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04/10/2013 | FRANCE | N°353857

France | France, Conseil d'État, 1ère / 6ème ssr, 04 octobre 2013, 353857


Vu la requête, enregistrée le 4 novembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société Les laboratoires Servier, dont le siège est 50, rue Carnot à Suresnes (92284) ; la société requérante demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 12 septembre 2011 du ministre du travail, de l'emploi et de la santé et du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat en tant qu'il a modifié les conditions d'inscription de la spécialité Protelos sur la liste des spécialités remboursables aux ass

urés sociaux ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros ...

Vu la requête, enregistrée le 4 novembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société Les laboratoires Servier, dont le siège est 50, rue Carnot à Suresnes (92284) ; la société requérante demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 12 septembre 2011 du ministre du travail, de l'emploi et de la santé et du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat en tant qu'il a modifié les conditions d'inscription de la spécialité Protelos sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 1er ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 267 ;

Vu la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ;

Vu le code de commerce ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Gaël Raimbault, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Les Laboratoires Servier ;

1. Considérant que l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale subordonne la prise en charge ou le remboursement des médicaments par l'assurance maladie, lorsqu'ils sont dispensés en officine, à leur inscription sur une liste ; qu'aux termes de l'article R. 163-2 du code de la sécurité sociale, pris pour l'application de cet article : " Les médicaments (...) ne peuvent être remboursés ou pris en charge par les organismes de sécurité sociale, sur prescription médicale, (...) ni être achetés ou fournis ou utilisés par eux que s'ils figurent sur une liste des médicaments remboursables établie par arrêté conjoint du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de la sécurité sociale. L'arrêté mentionne les seules indications thérapeutiques ouvrant droit à la prise en charge ou au remboursement des médicaments. / (...) l'inscription sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 est prononcée pour une durée de cinq ans " ; que le I de l'article R. 163-6 du même code dispose que : " L'inscription sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 ne peut être renouvelée, après avis de la commission mentionnée à l'article R. 163-15, que si le médicament continue de remplir la condition relative au service médical rendu prévue au I de l'article R. 163-3 dans les indications thérapeutiques pour lesquelles le renouvellement de l'inscription est demandé (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même code et notamment de ses articles L. 161-37 et R. 163-15 qu'une commission de la Haute Autorité de santé, dénommée commission de la transparence, est chargée de donner des avis sur les spécialités pharmaceutiques en vue de procéder à leur inscription ou à leur réinscription sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux mentionnée à l'article L. 162-17 du même code et d'en définir les conditions de remboursement ; qu'aux termes de l'article R. 163-18 de ce code, cet avis porte notamment sur : " 1° L'appréciation du bien-fondé, au regard du service médical rendu, de l'inscription du médicament sur les listes, ou l'une des listes, prévues au premier alinéa de l'article L. 162-17 et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique ; / L'avis porte distinctement sur chacune des indications thérapeutiques mentionnées par l'autorisation de mise sur le marché, en distinguant, le cas échéant, des indications par groupes de populations pertinents au regard de l'appréciation du service médical rendu ; / L'avis portant sur l'inscription du médicament sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 mentionne expressément les indications thérapeutiques pour lesquelles la commission estime fondée l'inscription (...) " ;

2. Considérant qu'en application de ces dispositions, la commission de la transparence a, par un avis du 11 mai 2011 rendu dans le cadre de la procédure de réinscription quinquennale de la spécialité Protelos sur la liste des spécialités remboursables, estimé qu'il était justifié d'inscrire cette spécialité sur la liste des spécialités remboursables en restreignant sa prise en charge par l'assurance maladie aux patientes à risque élevé de fracture, ayant une contre-indication ou une intolérance aux biphosphonates et ne présentant pas de facteurs de risque d'événement thromboembolique veineux, notamment un âge supérieur à 80 ans ; qu'à la suite de cet avis de la commission de la transparence, par un arrêté du 12 septembre 2011, le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat et le ministre du travail, de l'emploi et de la santé ont renouvelé l'inscription de la spécialité Protelos sur la liste des spécialités remboursables, en restreignant sa prise en charge par l'assurance maladie aux seules prescriptions de cette spécialité à des patientes ne pouvant être traitées par des médicaments de la classe des biphosphonates ou ne présentant pas de facteur de risque d'événement thromboembolique veineux ; que la société Les laboratoires Servier conteste la légalité de cette décision ;

