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01/08/2013 | FRANCE | N°359949

France | France, Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 01 août 2013, 359949


Vu la requête, enregistrée le 4 juin 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la société L'Aziana dont le siège est à Bastelica (20119 ), la société Orezza-Charcuterie La Castagnicca dont le siège est à Penta di Casinca (20213), la société Costa et Fils dont le siège est à Urtaca (20218), la société Charcuterie Fontana dont le siège est à Borgo (20290), la société Salaisons Joseph Pantaloni dont le siège est à Ajaccio (20000), la société Charcuterie Passoni dont le siège est à Venzolasca (20215), la société Salaisons Sampiero dont le si

ège est à Bastelica (20119), la société Salaisons réunies dont le siège est à ...

Vu la requête, enregistrée le 4 juin 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la société L'Aziana dont le siège est à Bastelica (20119 ), la société Orezza-Charcuterie La Castagnicca dont le siège est à Penta di Casinca (20213), la société Costa et Fils dont le siège est à Urtaca (20218), la société Charcuterie Fontana dont le siège est à Borgo (20290), la société Salaisons Joseph Pantaloni dont le siège est à Ajaccio (20000), la société Charcuterie Passoni dont le siège est à Venzolasca (20215), la société Salaisons Sampiero dont le siège est à Bastelica (20119), la société Salaisons réunies dont le siège est à Penta di Casinca (20213), et les EtablissementsA..., à Castellare di Casinca (20213) ; la société L'Aziana et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2012-444 du 2 avril 2012 relatif à l'appellation d'origine contrôlée " Coppa de Corse " ou " Coppa de Corse-Coppa di Corsica ", le décret n° 2012-445 du 2 avril 2012 relatif à l'appellation d'origine contrôlée " Jambon sec de Corse " ou " Jambon sec de Corse-Prisuttu " et le décret n° 2012-446 relatif à l'appellation d'origine contrôlée " Lonzo de Corse " ou " Lonzo de Corse- Lonzu ", publiés au Journal officiel de la République Française le 4 avril 2012 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à chacune des sociétés requérantes de la somme de 2000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 5 juillet 2013, présentée par les sociétés requérantes ;

Vu le règlement (CE) n° 510/2006 du Conseil du 20 mars 2006 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires ;

Vu le règlement (CE) n° 1898/2006 de la Commission du 14 décembre 2006 portant modalités d'application du règlement (CE) n°510/2006 ;

Vu le règlement (UE) n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires ;

Vu le code de la consommation ;

Vu le code rural et de la pêche maritime ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alain Méar, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée avant et après les conclusions à la SCP Didier, Pinet, avocat de l'Institut national de l'origine et de la qualité ;

Sur la légalité externe des décrets attaqués :

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 641-7 du code rural et de la pêche maritime : " La reconnaissance d'une appellation d'origine contrôlée est prononcée par un décret qui homologue un cahier des charges où figurent notamment la délimitation de l'aire géographique de production de cette appellation ainsi que ses conditions de production. " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 641-13 du même code : " La demande de reconnaissance d'une appellation d'origine (...) est soumise à une procédure nationale d'opposition d'une durée de deux mois organisée par le directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité après avis du comité national compétent. " ; qu'aux termes du troisième alinéa du même article : " Les oppositions motivées sont adressées par écrit à l'Institut national de l'origine et de la qualité dans le délai de deux mois prévu pour la consultation. " ;

2. Considérant, d'une part, qu'aux termes du cinquième alinéa de l'article R. 641-13 du code rural et de la pêche maritime : " Lorsqu'une opposition est fondée sur un droit antérieur conféré par l'enregistrement d'une marque, l'Institut national de l'origine et de la qualité consulte l'Institut national de la propriété intellectuelle. Celui-ci dispose d'un délai de deux mois suivant sa saisine pour émettre un avis motivé. " ; qu'il ressort des pièces du dossier que la société Fontana a formé dans ses lettres en date du 18 décembre et du 22 décembre 2008 adressées à l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) une opposition fondée sur l'insuffisance de la production de viandes de porcs de race nustrale au regard des besoins des charcutiers de Corse ; que si elle y a aussi mentionné l'enregistrement à une date antérieure de marques pour des spécialités de charcuterie, cette simple allusion ne pouvait, à défaut d'argumentation en ce sens, être regardée comme une opposition fondée sur ce motif ; que le moyen tiré d'un défaut de consultation de l'Institut national de la propriété intellectuelle ne peut, dès lors, qu' être écarté ;

