Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 juin et 6 septembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le Syndicat des avocats de France, dont le siège est 34, rue Saint Lazare à Paris (75009) ; le Syndicat des avocats de France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2012-460 du 6 avril 2012 relatif à l'utilisation des moyens de communication audiovisuelle pour la tenue des audiences devant la Cour nationale du droit d'asile ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, modifié notamment par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Régis Fraisse, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat du syndicat des avocats de France ;
1. Considérant que le décret attaqué a été pris pour l'application de l'article 98 de la loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, lequel a complété l'article L. 733-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile afin d'autoriser l'utilisation de moyens audiovisuels pour les audiences de la Cour nationale du droit d'asile ; qu'il insère au livre VII de la partie réglementaire de ce code une sous-section composée des articles R. 733-20-1 à R. 733-20-4 ;
Sur la légalité externe :
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, notamment de l'avis du Conseil d'Etat en date du 23 septembre 2011 qui a été communiqué par le ministre de la justice, que le texte du décret attaqué, relatif à l'utilisation des moyens de communication audiovisuelle pour la tenue des audiences devant la Cour nationale du droit d'asile, ne diffère pas de celui adopté par le Conseil d'Etat ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le texte du décret attaqué ne serait pas conforme à la version transmise par le Gouvernement au Conseil d'Etat ou à celle adoptée par ce dernier doit être écarté ;
3. Considérant que les moyens tirés du caractère irrégulier de l'avis rendu par le comité technique spécial de la Cour nationale du droit d'asile qui s'est réuni le 3 février 2012 pour examiner le projet de décret ne sont pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;
Sur la légalité interne :
4. Considérant que, la Cour nationale du droit d'asile ne statuant ni sur des contestations de caractère civil ni sur des accusations en matière pénale, les moyens tirés de ce que le décret contesté instituerait une procédure qui méconnaîtrait les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont, en tout état de cause, inopérants et doivent être écartés ; qu'il en est de même des moyens tirés de la violation de l'article 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme dès lors que celle-ci ne figure pas au nombre des traités et accords qui, ayant été régulièrement ratifiés ou approuvés, ont, aux termes de l'article 55 de la Constitution, une autorité supérieure à celle de la loi ;
5. Considérant que doivent être écartés les autres moyens dirigés contre les dispositions du décret qui se bornent à reprendre celles de la loi et qui sont relatifs à l'insuffisance de garanties pour recourir à la visioconférence et assurer la publicité des débats, à l'absence de consentement des requérants se trouvant outre-mer, à la rupture d'égalité entre ces derniers et ceux se trouvant sur le territoire métropolitain, à la présence physique de l'avocat auprès du requérant et à l'absence de procès-verbal en cas d'enregistrement audiovisuel ou sonore de l'audience ; que, par sa décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l'article L. 733-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et sur le fondement duquel a été pris le décret attaqué ;
6. Considérant que l'article R. 733-20-1 du même code prévoit que, lorsque le président de la Cour nationale du droit d'asile envisage de recourir au moyen de communication audiovisuelle pour entendre les explications du requérant, celui-ci en est préalablement informé par un avis qui lui est adressé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa réception et qui comporte, s'il réside sur le territoire métropolitain, l'indication de son droit de s'opposer à la mise en oeuvre de cette procédure dans un délai de quinze jours à compter de la réception de l'avis ; que ni l'article L. 733-1, qui permet au requérant séjournant en France métropolitaine de refuser d'être entendu par un moyen de communication audiovisuelle, ni le droit à un procès équitable garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'exigeaient des auteurs du décret qu'ils instituent une procédure de consentement exprès ;
7. Considérant que l'article R. 733-20-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose qu'en cas de difficulté pour obtenir le concours d'un interprète présent physiquement auprès du requérant, l'audience ne se tient qu'après que la cour s'est assurée de la présence, dans la salle où elle siège, d'un tel interprète tout au long de son déroulement ; que ces dispositions ne sont contraires ni à l'article 10 de la directive du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres, qui prévoit que les demandeurs d'asile bénéficient, en tant que de besoin, des services d'un interprète pour présenter leurs arguments aux autorités compétentes, ni au droit à un procès équitable ;
8. Considérant qu'en renvoyant, par l'article R. 733-20-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à un arrêté conjoint du ministre de la justice et du ministre chargé de l'asile le soin de déterminer les caractéristiques techniques permettant aux moyens de communication audiovisuelle d'assurer une retransmission fidèle, loyale et confidentielle à l'égard des tiers, le décret, qui a fixé de manière suffisamment précise les modalités d'application de l'article L. 733-1 du même code afin d'autoriser l'utilisation de moyens audiovisuels pour les audiences de la Cour nationale du droit d'asile, n'a pas procédé à une subdélégation illégale ;
9. Considérant, enfin, que le syndicat requérant soutient que le décret attaqué serait entaché d'" incompétence négative " en ce qu'il n'aurait pas déterminé les conditions propres à permettre à l'avocat de s'entretenir avec son client et à préserver la confidentialité de leurs échanges ; que le décret attaqué ne fait pas obstacle à la mise en oeuvre du principe du respect des droits de la défense, applicable même sans texte, et permettant à l'avocat de s'entretenir confidentiellement avec son client ; qu'à cette fin, l'article L. 733-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que si l'intéressé est assisté d'un conseil, ce dernier est physiquement présent auprès de lui ; que, par ailleurs, s'agissant des requérants faisant l'objet d'une mesure de rétention, l'article R. 553-7 du même code dispose qu'un local réservé aux avocats et permettant de préserver la confidentialité des entretiens est aménagé dans chaque lieu de rétention ; que, dans ces conditions, le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué serait entaché d'" incompétence négative " ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le syndicat requérant n'est pas fondé à demander l'annulation du décret attaqué ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par suite, être rejetées ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête du Syndicat des avocats de France est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au Syndicat des avocats de France, au Premier ministre, à la garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre de l'intérieur.