3. Considérant, en premier lieu, que s'il est soutenu que la convocation des membres de la commission de la transparence n'aurait pas respecté les dispositions en vigueur, ce moyen n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que si les ministres peuvent, pour procéder à l'inscription d'une spécialité sur la liste des spécialités remboursables, s'appuyer sur les éléments que comporte l'avis rendu par la commission de la transparence à l'occasion de la réinscription de ce médicament sur la liste des médicaments remboursables, il leur appartient d'apprécier eux-mêmes l'ensemble des éléments devant conduire à la définition du périmètre de remboursement ; qu'en l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que les ministres n'auraient pas procédé à cette appréciation et se seraient crus liés par la teneur de l'avis de la commission de la transparence, qu'ils n'ont, au demeurant, qu'incomplètement suivi ;

5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes du I de l'article R. 163-3 du code de la sécurité sociale : " Les médicaments sont inscrits sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 au vu de l'appréciation du service médical rendu qu'ils apportent indication par indication. Cette appréciation prend en compte l'efficacité et les effets indésirables du médicament, sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles, la gravité de l'affection à laquelle il est destiné, le caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux et son intérêt pour la santé publique (...) " ;

6. Considérant, d'une part, que s'il est soutenu que la spécialité Protelos constituerait le traitement de l'ostéoporose le plus efficace parmi les diverses spécialités disponibles et notamment par rapport aux biphosphonates, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment de la circonstance invoquée qu'une étude aurait démontré que le ranélate de strontium, principe actif du Protelos, aurait une meilleure efficacité sur la microarchitecture osseuse, que la commission de la transparence et les ministres, qui ont tenu compte de son avis, auraient commis une erreur manifeste d'appréciation en retenant que le Protelos n'apportait qu'un service médical rendu " modéré " et ce uniquement pour certaines catégories de patientes ;

7. Considérant, d'autre part, qu'il ressort des pièces du dossier que le Protelos présente un profil de risque plus dangereux que ceux de ses concurrents, d'une part, du fait du risque d'événements thromboemboliques veineux, dont l'incidence n'a pas diminué malgré la surveillance pharmacologique dont la spécialité a fait l'objet, et, d'autre part et surtout, du fait du risque de " syndrome de DRESS ", réaction allergique sévère pouvant conduire au décès, imprévisible, dont aucun facteur de risque n'a été identifié et dont l'incidence n'a pu être diminuée par la modification des précautions d'emploi qui figurent dans le résumé des caractéristiques du produit ; que, contrairement à ce qui est soutenu, ce dernier risque a été identifié postérieurement à l'avis de la commission de la transparence émis en 2005, lors de la mise sur le marché du Protelos ; que, par suite, en estimant que le service médical rendu par cette spécialité devait être regardé comme " modéré " et non plus comme " important ", eu égard au rapport entre son efficacité et ses effets indésirables, ainsi qu'à sa place dans la stratégie thérapeutique de lutte contre l'ostéoporose, la commission de la transparence n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation, non plus que les ministres en tenant compte de cet avis pour réduire le périmètre de prise en charge de la spécialité par l'assurance maladie ;

8. Considérant, en quatrième lieu, que les ministres, qui, aux termes des dispositions du code de la sécurité sociale rappelées ci-dessus, étaient tenus de se prononcer sur la réinscription du Protelos sur la liste des spécialités remboursables à l'expiration du délai quinquennal mentionné au dernier alinéa de l'article R. 163-2 du code de la sécurité sociale, n'ont pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en se prononçant au vu des seules études disponibles à la date d'édiction de leur arrêté ;

9. Considérant, en cinquième lieu, d'une part, qu'au regard du risque accru d'événements thromboemboliques veineux auquel sont soumises, du fait de leur âge, les femmes de plus de 80 ans qui utilisent la spécialité Protelos, le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu le principe d'égalité entre assurés sociaux en interdisant le remboursement de la spécialité prescrite aux femmes de plus de 80 ans qui peuvent être traitées par des biphosphonates ;