3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes du dernier alinéa de l'article R. 641-13 du code rural et de la pêche maritime : " L'Institut national de l'origine et de la qualité notifie aux auteurs des oppositions les suites qui y ont été données. " ; que si les suites données à leurs oppositions et, en particulier, l'octroi aux sociétés requérantes du bénéfice d'une période d'adaptation d'une durée de cinq ans, ne leur ont été notifiées que le 12 juillet 2012, soit postérieurement à la publication, le 4 avril 2012, des décrets attaqués, la notification des suites données aux oppositions a seulement pour objet d'informer les opposants éventuels , auxquels elle n'accorde aucun droit ou garantie de procédure supplémentaire ; que la date de cette notification est, dès lors, sans incidence sur la légalité des décrets attaqués ;

Sur la légalité interne des décrets attaqués :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 2 du règlement (CE) n° 510/2006 du Conseil du 20 mars 2006 en vigueur à la date d'adoption des décrets attaqués : " 1. Aux fins du présent règlement, on entend par : / a) " appellation d'origine " : le nom d'une région, d'un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d'un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire : /- originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays, et / - dont la qualité ou les caractères sont dus essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains, et / - dont la production, la transformation et l'élaboration ont lieu dans l'aire géographique délimitée ; ... " ; qu'aux termes de l'article L. 641.5 du code rural et de la pêche maritime : " Peuvent bénéficier d'une appellation d'origine contrôlée les produits agricoles, forestiers ou alimentaires (...) bruts ou transformés, qui remplissent les conditions fixées par les dispositions de l'article L. 115-1 du code de la consommation, possèdent une notoriété dûment établie et dont la production est soumise à des procédures d'agrément comportant une habilitation des opérateurs, un contrôle des conditions de production et un contrôle des produits. " ; qu'enfin aux termes de l'article L. 115-1 du code de la consommation : " Constitue une appellation d'origine la dénomination d'un pays, d'une région ou d'une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont les qualités ou les caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains. " ; qu'il résulte de ces dispositions que la création d'une nouvelle appellation d'origine doit définir les opérations de production, de transformation et d'élaboration qui, étant de nature à conférer au produit agricole ou à la denrée alimentaire bénéficiant de l'appellation ses caractères spécifiques, doivent être réalisées dans l'aire géographique délimitée en fonction de facteurs naturels et humains particuliers ;

5. Considérant, en premier lieu, que les cahiers des charges homologués par les décrets attaqués font obligation d'utiliser exclusivement de la viande de porc de race nustrale pour la fabrication des trois spécialités de charcuterie corse portant les appellations en cause ; qu'ils établissent un lien prédominant entre, d'une part, le milieu géographique de la Corse, propice à un mode d'élevage des porcs en semi liberté dans le maquis, conformément à une pratique pastorale, héritière d'une tradition ancestrale, à laquelle les porcs de race nustrale sont particulièrement adaptés et, d'autre part, les caractéristiques, la qualité, la spécificité et la typicité des produits obtenus ; qu'ainsi, en homologuant ces cahiers des charges relatifs à des produits de charcuterie, dont il n'est pas contesté que leur fabrication, telle qu'elle est réglementée dans ces cahiers, est conforme aux traditions de la charcuterie corse, les décrets attaqués n'ont pas méconnu les prescriptions des dispositions citées au point 4 ;

6. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que l'aire retenue, qui est commune aux trois appellations concernées, recouvre l'ensemble des communes de Corse, à l'exception des parties de leur territoire situées à une altitude inférieure à quatre-vingt mètres par rapport au niveau de la mer ; que cette délimitation résulte du lien établi par les cahiers des charges entre, d'une part, la spécificité des produits de charcuterie bénéficiaires des appellations d'origine et, d'autre part, l'utilisation, pour leur élaboration, de viandes provenant de porcs de race nustrale élevés dans la phase de finition, comme il a été dit au point 5, en semi liberté dans le maquis ; que le moyen tiré de ce que la délimitation de cette aire de production, qui repose sur des critères objectifs en rapport avec leur objet, serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation ne peut qu'être écarté ;

