONS D`UTILISATION DES SOLS DIVERSES - RÉGIMES DE DÉCLARATION PRÉALABLE - DÉCLARATION DE TRAVAUX EXEMPTÉS DE PERMIS DE CONSTRUIRE - HABILITATION DU MAIRE À EXIGER - AU NOM DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION (ART - 5 DE LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT) - LA PRODUCTION À L'APPUI DE LA DÉCLARATION DE DOCUMENTS NON PRÉVUS PAR LES TEXTES - ABSENCE.

68-04-045-02 Le principe de précaution garanti par l'article 5 de la Charte de l'environnement ne permet pas, par lui-même, au maire d'exiger à l'appui d'une déclaration préalable de travaux la production de documents non prévus par les textes législatifs et réglementaires en vigueur.


Publications
Proposition de citation : CE, 21 oct. 2013, n° 360481
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Camille Pascal
Rapporteur public ?: Mme Béatrice Bourgeois-Machureau
Avocat(s) : SCP TIFFREAU, CORLAY, MARLANGE ; SCP ROGER, SEVAUX, MATHONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:360481.20131021
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award