10. Considérant, d'autre part, que le respect du principe d'égalité devant la loi et les règles de concurrence imposaient aux auteurs de l'arrêté attaqué de s'assurer que les différences pouvant exister dans les conditions d'inscription, sur la liste prévue par l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, de spécialités directement substituables compte tenu de leur place dans la stratégie thérapeutique ne soient pas manifestement disproportionnées au regard des motifs susceptibles de les justifier ; que, toutefois, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les ministres compétents n'ont pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en déterminant le périmètre de prise en charge de la spécialité Protelos par l'assurance maladie ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment des éléments produits par la société requérante, que les biphosphonates aient présenté des risques similaires à ceux du Protelos qui auraient justifié les mêmes restrictions ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité entre laboratoires doit être écarté ; qu'il ne peut qu'en être de même, en tout état de cause, du moyen tiré, par voie de conséquence, de la violation de l'article L. 420-2 du code de commerce ;

11. Considérant toutefois que la société Les laboratoires Servier fait également valoir que le point 2 de l'article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes d'assurance-maladie dispose que : " Toute décision de ne pas inscrire un médicament sur la liste des produits couverts par le système d'assurance-maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables (...) " et que cette disposition, à la différence des dispositions réglementaires du code de la santé publique qui en assurent la transposition, impose la motivation des décisions portant modification des conditions d'inscription sur la liste des spécialités remboursables ; que, par son arrêt du 12 juin 2003 dans l'affaire Commission des Communautés européennes c/ République de Finlande C-229/00, la Cour de justice des Communautés européennes a jugé cette disposition applicable aux décisions établissant des catégories de médicaments bénéficiant d'un taux majoré de remboursement ; que les ministres, qui se sont bornés à viser dans l'arrêté litigieux l'avis rendu par la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé le 11 mai 2011, ne peuvent être regardés, même si cet avis a été communiqué préalablement à la société fabricant la spécialité, comme ayant satisfait à l'obligation de motivation prévue par la directive, si celle-ci devait être regardée comme applicable au litige ; que, dès lors, la réponse au moyen soulevé par la société requérante dépend de la question de savoir si les dispositions précitées de la directive du 21 décembre 1988 imposent la motivation des décisions d'inscription ou de renouvellement d'inscription sur la liste des médicaments ouvrant droit au remboursement par les caisses d'assurance maladie qui, soit en restreignant par rapport à la demande présentée les indications thérapeutiques ouvrant droit au remboursement, soit en assortissant ce dernier de conditions tenant notamment à la qualification des prescripteurs, à l'organisation des soins ou au suivi des patients, ou de toute autre manière, n'ouvrent droit au remboursement par les caisses d'assurance maladie qu'à une partie des patients susceptibles de bénéficier du médicament ou seulement dans certaines circonstances ;

12. Considérant que cette question est déterminante pour la solution du litige que doit trancher le Conseil d'Etat ; qu'elle présente une difficulté sérieuse ; qu'il y a lieu, par suite, d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur la requête de la société Les laboratoires Servier ;

D E C I D E :

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Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête présentée par la société Les laboratoires Servier, jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question suivante : " Les dispositions du point 2 de l'article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes d'assurance-maladie imposent-elles la motivation des décisions d'inscription ou de renouvellement d'inscription sur la liste des médicaments ouvrant droit au remboursement par les caisses d'assurance maladie qui, soit en restreignant par rapport à la demande présentée les indications thérapeutiques ouvrant droit au remboursement, soit en assortissant ce dernier de conditions tenant notamment à la qualification des prescripteurs, à l'organisation des soins ou au suivi des patients, ou de toute autre manière, n'ouvrent droit au remboursement par les caisses d'assurance maladie qu'à une partie des patients susceptibles de bénéficier du médicament ou seulement dans certaines circonstances ' ".

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Les laboratoires Servier, à la ministre des affaires sociales et de la santé, au ministre de l'économie et des finances et à la Cour de justice de l'Union européenne.

Copie en sera adressée pour information au Premier ministre et à la Haute Autorité de santé.


Synthèse
Formation : 1ère / 6ème ssr
Numéro d'arrêt : 353857
Date de la décision : 04/10/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 oct. 2013, n° 353857
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Gaël Raimbault
Rapporteur public ?: Mme Maud Vialettes
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:353857.20131004
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