7. Considérant, en troisième lieu, que si l'aire géographique de production et les qualités ou caractères d'un produit portant une appellation d'origine doivent être définis, en application des dispositions précitées du code de la consommation, sur le fondement des usages locaux, loyaux et constants, une telle obligation ne s'impose pas pour la reconnaissance d'une appellation d'origine contrôlée, en application des dispositions des articles L. 641-5 et suivants du code rural et de la pêche maritime ; que l'article L. 641-8 du code rural et de la pêche maritime précise d'ailleurs expressément que les dispositions de l'article L. 115-2 du code de la consommation ne sont pas applicables aux produits bénéficiant d'une appellation d'origine contrôlée ; que, par suite, s'il est loisible à l'Institut national de l'origine et de la qualité de prendre en compte les usages locaux, loyaux et constants pour définir le contenu des cahiers des charges relatifs aux appellations d'origine contrôlées, il n'est pas tenu de s'y conformer ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que les décrets attaqués seraient illégaux au motif qu'ils ne seraient pas conformes aux usages locaux, loyaux et constants ne peut qu'être écarté ;

8. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 3.1 du règlement (CE) n° 1898/2006 de la Commission du 14 décembre 2006 : " Seule une dénomination utilisée, dans le commerce ou dans le langage courant, pour désigner le produit agricole ou la denrée alimentaire en question, peut bénéficier d'un enregistrement. " ; qu'il ressort des pièces du dossier que les dénominations retenues pour les nouvelles appellations sont d'ores et déjà utilisées par des charcutiers de Corse ; que si elles le sont pour désigner des produits fabriqués avec ou sans viande de porcs de race nustrale, il ne résulte pas de cette circonstance, qui va perdurer pendant la période d'adaptation accordée aux entreprises requérantes, une méconnaissance par les décrets attaqués des dispositions citées ci-dessus du règlement ;

9. Considérant, en cinquième lieu, que les produits auxquels l'appellation d'origine est reconnue par les décrets attaqués sont, du fait même de l'utilisation exclusive de porcs de race nustrale des produits spécifiques de la charcuterie traditionnelle corse ; que la circonstance que les mots " lonzu " et " prisuttu " soient devenus des noms communs ne suffit pas à donner aux dénominations retenues pour les appellations d'origine en cause le caractère de " dénomination devenue générique " au sens de l'article 3 du règlement ( CE ) n° 510 /2006 aux termes duquel : "1. Les dénominations devenues génériques ne peuvent pas être enregistrées. / Aux fins du présent règlement, on entend par " dénomination générique ", le nom d'un produit agricole ou d'une denrée alimentaire qui, bien que se rapportant au lieu ou à la région où ce produit agricole ou cette denrée alimentaire a été initialement produit ou commercialisé, est devenu le nom commun d'un produit agricole ou d'une denrée alimentaire dans la Communauté " ;

10. Considérant enfin que la circonstance que la création des nouvelles appellations d'origine contrôlée est intervenue après qu'eurent été engagées par les requérantes des démarches en vue de l'obtention de protections différentes pour des produits de charcuterie dont les trois produits bénéficiaires des appellations d'origine n'est, en tout état de cause, pas de nature à caractériser, par elle-même, une erreur manifeste d'appréciation ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation des décrets qu'ils attaquent ; que leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être rejetées ;

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société L'Aziana et autres est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société L'Aziana, à la société Orezza-Charcuterie La Castagnicca, à la société Costa et Fils, à la société Charcuterie Fontana, à la société Salaisons Joseph Pantaloni, à la société Charcuterie Passoni, à la société Salaisons Sampiero, à la société Salaisons réunies, à Mme B...A..., au Premier ministre, au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à l'Institut national de l'origine et de la qualité.


Synthèse
Formation : 3ème et 8ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 359949
Date de la décision : 01/08/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 01 aoû. 2013, n° 359949
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alain Méar
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SCP DIDIER, PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:359949.20130801
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